Aux États-Unis, la conservation de la nature fédère la jeunesse LGBTQ

Le travail acharné d'organismes identifiés LGBTQ permet à la jeunesse LGBTQ de découvrir des lieux sûrs où elle peut se dédier à l'exploration des grands espaces et à la conservation de l'environnement.

De Miles Griffis
Publication 18 juin 2021, 10:16 CEST
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Un membre du Rainbow Crew des Northwest Youth Corps travaille à la création d'un nouveau sentier dans le parc national du Mont Rainier. La multiplication des agences d'activités de plein air affiliées à la communauté LGBTQ offre à la jeunesse LGBTQ des lieux sûrs où elle peut se familiariser avec l'exploration des grands espaces et la conservation de l'environnement.

Avec l'aimable autorisation de Northwest Youth Corps

Par une matinée du mois d'août, après un petit-déjeuner avalé sur un campement du parc national du Mont Rainier, les membres du Rainbow Conservation Crew ont parcouru à pied les cinq kilomètres qui les séparent de leur lieu de travail sur le célèbre Wonderland Trail, les bras chargés d'outils servant à l'entretien des sentiers et la lutte contre les incendies : râteaux McLeod, crochets à bois et autres Pulaskis.

Le petit groupe d'adolescents a consacré les dernières semaines à la remise en état de certaines sections du sentier qui dessine une boucle de 150 km dans l'État de Washington autour du Mont Rainier, ou Tahoma comme l'appelle la tribu Puyallup locale, et nous emmène telles des montagnes russes à travers les prairies alpines, les forêts tempérées et les fleuves alimentés par le ruissellement des glaciers.

Mel Hanby, chef de groupe en formation, en était à son troisième été passé au sein du Northwest Youth Corps (NYC) après avoir rejoint en 2017 le Rainbow Crew, le tout premier groupe LGBTQ de conservation de la nature aux États-Unis. En tant que membre de longue date, il était temps pour Hanby d'endosser plus de responsabilités dans la coordination du groupe avec l'aide d'Ernie Callaghan et Ash Young, deux chefs expérimentés. L'un des principaux projets du groupe au cours des cinq semaines du programme était de construire un pont évitant une traversée périlleuse de la rivière Carbon.

Des membres du Rainbow Crew font une pause près du parc national historique Lewis et Clark. En tant que premier groupe LGBTQ de conservation de la nature, l'organisation est aux avant-postes du développement de carrière et de l'intendance environnementale pour les adolescents LGBTQ.

PHOTOGRAPHIE DE Edison Velez III

« Les Youth Corps, ce n'est pas un camp de vacances, » précise Hanby. « Pour la plupart d'entre nous, c'est le premier emploi rémunéré, et il s'accompagne de nombreuses responsabilités. » Il explique par exemple que pour intégrer le programme, il faut non seulement apprendre toutes les techniques propres à l'entretien des sentiers, mais aussi des notions de base sur les étendues sauvages et les campements tout en développant une certaine autonomie.

Avec l'émergence des organismes LGBTQ dédiés à l'aventure comme Out There Adventures (OTA), The Venture Out Project et des excursions de sensibilisation à la nature organisés par des agences comme NOLS ou Outward Bound, la jeunesse queer se découvre les compétences nécessaires à la vie dans les grands espaces ainsi que des qualités de meneur.ses dans des programmes encadrés par des membres de leur communauté. Au sein de ce nouvel espace se dessine une expérience centrée sur l'intendance environnementale et le développement de carrière. Le Rainbow Crew des Northwest Youth Corps est l'un des principaux groupes à la tête du mouvement.

 

L'IMPORTANCE DES ÉQUIPES QUEER

Outre l'espace sûr offert au groupe, propice à l'apprentissage de compétences que ses membres pourront ensuite appliquer dans leurs vies professionnelles, le Rainbow Crew est également un lieu où les jeunes participants rencontrent leurs premiers mentors LGBTQ. Comme nous l'explique Hanby, homme transgenre, c'est lors de son premier séjour au sein du groupe qu'il a rencontré pour la première fois un autre homme transgenre, son chef d'équipe à l'époque.

