Au milieu des décombres, les Syriens tentent de se construire une nouvelle normalité
La guerre civile a détruit leurs quartiers. Maintenant que le gouvernement d'Assad renforce son contrôle, le défi est de construire une normalité d'après-guerre.
Ce reportage figure dans le numéro de mars 2018 du magazine National Geographic.
Au troisième étage d'un immeuble en ruines, le soleil semble transpercer de ses derniers rayons le plastique qui recouvre les trous béants dans le mur, stigmates d'une guerre qui a dévasté la ville pendant des années. Amira Garman a 60 ans. Elle se tient assise sous une verrière jaune d'or, un petit cardigan bleu pastel posé sur les épaules. Un lustre, cassé par endroits, ne porte plus qu'une ampoule, qui fait vaciller la lumière dans la petite pièce sombre. À travers la fenêtre de fortune, Amira observe les élèves de l'école Al Yarmouk de l'autre côté de la rue, dont le terrain de jeu est jonché de douilles et de balles perdues.
La famille d'Amira vivait au dernier étage de l'immeuble, depuis réduit en un labyrinthe de murs et de décombres. « Je veux être chez moi », dit-elle. Ils se sont réfugiés dans cette pièce, l'une des deux seules occupées du bâtiment. Dans leur rue, les magasins ont rouvert au milieu des décombres ; les gens s'affairent pour déblayer le sol. Alors que les combats se poursuivent un peu plus loin, une normalité fragile semble revenir à Alep. Mais la tâche de la reconstruction est immense.
Le quartier de Kallaseh, dans l'est d'Alep, a été encerclé par l'armée syrienne après le siège de plusieurs mois du gouvernement pour reconquérir la ville aux rebelles démocrates opposés au régime de Bachar el-Assad. Avant la guerre, Alep était la plus grande ville de Syrie, abritant en son sein près de quatre millions de personnes, dont des centaines de milliers ont fui. À l'échelle du pays, des millions d'autres ont suivi le chemin de l'exil.
Le conflit, selon les chiffres les plus récents, a déjà fait plus de 400 000 morts. Les Nations Unies ont plusieurs fois accusé les forces de Bachar el-Assad d'avoir utilisé des armes chimiques pour tuer des dizaines de personnes dans plusieurs villes.
Amira Garman et sa famille ont fui à la campagne il y a environ trois ans. « Nous avons été volés par le groupe armé » se souvient son époux, Saleh, en parlant des combattants antigouvernementaux, dont beaucoup étaient autrefois ses voisins.
Saleh a été emprisonné pendant un an après que les forces de l'opposition ont trouvé une photo de l'ancien président, Hafez el-Assad (père de l'actuel président syrien), dans la maison familiale. En décembre 2016, l'armée d'Assad a reconquis des pans entiers de la ville. Un an plus tard, environ 300 000 résidents sont revenus. Les hommes en âge de se battre étaient alors obligés de rejoindre les rangs de l'armée du régime.
Un vendredi après-midi, sur la place Saadallah al Jabiri, les familles se régalent de barbes à papa et les enfants grimpent sur les lettres géantes et multicolores formant « I ♥ ALEPPO », installées pour la Journée mondiale du tourisme. Avant la guerre, la place était un passage obligé pour les visiteurs du monde entier. Une banderole déchirée sur un bâtiment endommagé dit : « Alep est ta ville et a besoin de toi pour la défendre. » La place, désertée pendant la guerre, vibre à nouveau d'instants de vie. Un groupe de jeunes hommes, étudiants en architecture, traverse la ville munis de grandes cartes, tentant d'imaginer la ville reconstruite.
Dans le parc public voisin, les portraits de combattants pro-gouvernementaux, considérés comme des martyrs, ont été cloués sur des oliviers - un rappel de l'emprise d'Assad sur la région. Des jeunes hommes sautent avec agilité sur l'herbe. Des femmes les observent depuis les bancs, une cigarette à la main, le regard perdu au loin. Dans un restaurant huppé non loin de là, une famille a organisé une somptueuse célébration de baptême.
Dans la Citadelle d'Alep - autrefois occupée par l'armée syrienne et qui, selon les rumeurs, serait utilisée comme base militaire par les alliés russes qui ont soutenu le régime d'Assad - une adolescente de 14 ans en veste rose pénètre dans l'enceinte pour la première fois depuis le début de la guerre, en 2011. « C'est tellement beau, mais la partie abîmée me rend triste, » confie la jeune Maryam. Une cicatrice au-dessus de l'œil, elle vient juste de recommencer l'école, où elle prend des cours de russe. « Nous espérons que la Syrie ira bientôt mieux. »
Au milieu des bâtiments en ruines, les volets des magasins viennent d'être repeints aux couleurs du drapeau syrien, comme pour se protéger. Âgé de 12 ans, Ahmad Samman passe devant les quelques balcons encore intacts où le linge sèche au soleil. Son père a disparu pendant la guerre. Ahmad est retourné à l'école mais continue de travailler dans un salon de coiffure pour aider sa famille.
Ceux qui reviennent ici sont chargés de reconstruire la zone sans eau ni électricité.
À la périphérie de la ville, les familles déplacées sont hébergées dans des entrepôts. « Tout est si cher maintenant » explique Ayasha Khalil, 16 ans. « Nous n'avons plus de maison. »
De retour à Kallaseh, le fils aîné d'Amira travaille à la reconstruction de la maison familiale. Amira espérait que d'autres familles reviendraient, mais la guerre est encore trop présente et les blessures trop fraîches.