Ce chasseur de tornades a pris tous les risques pour faire avancer la science

Depuis toujours, Tim Samaras voulait devenir chasseur de tornade. Son rêve est devenu réalité et il était même l'un des meilleurs. Jusqu'à la tornade meurtrière El Reno en 2013.

De Simon Worrall

Nous connaissons tous cette scène célèbre du Magicien d'Oz, dans laquelle Dorothy est transportée par une tornade vers une terre magique. Pour les chasseurs de tornade des temps modernes comme Tim Samaras, qui a obtenu plusieurs bourses de la National Geographic Society et qui est le héros du livre The Man Who Caught the Storm de Brantley Hargrove, les tornades suscitent à la fois émerveillement et terreur. Ces casse-cous risquent souvent leur vie pour s'approcher au plus près des tornades, ces phénomènes météorologiques violents afin d'aider les scientifiques à comprendre comment ils se produisent.

National Geographic a rencontré Brantley Hargrove dans sa maison de Dallas, au Texas. L'auteur revient sur Tim Samaras, qui était bien plus qu'un chasseur de tornades, explique pourquoi les Grandes Plaines sont le lieu principal de formation des tornades et pourquoi la tornade qui a tué Tim Samaras était si meurtrière.

PHOTOGRAPHIE DE Simon & Schuster Publicity

Votre livre est centré sur un homme, Tim Samaras. Pouvez-nous dire qui il était et comment il est devenu chasseur de tornade ?

Personne n'aurait imaginé que quelqu'un comme Tim parviendrait à obtenir des données que des scientifiques essaient de collecter depuis des décennies sans succès. C'était un garçon issu de la classe moyenne, qui a grandi à Lakewood, dans le Colorado. Il aimait démonter les appareils électroménagers de sa mère et réaliser de petites expériences dans sa chambre. Une fois, pendant un orage, il a établi une connexion à un poteau électrique situé à l'extérieur pour voir s'il pouvait diriger une petite charge d'électricité jusqu'à une ampoule. Il réglait aussi la radio pour écouter le tonnerre statique occasionné par des éclairs au loin. Les tempêtes le fascinaient.

C'est un documentaire NOVA sur les tornades qui a suscité son intérêt pour la chasse aux tornades. Dans ce documentaire, des scientifiques comme Howie Bluestein poursuivaient des tornades pour essayer de placer une sonde dans leur cœur. Tim était captivé par ces images d'hommes localisant des tornades, les poursuivant sur des chemins de terre, tout en essayant de rester devant. C'est ce qu'il voulait faire. Il voulait devenir chasseur de tornades.

 

Dans votre livre, vous écrivez : « Il y a peu encore, le cœur d'une tornade était aussi difficile d'accès que la surface du soleil ». À quoi ressemble le cœur d'une tornade et pourquoi la « tortue » de Tim Samaras fut une innovation aussi importante ?

Pendant des décennies, les scientifiques ont tenté d'obtenir des données depuis le cœur des tornades très puissantes, mais ont échoué. C'est bien évidemment un endroit très dangereux. Les tornades les plus puissantes peuvent atteindre 320 km/h et transportent des débris capables de faire tomber des poteaux téléphoniques. De plus, les tornades arrivent un peu par hasard. S'il est possible de prévoir les ouragans des jours avant qu'ils ne se produisent, avec les tornades, nous ignorons qu'elles vont se produire parfois jusqu'à 10 min avant, ce qui rend l'obtention de données très difficile.

Dans les années 1990, des millions de dollars ont été investis au niveau fédéral dans le Vortex Project, créé pour tenter de comprendre les tornades. Même si ce projet a permis de s'approcher des tornades à un niveau jamais atteint auparavant, la sonde n'est pas parvenue jusqu'au cœur du phénomène météorologique. Puis Tim est arrivé, lui qui n'avait aucun diplôme, contrairement à tous ces scientifiques doctorants météorologues ou professeurs, et il a inventé cette « tortue ».

Cet instrument conique, fabriqué à partir d'une coque en acier usiné, mesure 50 cm de diamètre et 15 cm de haut. Il fait environ la taille d'un pneu de berline et peut résister à l'écoulement des fluides d'une tornade particulièrement violente. Un bouton au dos de l'appareil permet de l'allumer. Ensuite, il suffit de l'enterrer, de s'éloigner très rapidement et de revenir chercher l'instrument une fois la tornade passée.

 

Pour positionner l'une de ses sondes, Tim devait être à 45 mètres d'une tornade. Parlez-nous de cette limite entre sécurité et danger. Comment Tim est-il entré dans l'histoire dans le Dakota du Sud ?

Tim était toujours très prudent. Mais il avait compris que pour placer l'instrument dans le cœur de la tornade, il fallait se rapprocher de ce « no man's land » comme je l'appelle. Il faut d'abord se placer en face de la tornade et c'est vraiment difficile à faire. Elles se déplacent à des vitesses différentes et peuvent atteindre jusqu'à 65 km/h. En plus, elles zigzaguent, donc il faut être vraiment proche pour être sûr que l'instrument sera bien positionné au cœur. C'est un sacré pari que Tim a tenté bon nombre de fois.