« Ça a changé ma vie, » déclare-t-il. « Je ne savais pas que les hommes trans adultes existaient. Je ne savais pas qu'il était possible pour nous d'atteindre ce stade. Ce qui est génial à mes yeux dans le fait d'avoir des équipes spécifiques à chaque identité, c'est que beaucoup sont terrifiés à l'idée de se mesurer à la vie en pleine nature tout en devant affronter l'homophobie et la transphobie, c'était mon cas lorsque j'avais 16 ans. Mais ici, dans le Rainbow Crew, il n'y a aucune inquiétude à avoir. »

À la fin de son premier été chez les NYC, Hanby a commencé à s'imaginer travailler dans la conservation. L'été suivant, il a rejoint le Backcountry Leadership Program des Northwest Youth Corps, un programme ouvert à toutes les orientations sexuelles dans lequel les participants vont dans la nature reculée et travaillent sur des projets plus techniques tout en développant leurs qualités de meneur.ses d'équipe. Après avoir obtenu sa certification, il s'est lancé dans une troisième année avec les NYC en 2019, cette fois pour aider à superviser le Rainbow Crew dont il faisait partie deux étés plus tôt.

Il est essentiel pour la jeunesse LGBTQ de recevoir le soutien d'organismes qui leur apportent un espace sûr ainsi que des opportunités, surtout à l'heure où de nombreux États interdisent aux jeunes transgenres de recevoir des soins ou de pratiquer un sport. « C'est dur d'être enfermé dans un corps, » déclare Ernie Callaghan, ex-chef d'équipe chez les NYC, qui se définit comme non-binaire. « Lorsque vous vous sentez déconnecté de votre corps pour des préoccupations liées au genre, il peut être difficile de le déplacer et de savoir comment l'utiliser. »

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    L'été, un tapis de fleurs sauvages recouvre les environs du Mont Rainier.

    PHOTOGRAPHIE DE Christopher Kimmel, Alamy

    Lorsque Callaghan était à la tête du Rainbow Crew en 2019, les différentes équipes remplissaient des missions variées comme creuser des chemins en pente, retirer à la main des arbustes invasifs ou déplacer d'énormes pierres pour créer des sentiers. En faisant cela, Callaghan est convaincu que les membres de l'équipe prenaient conscience de leurs corps et gagnaient en confiance. « Pour être capable de faire ce travail, il faut connaître les mécanismes de ce que signifie exister dans un corps humain. »

     

    SUR LA ROUTE DU SUCCÈS

    Face au manque d'opportunités pour les adolescents LGBTQ intéressés par les grands espaces et la conservation, Elyse Rylander, fondatrice de l'agence OUT There Adventures, et Jay Satz, directeur des Northwest Youth Corps, se sont associés en 2019 pour donner naissance au Rainbow Conservation Crew avec le soutien du North Face Explore Fund et de la forêt nationale de Wenatchee.

    Même si le programme du Rainbow Crew a évolué au fil du temps, ses principaux objectifs restent les mêmes : procurer aux jeunes un espace sûr pour découvrir les étendues sauvages et les former à la conservation de la nature dans le cadre d'un emploi rémunéré.

    Ces dernières années, les bourses et les financements accordés par la National Park Foundation ont permis au programme de grandir ; avec plus de 4,5 millions de dollars investis par la fondation dans les troupes de conservation à travers les États-Unis en 2021. NYC dispose désormais de deux équipes LGBTQ distinctes pour les jeunes âgés de 15 à 19 ans et d'un programme de huit semaines réservé aux jeunes adultes LGBTQ âgés de 19 à 25 ans. Les différents groupes ont depuis travaillé dans différents parcs nationaux du Nord-Ouest Pacifique, comme le parc national historique Lewis et Clark et le parc national Olympique.

    « Compte tenu de la durée des séjours et de la difficulté du travail requis, le Rainbow Crew aide véritablement les participants à faire le point sur leur identité en tant que membre de la communauté LGBTQ et à réfléchir sur leur relation avec le monde naturel, » explique Rylander qui a fondé OTA en 2014 avec une mission en tête : donner aux jeunes l'occasion d'explorer leur identité dans un environnement bienveillant. À ses yeux, le Rainbow Crew crée un impact durable sur les participants qui les aide à façonner leurs futures carrières dans la conservation et l'éducation à la nature.

    Qui plus est, cet impact ne se limite pas aux membres des équipes LGBTQ mais commence bel et bien à changer la culture des corps de conservation à travers l'ensemble des États-Unis.

