Ces femmes dites "difficiles" parce qu'elles n'ont pas voulu se conformer aux stéréotypes
Le dernier livre de Karen Karbo dresse le portrait de 29 femmes indépendantes et courageuses, de Jane Goodall en passant par Frida Kahlo et Billie Jean King.
Comme l'a si bien dit Katharine Hepburn, « si vous respectez toutes les règles, vous passez à côté de tous les plaisirs ». Karen Karbo, auteure du livre In Praise of Difficult Women, nous a accordé une interview pour discuter de quelques femmes iconiques qui l'ont inspirée, de l'aviatrice Amelia Earhart en passant par la journaliste Rachel Maddow et la primatologue et exploratrice National Geographic Jane Goodall. Toutes ces femmes ont deux points communs : une détermination sans faille et le courage de casser les codes.
Interviewée depuis sa maison à Portland, dans l'Oregon, Karen Karbo explique pourquoi Jane Goodall était l'une de ses héroïnes d'enfance ; pourquoi elle trouve qu'il est difficile d'être une femme moderne et pourquoi les femmes sont considérées comme « difficiles » dès lors qu'elles assument de ne pas correspondre à des stéréotypes.
On considère souvent qu'être difficile est un mauvais trait de caractère, mais pour vous, il s'agit d'une qualité. Pouvez-vous nous expliquer ce paradoxe et le lien entre les différentes femmes que vous mentionnez dans votre livre ?
Le titre du livre ne mentionne pas les sous-entendus qui entourent le terme « difficile ». Les femmes fortes, passionnées et déterminées ne se pavanent pas en disant « Regardez, je suis difficile ». Elles ne font que vivre leur vie. Ce terme « difficile » est utilisé par les autres pour décrire ces femmes. Si vous vous moquez de ce que les gens pensent, vous serez considérée comme une femme difficile parce que vous ne faites pas ce que l'on attend de vous. Une femme difficile est donc une femme qui ne fait pas ce qu'elle devrait faire, une femme qui dérange ou une femme qui estime que ses propres besoins, objectifs et désirs sont aussi importants que ceux des autres. L'une des premières critiques du livre m'a dit que la barre était bien basse. Je l'ai remercié d'avoir souligné ce point pour moi. Il ne faut pas grand chose pour être perçue comme une femme difficile. C'est pour cela que nous sommes si nombreuses [rires].
Dans ce livre, je parle de 29 femmes. Chacune de ces femmes a un caractère bien spécifique. Je me suis donc focalisée sur cet aspect de leurs personnalités pour écrire le livre. Regardez Rachel Maddow, c'est une personne très intelligente. Et très souvent, une femme qui n'a pas peur de montrer qu'elle est intelligente peut-être considérée comme difficile. Les gens se disent : « Pour qui se prend-t-elle, cette madame je-sais-tout ? ».
La première personne dont je parle dans le livre est J.K. Rowling, que je surnomme la « combattante ». Une personne comme elle aurait pu se reposer sur ses lauriers, continuer de développer la franchise Harry Potter ou bien écrire des romans policiers. Mais elle a décidé d'être active sur Twitter, d'interpeller les gens, de dire sa vérité et elle en fait parfois les frais. Mais elle est comme ça, elle a besoin de s'exprimer, peu importent les conséquences.
Jane Goodall est l'un des explorateurs National Geographic les plus connus. Pouvez-vous nous parler du moment où elle a tenu bon face aux critiques de ses supérieurs masculins ? Pourquoi avoir confiance en soi est-il si important pour une femme ?
Jane Goodall est l'une de mes premières idoles. Mes parents étaient abonnés à National Geographic et avant même de savoir lire, je tournais les pages du magazine et je regardais les photographies de Jane Goodall en Afrique, accroupie dans ses vêtements kaki, en train de parler à un chimpanzé. N'oublions pas son parcours : elle est l'une des 8 personnes à avoir été autorisées à faire un doctorat à Cambridge alors qu'elle n'avait pas de diplôme. Tout ce qu'elle savait, elle l'avait appris sur le terrain.
Imaginez à quel point elle devait être intimidée lorsqu'elle a rencontré les professeurs de Cambridge. Ils se moquaient un peu d'elle parce qu'elle voulait absolument donner des noms aux chimpanzés et parce qu'elle avançait que ces animaux avaient une structure sociale spécifique, mais aussi des personnalités propres à chaque individu. À l'époque, cette idée était complètement absurde. Ils lui ont alors dit qu'elle était retombée en enfance, ce à quoi elle a répondu : « Toute personne qui possède un chien sait qu'un animal a sa propre personnalité ». Il lui a fallu beaucoup de courage pour dire à ces professeurs qu'elle savait ce qu'elle savait et que malgré leur parcours, leur autorité et leur pouvoir, elle n'allait pas changer d'avis.
