Après la catastrophe, le difficile déploiement de l’aide humanitaire en Syrie et en Turquie

Un mois après le séisme, il n’est plus possible de sortir de survivants des décombres. Mais le travail des associations humanitaires est loin d’être fini.

De Lou Chabani
Publication 20 mars 2023, 16:24 CET
Idlib, Syrie. 11 février 2023. Le 6 février dernier, un tremblement de terre a frappé le ...

Idlib, Syrie. 11 février 2023. Le 6 février dernier, un tremblement de terre a frappé le nord et l'ouest de la Syrie. Ce tremblement de terre d'une magnitude de 7,8 a déjà tué plus de 3 500 personnes, tandis que 5,3 millions de personnes en Syrie pourraient se retrouver sans abri à la suite du séisme. Il s'agit du tremblement de terre le plus meurtrier ayant touché la Syrie depuis celui d'Alep en 1822.

PHOTOGRAPHIE DE Majority World CIC / Alamy Banque D'Images

Dans la nuit du 6 au 7 février 2023, deux séismes de magnitude 7,8 et 7,5 ont été mesurés à proximité de la frontière entre la Syrie et la Turquie. Bien que le nombre de victimes ne soit pas encore définitif, la catastrophe naturelle est déjà considérée comme l’une des plus meurtrières de ce siècle.

Pour faire face à la crise, de nombreuses équipes de secouristes locaux et étrangers se sont mobilisées dès les premières heures. Du dégagement des victimes des décombres à l’assistance psychologique, leurs missions sont multiples et ne cessent d’évoluer au fil des jours. 

« Ce qu’il faut retenir, c’est que le premier type d’aide est une aide endogène. En Turquie et en Syrie, c’est d’abord les Turcs et les Syriens qui ont secouru les premiers blessés », raconte Hakim Khaldi, chargé de mission pour Médecins sans frontières. « Les organisations internationales arrivent dans un deuxième temps. »

« Les premiers besoins étaient de la recherche et du secours […] et nos équipes étaient là en soutien », explique Louise Bichet, coordinatrice de Médecins du monde. « Maintenant les priorités sont des questions de santé mentale et […] l’aide psychologique d’urgence, qui quand ils sont mis en place tôt peuvent limiter les impacts les plus graves aussi bien chez les adultes que chez les enfants. »

Un mois après le séisme, les besoins des deux pays ont beaucoup changé. Après avoir mis en œuvre toutes les mesures à leur portée pour sortir les survivants des décombres, les secouristes doivent à présent faire face au défi de la reconstruction. Une tâche titanesque qui s’annonce particulièrement difficile, aussi bien d’un point de vue logistique que politique.

« Il faudra des années pour reconstruire », ajoute la coordinatrice. « Il faut maintenir l’effort, ce n’est pas une affaire de quelques mois ou semaines. Ce sera très long et nous sommes loin d’en avoir terminé. »

Un mois après la catastrophe, les efforts humanitaires concernent surtout le relogement des milliers de personnes ayant perdu leurs foyers, les soins post-opératoires des blessés et la gestion des troubles psychologiques des victimes. Une entreprise particulièrement ardue, la zone étant encore secouée par de nombreuses répliques.

 

QUAND LA POUSSIÈRE RETOMBE

« Le tremblement de terre a eu lieu à 4h du matin et nous avons immédiatement eu des appels assez paniqués de nos équipes sur place », raconte Myriam Abord-Hugon, directrice du programme Syrie de Handicap International. « Les premières heures ont été occupées à faire une ronde de nos différents collègues […] et s’assurer que nous pouvions contacter tout le monde. »

Qu’ils soient citoyens turcs, syriens ou membres des organismes internationaux déjà présents sur place, c’est par là que les secouristes ont commencé. De par leur nature imprévisible, les séismes ne laissent aucun temps de préparation aux structures locales et les dégâts sont tels qu'ils rendent difficile la prise en charge des victimes.

« Être déjà présents sur place nous permet d’aller très vite sur la collecte d’informations [sur la situation sur place] » explique Louise Bichet. « L’aspect plus négatif est que nous avons des collègues qui sont malheureusement morts […] ou qui ont perdu des proches ou leur maison. C’est ensuite très difficile pour eux d’être en consultation toute la journée avec des gens qui sont dans la même situation et de devoir rentrer dormir sous une tente. »

Bâtiments démolis par le tremblement de terre. La Turquie a connu le plus grand tremblement de terre de ce siècle dans la région frontalière avec la Syrie. Le tremblement de terre a été mesuré à une magnitude de 7,7.

PHOTOGRAPHIE DE Sipa USA / Alamy Banque D'Images

Dans un premier temps, ce sont les populations locales qui ont agi pour venir en aide aux blessés et organiser les premières recherches. Malgré les dégâts et les pertes, les organismes humanitaires syriens et turcs ont très rapidement tenté de venir en aide aux populations sinistrées.