    À l'hiver 2020, le Rainbow Crew des NYC a été élu Projet de l'année lors de la Conférence nationale du réseau des corps de conservation, l'un des plus grands honneurs de cette communauté. « De nombreux corps commencent à réaliser qu'ils reçoivent bien plus de personnes trans ou queer que ce qu'ils pensaient, et ils souhaitent offrir à ces jeunes un lieu où être eux-mêmes, » déclare Jay Satz. Ces dernières années, Satz a vu émerger le recours au pronom inclusif (they, en anglais) et une plus grande attention portée à la question du genre dans de nombreux corps des États-Unis.

     

    UNE TENDANCE FLORISSANTE 

    Outre le Rainbow Crew, les NYC ont également créé une équipe en langue des signes américaine, un nouveau corps parmi tant d'autres qui contribue à lever les obstacles à la participation des populations minoritaires.

    La tendance est également visible dans d'autres régions du pays. Au printemps dernier, le Leaders of Color Crew du Southwest Conservation Corps a rejoint l'aventure avec une équipe non blanche et l'Ancestral Lands Conservation Corps avec un large éventail de groupes pour les jeunes natifs et les jeunes adultes dont une équipe uniquement composée de femmes qui travaille à la restauration de l'habitat dans le parc national du Grand Canyon.

    De la même façon, l'Eastern Sierra Conservation Corps (ESCC), basé en Californie, a récemment lancé le WILDlands (Wilderness Immersion Leadership Development) Technical Crew, un programme de huit mois pour les adultes LGBTQ âgés de 21 à 30 ans. Le groupe travaille actuellement sur des projets dans les parcs nationaux de Sequoia et Kings Canyon. En plus du projet WILDlands, l'ESCC organise des séjours immersifs de huit jours dans la nature avec une formation à l'entretien des sentiers pour les jeunes femmes et les jeunes LGBTQ.

    Le Rainbow Crew en pleine construction d'un mur de soutènement en pierre pour garantir la stabilité du sentier dans le parc national du Mont Rainier.

    Courtesy Northwest Youth Corps

    Contrairement aux programmes au long terme proposés par NYC et une poignée d'autres organisations, la Washington Trails Association (WTA) organise de son côté des voyages d'une semaine, comme son LGBTQ Youth Volunteer Vacation, une excursion de six jours dans le parc national du Mont Rainier axée sur l'entretien des sentiers. L'organisme propose également aux adultes de la communauté LGBTQ des séjours de bénévolat, avec une excursion dans la forêt d'État de Yacolt Burns prévue cet automne, ainsi que des journées de travail sur les sentiers pour les jeunes et moins jeunes.

    Un autre groupe, le Venture Out Project, une organisation à but non lucratif queer de découverte des grands espaces, emmènera ce mois d'août des adultes LGBTQ pour un séjour de travail sur les sentiers du parc national de Yellowstone. D'après Oliver Reitz, l'un des cordirecteurs du séjour, un grand nombre de personnes LGBTQ habituées des activités de plein air commencent à s'impliquer de plus en plus dans l'entretien des sentiers.

    « Nous avons créé une communauté, » dit-il à propos des personnes LGBTQ investies sur les sentiers. « Je pense que nous sommes nombreux à réaliser que l'attention de notre communauté doit s'étendre aux sentiers et à la terre elle-même. » 

    Pour beaucoup de personnes queers et issues de groupes marginalisés, les initiatives sensibles à l'identité, comme le Rainbow Conservation Crew et d'autres groupes, offrent aux adolescents et aux jeunes adultes l'occasion d'explorer la nature et de se former à sa conservation, autant d'activités qui ont pu leur sembler inaccessibles par le passé.

    Pour Will Shaforth, PDG de la National Park Foundation, le nombre de corps LGBTQ et de groupes aux affinités variées va progressivement augmenter dans les années à venir en raison de la demande pour ce type de programmes et des besoins en travail de conservation sur les territoires publics des États-Unis.

    « Nous devons former les futurs défenseur.ses de ces espaces publics, » déclare Shafroth, au sujet du financement accordé par la fondation à plusieurs corps de conservation LGBTQ à travers le pays, du NYC à l'ESCC. « L'un des plus grands défis dans la gestion de nos territoires, et pas uniquement celle des parcs nationaux, c'est de veiller à ce que tout le monde se sente à sa place dans ces espaces. Nous voulons créer des expériences agréables que chaque personne pourra ajouter à la diversité des choses qu'elle aime dans la vie. »

    Miles Griffis est un journaliste et auteur indépendant basé à Los Angeles, en Californie. Il a écrit pour plusieurs rédactions, dont celles du High Country News, du  New York Times et de Vogue. Retrouvez-le sur Instagram et Twitter.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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