Vous écrivez : « Nous sommes fatiguées, ou du moins je le suis, par les demandes faites aux femmes américaines ». Quel est votre sentiment ? Est-il plus facile, ou bien plus difficile d'être une femme indépendante aujourd'hui ?
Les femmes d'aujourd'hui ont l'impression qu'elles doivent toujours en faire plus. À l'université, j'avais une amie qui courait 1,6 km par jour. Nous avions l'impression qu'elle se préparait pour les Jeux Olympiques. Aujourd'hui, si vous courez 1,6 km, c'est comme si vous ne faîtes rien [rires]. Nous devons toutes être en forme, ce qui nécessite énormément de temps. Nous accouchons et huit heures plus tard, nous devons être prêtes à fouler le tapis rouge. Nous devons avoir une carrière, tout en étant capable de faire des rencontres, de lire tous les bons livres et de voir tous les bons films.
En plus, Internet ne nous aide pas : nous voyons 24h sur 24, 7j sur 7 tout ce que nous devons améliorer chez nous. Avant, c'était le rôle des magazines de mode, qui ne paraissaient qu'une fois par mois, donc une fois le magazine terminé, nous étions tranquilles pendant 3 semaines. Aujourd'hui, tous les jours, nous voyons quelque chose pour nous améliorer, comme les 10 façons d'améliorer son jeu au tennis, 9 façons d'améliorer sa vie amoureuse. C'est un flux constant d'informations qui vous empêche de penser à autre chose que vous. Du coup, vous finissez par vous dire : « Mon dieu, je joue mal au tennis et je n'y avais jamais pensé avant ! [rires]. C'est de la folie ! ».
Amelia Earhart a dit : « Les femmes devraient essayer de faire l'impossible, comme les hommes ». Elle avait aussi une vision assez peu commune du mariage...
Avec George Putnam, ils formaient le couple parfait. C'était un entrepreneur né. Il était l'héritier de la maison d'édition GP Putnam Sons Publishing, qui a publié beaucoup de livres d'exploration et d'aventure. Il était lui-même explorateur et il est naturellement tombé amoureux d'Amelia, puisqu'elle était la personne idéale à soutenir. Elle était courageuse, très photogénique, polie, très bien habillée, très dynamique et s'intéressait vraiment aux autres.
Le jour de leur mariage, elle a donné une lettre à George Putnam dans laquelle elle expliquait qu'elle n'allait pas mettre un terme à ses activités pour devenir une femme traditionnelle. Ce qui sous-entendait qu'elle allait essayer de lui être fidèle, mais qu'il ne devait pas trop se faire d'illusions à ce sujet [rires]. J'ai décidé de la mentionner dans le livre parce que je voulais parler de femmes introverties. Lorsque l'on pense à des femmes difficiles, on a tendance à les imaginer extraverties, aux idées très arrêtées. Mais, à l'instar de Jane Goodall et Amelia Earhart, il y a aussi beaucoup de femmes introverties et discrètes, qui ont fait ce qu'elles voulaient en toute discrétion.
Martha Gellhorn, écrivain et journaliste, est surtout connue pour avoir épousé Hemingway. C'est un peu réducteur, non ?
Oui, Martha est connue pour être la troisième femme d'Hemingway. Je pense qu'elle doit se retourner dans sa tombe si elle entendait cela, parce qu'elle était aussi une écrivain et journaliste intrépide. Elle est d'ailleurs la seule femme d'Hemingway à l'avoir quitté parce qu'elle ne supportait plus de ne pas voyager. Elle voulait être là où se préparait l'avenir du monde.
Elle était aussi extraordinairement courageuse. Elle a fait tout ce qu'il fallait pour se rendre sur le front de la Seconde Guerre mondiale, en se cachant dans un bateau, en prenant l'avion en mentant sur ses intentions ou en prétendant être une infirmière. L'injustice, et en particulier l'injustice économique, était son sujet de prédilection. Elle était intelligente, très difficile et chic. C'était une grande blonde qui portait de superbes tenues de chasse.
Parmi les femmes que vous mentionnez dans votre livre, bon nombre d'entre elles avaient une sexualité libérée. C'est notamment le cas de l'artiste peintre mexicaine Frida Kahlo. Ce type de comportement est-il nécessaire pour être considérée comme « difficile » ?