C'est dans le Dakota du Sud qu'il est enfin parvenu à positionner correctement sa « tortue ». La tornade Manchester, de catégorie F4, était la plus grosse et la violente qu'il avait jamais vu. Il pouvait voir les débris absorbés monter dans l'entonnoir, emportant des maisons sur son passage. Tim était accompagné de Pat Porter. On sent dans la voix de ce dernier qu'il est très nerveux lorsqu'il dit à son collègue « Tim, dépêche-toi s'il te plaît ! ». Alors Tim saute de la voiture, allume la sonde, l'enterre, court à toute vitesse vers le véhicule et part aussi vite que possible. Des débris de maisons tombent devant lui sur la route. Il l'ignorait alors mais il venait de réaliser ce que des scientifiques ont tenté de faire pendant des décennies : la tornade F4 est passée pile sur sa sonde. C'était un grand jour.

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    En 2013, près d'El Reno dans l'Oklahoma, Tim est finalement tombé sur la tornade qu'il avait toujours voulu chasser. Que s'est-il passé ce jour-là ? 

    Il était inévitable que la tornade El Reno de 2013 tue des chasseurs de tornade. Tim n'a pas été le seul à se mettre dans une position plus que délicate. Alors que d'habitude, il conduisait un gros 4 x 4 diesel GMC, cette fois-ci, il avait une berline. Trois sondes étaient dans le coffre et Tim était accompagné de son fils, Paul et de son collègue Carl Young.

    Tous les indicateurs étaient au vert pour qu'une grosse tornade se forme et celle-ci a rapidement grandi pour atteindre des dimensions immenses. Tim, Paul et Carl étaient au sud d'une petite ville, El Reno, et ils roulaient principalement sur des chemins de terre. Les choses ont commencé à sérieusement se compliquer alors qu'ils se dirigeaient vers l'est. Ils se sont rendus compte que c'était une impasse et qu'ils ne pourraient plus suivre la tornade. À cause de cela, ils ont été obligés de conduire plus près de la tornade que ce qu'ils souhaitaient.

    Des débris tombaient sur la berline et Tim et Carl savaient bien qu'ils étaient en mauvaise posture. Ils ont alors pris la direction du nord dès qu'ils ont eu l'occasion. Mais la tornade allait plus vite qu'eux au moment où ils arrivaient sur la Highway 81. Elle était de plus en plus grosse et son diamètre faisait environ 3 km.

    C'était la pire tornade à intercepter. Il pleuvait des cordes et un mur de pluie se trouvait au nord. Ils ne pouvaient donc pas voir la tornade la plupart du temps. C'est devenu extrêmement dangereux lorsqu'elle a fini par atteindre 130 km/h et quand elle a commencé à se diriger vers eux. Sauf qu'ils ne l'ont pas compris et ils ne le voyaient pas. Finalement, le mur de pluie les a dépassés et ils se sont retrouvés face à des vents de 160 km/h. Ce n'est qu'à la toute fin que Tim a compris à quelle point leur situation était désespérée. Avec trois adultes et trois sondes en acier à son bord, la route détrempée et les vents puissants, la berline n'avançait plus qu'à 30 km/h. À ce moment-là, ils étaient dans le cœur de la tornade.

    Il est possible de s'en sortir lorsque l'on est dans le cœur d'une tornade, mais pas dans son sous-vortex. Le diamètre du sous-vortex est changeant et ses vents peuvent atteindre 320 km/h. L'équipe a certainement été prise par surprise par ce vent mortel. Le sous-vortex a percuté leur véhicule, l'a soulevé et ses vents tourbillonnants dans le sens inverse des aiguilles d'une montre l'a transporté vers le nord-est avant de le faire retomber dans un champ, à près de 200 mètres de l'endroit où il se trouvait avant d'être happé. Tim, son fils Paul et son collègue Carl ont probablement été tués sur le coup.

     

    Avec le changement climatique, les tornades sont plus fréquentes et plus violentes. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

    En ce qui concerne le changement climatique et son influence sur les tornades, la science manque encore d'éléments. L'hypothèse actuelle est la suivante : le changement climatique va avoir un impact sur les principaux responsables des tornades. Comme les océans se réchauffent, le taux d'évaporation va augmenter, l'air sera plus humide et c'est de cette humidité dont ont besoin les tornades pour se former. Des études révèlent aussi qu'il pourrait aussi y avoir une baisse du cisaillement du vent, qui est un autre élément dont les tornades ont besoin pour se former. Elles ne peuvent pas survivre dans des vents unidirectionnels, elles ont besoin de vents qui convergent. Il se peut donc qu'avec le changement climatique, il y ait moins de tornades. Mais si elles se forment, elles risquent d'être bien pires que ce que nous avons vu jusqu'à présent.

    L'explorateur National Geographic Anton Seimon poursuit les tornades

     

    Concluons avec l'héritage de Tim. Était-il juste un chasseur de tornade extrêmement talentueux ? A-t-il eu un impact durable sur la compréhension scientifique des tornades ?

    Bien sûr qu'il a eu un impact durable. Il a montré qu'il était possible d'obtenir des données du cœur d'une tornade violente. C'était vraiment quelque chose. Son travail a inspiré d'autres chasseurs de tornades, comme Joshua Wurman, du Center for Severe Weather Research, qui conçoit des instruments qu'il place dans le cœur des tornades sur le terrain. Il n'a pas encore réussi à les placer au bon endroit, comme Tim, mais il continue d'essayer.

     

    Cette interview a été éditée pour des raisons de longueur et de clareté.

    Simon Worrall écrit pour le Book TalkRetrouvez-le sur Twitter ou sur son site internet simonworrallauthor.com.

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