En Syrie, des ONG telles que Al Ameen, le croissant rouge syrien ou encore la Syrian American Medical Society (SAMS) ont été les premières sur les lieux. Habituées à la gestion des victimes des conflits de la guerre civile, leurs efforts ont été réorganisés pour faire face au tremblement de terre. Ce sont ces ONG qui gèrent la plupart des hôpitaux dans lesquelles interviennent les ONG internationales. 

Afin de leur apporter leur soutien, ces dernières ont rapidement envoyé des équipes spécialisées en renfort.

« Il y a deux scénarios [pour Médecins sans frontières]. Soit nous avons déjà une équipe sur place qui va commencer à répondre [aux besoins immédiats] et une équipe d’urgence sera envoyée en renfort », explique Hakim Khaldi. « Soit nous n’avons personne sur place et une équipe sera envoyée par la cellule des urgences de Paris. »

« Il faut rapidement savoir de quels moyens financiers nous allons disposer pour pouvoir évaluer la réponse en fonction des moyens. Il faut se déployer soit en redimensionnant des projets déjà existants ou déplacer des troupes mobiles sur des zones plus touchées », ajoute Louise Bichet. « Il y a un enjeu logistique extrêmement lourd. Il y a par exemple la question de l’importation des médicaments, qui se retrouvent rapidement en rupture de stock. »

À l’inverse d’un conflit armé, les catastrophes naturelles permettent encore une coordination par le gouvernement touché, comme cela a été le cas en Turquie. Dans les heures suivant le drame, l’aide intergouvernementale appelée « aide bilatérale » a ainsi été mise en place.

« Nous avons immédiatement demandé le soutien des pays amis pour les opérations de sauvetage », explique l’ambassade de Turquie en France. « Au total, la Turquie a reçu des offres d’assistance de 103 pays et a coordonné l’arrivée de 11 320 personnels […] de 90 pays. »

Parmi ces équipes, deux détachements français de recherches et sauvetage HUSAR, composés de plusieurs pompiers et sapeurs-pompiers, ainsi que d’une dizaine de chiens de recherche. Placées sous la tutelle de l’Autorité de gestion des catastrophes et des situations d’urgence (AFAD) turque, les unités françaises ont été envoyées aux alentours d’Osmaniye, Hatay et Kahramanmaraş afin de venir en aide aux organismes locaux.

À l’inverse, en Syrie, peu d’aide gouvernementale a été envoyée dans les zones les plus sinistrées, la région étant sous contrôle rebelle. L’aide bilatérale a été réduite et l’accès des ONG strictement limité.

 

UN LONG CHEMIN À PARCOURIR

Un mois après le séisme, il n’est plus possible de sortir de survivants des décombres. Néanmoins, le travail des associations humanitaires est loin d’être fini. Après avoir dû traiter de nombreux blessés graves, la priorité est à présent au bon déroulement des soins post-opératoires.

Une fois sortis du bloc, la gestion des soins et de la rééducation est en effet un problème majeur pour les soignants, les hôpitaux étant débordés et les médicaments essentiels souvent en rupture de stock. Déjà problématique dans les zones de conflits, la situation n’a fait qu’empirer avec l’impossibilité pour beaucoup de victimes d’accéder à des conditions de vie favorable à leur rétablissement.

« Nous avons eu beaucoup de patients avec de multiples fractures qui ont été rapidement renvoyés chez eux après les soins, pour libérer des places » explique Mme Abord-Hugon. « Aujourd’hui, il nous faut les retrouver pour continuer les soins et éviter des handicaps permanents. »

Le processus de rééducation, long et douloureux, a tendance à être négligé par les victimes qui font déjà face à de nombreuses difficultés. Un cas de figure particulièrement préoccupant dans le cas de patients ayant dû subir une amputation, dont la prise en charge nécessite plusieurs mois de soins et de rééducation.

« Personne n’a envie de subir de nombreuses séances, parfois très douloureuses, chez le kinésithérapeute. Surtout dans ces conditions », ajoute la directrice du programme Syrie de Handicap International. « En cas d’amputation il faut trois ou quatre mois de soins avant d’envisager un appareillage […] et plus encore pour apprendre à vivre avec une prothèse. Il faut à peu près une année en totalité. »

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    Dover, États-Unis, le 7 février 2023. Garrett LaMarche, aviateur principal de l'United States Air Force, pousse une palette de fournitures d'urgence dans un avion cargo C-17 Globemaster III à la base aérienne de Dover, dans le Delaware. L'Agence américaine pour le développement international (USAID) mobilise l'aide humanitaire d'urgence pour répondre aux destructions massives causées par le tremblement de terre de 7,8 sur l'échelle de Richter survenu en Turquie.