Les femmes ont tendance à vouloir plaire à tout le monde, mais cela signifie qu'au fur et à mesure, elles n'expriment plus certains aspects de leur personnalité. C'est un peu comme si quelqu'un qui habite dans une grande maison ferme toutes les pièces vides jusqu'à vivre uniquement dans la cuisine et le salon. Les femmes difficiles, elles, gardent toutes les portes ouvertes. Ces femmes sont humaines et elles n'hésitent pas à explorer chaque pièce.
Je ne pense pas qu'il y ait de lien entre être difficile et différente, mais il est vrai que les femmes difficiles ont tendance à montrer tous les différents aspects de leur personnalité. Elles sont elles-mêmes et ne se cachent pas. Il est donc souvent vrai que les femmes difficiles ne restent pas sur les sentiers battus de leur genre ou qu'elles cèdent à leurs désirs sexuels.
Billie Jean King a récemment été mise à l'honneur dans le film Battle of The Sexes. Mais son match de tennis contre Bobby Riggs n'était qu'une petite contribution à son engagement pour l'émancipation des femmes, n'est-ce-pas ?
La « bataille des sexes » a bien évidemment été l'événement marquant de son engagement pour les femmes, mais la politique a aussi joué un rôle en arrière-plan, comme lorsqu'elle a quitté la fédération de tennis des États-Unis pour protester contre le salaire des joueurs de tennis qui ne cessait d'augmenter au fur et à mesure que le tennis devenait plus populaire, tandis que celui des joueuses restait le même, voire diminuait. C'est pour cela qu'elle a fondé un tournoi féminin.
Dans les années 1970, lorsque Billie Jean a débarqué sur les courts, le tennis féminin était considéré comme une petite attraction par rapport au tennis masculin. Les joueuses portaient des jupes courtes, elles étaient jolies et luisaient de sueur. Personne ne les prenait au sérieux. Mais dès le début, Billie Jean était une véritable compétitrice. Aujourd'hui, lorsque nous voyons le niveau des sœurs Williams et leurs salaires, nous ne sommes pas surpris, mais à l'époque de Billie Jean, ce n'était pas toujours le cas. Cette joueuse a été la première à montrer ce dont elle était capable et ce que voulait dire être un athlète professionnel sérieux.
Elle est aussi devenue porte-drapeau de la communauté LGBT.
Oui, en effet. Alors qu'elle a grandi dans une zone conservatrice de la Caroline du Sud qui était particulièrement homophobe. Lorsqu'elle a enfin accepté sa sexualité, elle a déclaré qu'elle était elle-même homophobe ! La situation était donc très confuse pour elle. Et puis Marilyn Barnett, son amante, a révélé publiquement qu'elle était lesbienne. Tout le monde lui a dit qu'il fallait qu'elle démente les propos mais elle n'a pas pu. Elle devait jouer la carte de l'honnêteté et ce fut une étape très difficile pour elle. Cela a aussi eu des répercussions sur sa relation avec ses parents. Dans ce livre, je ne rends pas seulement hommage aux femmes difficiles ; je sous-entends aussi que vous pouvez être une femme difficile et surmonter les épreuves de la vie et que vous allez vous en sortir.
Si vous aviez l'occasion de dîner avec l'une de ses femmes, avec qui souhaiteriez-vous passer la soirée et pourquoi ?
Ce n'est pas une question facile, il faut que j'y réfléchisse [rires]. Il y a une femme dont nous ne parlons pas beaucoup, c'est Vita Sackville-West. Je pense que j'aimerais dîner avec elle. Écrivain et poète, Vita était mariée à Harold Nicholson, écrivain lui aussi. Elle fut aussi l'amante de Virginia Woolf. Aujourd'hui, nous sommes familiers avec les différentes identités sexuelles et elles ne nous surprennent pratiquement plus. Mais Vita a été l'une des premières personnes à se battre contre les idées de l'époque. Elle a eu deux fils, l'un d'entre eux a d'ailleurs écrit une très belle biographie sur le mariage de ses parents. Elle a même aménagé un jardin de renommée mondiale au Château de Sissinghurst. J'aimerais donc bien qu'elle me donne quelques conseils de jardinage [rires].
Cette interview a été éditée pour des raisons de longueur et de clarté.
Simon Worrall écrit pour le Book Talk. Retrouvez-le sur Twitter ou sur son site internet simonworrallauthor.com.