    PHOTOGRAPHIE DE US Air Force Photo / Alamy Banque D'Images

    Plusieurs semaines après la catastrophe, les premiers signes de séquelles psychologiques chroniques commencent à apparaître. Un problème amplifié par les nombreuses répliques sismiques encore ressenties dans les zones sinistrées, chaque secousse venant raviver les souvenirs des victimes.

    « La Syrie est un pays en guerre, les gens sont habitués à être sous les tirs d’artillerie, mais quand l’artillerie tape, ça ne touche qu’un endroit puis c’est fini pour quelques heures », explique Myriam Abord-Hugon. « Ici le problème, c'est que depuis un mois, ça tremble tout le temps. Il y a un effet d’épuisement des gens et de nos équipes, en plus du traumatisme d’avoir perdu des proches. »

    Dans les deux pays, les efforts se concentrent à présent sur la relocalisation des nombreux réfugiés, qui vivent aujourd'hui dans des camps parfois insalubres.

    « Les besoins prioritaires sont liés au logement des populations sinistrées, [à la construction de] maisons-conteneurs, des toilettes mobiles, des sanitaires mobiles, des lits, des tentes et des couvertures », déclare l’ambassade de Turquie en France.

     

    UNE AIDE À GÉOGRAPHIE VARIABLE

    Si les dégâts causés par le séisme ne connaissent pas de frontières, il n’en va pas de même pour l’aide humanitaire. Déjà fortement perturbées par les conflits armés, les équipes de secours ont eu beaucoup de mal à accéder aux populations syriennes. Quant à l’aide bilatérale, une différence nette s’est rapidement dessinée entre les deux pays.

    « Il y a eu énormément d’aide bilatérale déployée en Turquie dans les premières semaines, alors qu’en Syrie très peu d’aide est arrivée. Il y a de l’aide qui est arrivée à Damas, mais très peu pour le reste du pays », explique Hakim Khaldi. « Il y a un énorme contraste entre l’intensité et le volume d’aide déployé entre les deux pays. »

    « Il y a eu une vraie problématique d’accès et lors des visites de quelques officiels des Nation-Unies, les populations syriennes ont clairement fait comprendre qu’elles se sont senties abandonnées en comparaison des efforts déployés en Turquie », rapporte également Mme Abord-Hugon.

    La majorité des missions humanitaires présentes en Syrie l'étaient déjà bien avant la catastrophe, afin d’aider les populations victimes des conflits. Parmi ces dernières, de nombreux groupes syriens tels que les Casques Blancs, qui ont été les premiers sur les lieux de la catastrophe. 

    Leurs efforts ont cependant été rapidement ralentis faute de matériel nécessaire, aucune aide gouvernementale ou internationale n’ayant été envoyée vers le nord-ouest du pays, actuellement sous le contrôle des rebelles.

    « Au bout de trois ou quatre jours, les Casques Blancs nous ont prévenus qu’ils avaient atteint les limites de leurs capacités de déblayage », relate la responsable de Handicap International. « Ils n’avaient pas accès aux bulldozers, aux grues et aux chiens qui ont été envoyés en Turquie. Il y a eu une vraie problématique d’accès. »

    En l’absence de tout centre de coordination et face à la réticence du gouvernement syrien, de nombreuses ONG n’ont pu avoir qu’un accès limité aux zones sinistrées. 

    « Le pays est très partitionné. Le nord-ouest est morcelé en une multitude de groupes qui tiennent des zones différentes, ce qui ne facilite pas la coordination de l’aide », explique Louise Bichet. « Il y a aussi une insécurité forte, ce qui complexifie encore plus notre réponse. Quant à la zone gouvernementale, l’accès est encore plus compliqué. Il y a eu des annonces publiques […] mais les convois restent à Damas, n’arrivent pas, ou sont bloqués. »

    « Les Nations Unies ont voté la Résolution cross-border en 2014, une assistance transfrontalière pour délivrer de l’aide humanitaire par les Nation Unies », souligne Hakim Khaldi. « Ils sont présents à Gaziantep, en Turquie mais il y a eu très peu d’aide envoyée en Syrie et très peu de réactivité des Nation-Unies. »

    Après plusieurs années de conflit, la présence de nombreux engins explosifs dans le nord du pays représente également une menace constante aussi bien pour les secouristes que pour les civils cherchant à récupérer des affaires dans les décombres. Si aucun incident n’a eu lieu lors du dégagement des victimes, le risque reste particulièrement important pour les opérations de déblayage. 

    « Le séisme a déplacé des charges explosives qui avaient précédemment été localisées. Maintenant nous ne savons plus où elles sont », explique Mme Abord-Hugon. « C’est une menace pour les gens qui essaient de retrouver des affaires dans les décombres. »

    Les ONG nationales et internationales dénoncent également l’essoufflement des financements des opérations humanitaires, aussi bien en Syrie qu’en Turquie. Les besoins des populations sont encore nombreux et les associations et les autorités locales s’inquiètent de ne pouvoir mener à bien leurs actions dans les mois à venir.

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