COVID-19 : le personnel hospitalier épuisé par les vagues successives
Le personnel de cet hôpital en Belgique a dû faire face à trois vagues de COVID-19, sans relâche. Tous, ou presque, ont atteint leur point de rupture.
Héloïse, Jenna et Mégane, trois étudiantes en médecine, ont passé la période de la crise de la COVID-19 ensemble pour se former au métier de médecin au Centre Hospitalier Universitaire de Tivoli. L’été dernier, le personnel du centre a été invité à participer à une séance de portraits photo pour évacuer le stress et l’épuisement qui découlaient de la gestion de trois vagues de patients victimes de la pandémie. Tous les membres du personnel du C.H.U. de Tivoli photographiés ci-dessous ne sont désignés que par leur prénom en vertu d’un accord avec la direction de l’hôpital.
Il y a six mois, un papier épais recouvrait les fenêtres d’un bureau situé au onzième étage d’un hôpital de La Louvière, en Belgique. L’éclat de l’été était occulté. Une toile de fond sombre était suspendue dans le bureau et un appareil photo avait été installé juste devant. Depuis un ordinateur portable, des notes de violoncelle et de piano mélancoliques envahissaient la pièce. En cinq jours, près de soixante membres du personnel du Centre Hospitalier Universitaire de Tivoli, des gardiens aux ambulanciers, se sont mobilisés, ont baissé leur masque et ont laissé les seize mois d’épuisement dû à pandémie prendre place sur leur visage.
Julien, médecin au service des urgences du C.H.U. de Tivoli, pose pour un portrait dans un studio éphémère mis en place par le photographe Cédric Gerbehaye.
Virginie, infirmière en chef adjointe du service des soins intensifs du C.H.U. de Tivoli.
Hatice, assistante des services logistiques au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
Manu, infirmier au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
Nombre d'entre eux ont versé des larmes, certains avant même que l’appareil ne soit braqué sur eux. D’autres sont tombés au sol. Parfois, Cédric Gerbehaye, le photographe, quittait son viseur pour les prendre dans ses bras et les réconforter.
Une infirmière au service des soins intensifs du C.H.U. de Tivoli réconforte une collègue après la perte d’un patient dû aux complications de la COVID-19.
Vanessa, aide-soignante de l’équipe mobile du C.H.U. de Tivoli.
Émilie, médecin au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
La peur, la tristesse et la rage qui ont éclaté lors de ces séances avaient été cachées aux amis et à la famille pour certains. D’autres se le cachaient à eux-mêmes. « Ils ont pu se relâcher pendant ces sessions », souligne Cédric Gerbehaye. « Ils avaient l’opportunité d’être simplement présents pour eux-mêmes, sans personne dont ils devaient s’occuper, sans collègue à aider ou à soutenir, sans membre de la famille à rassurer. Personne d'autre qu'eux. »
Ghislaine, infirmière au service gériatrique du C.H.U. de Tivoli.
Xavier, infirmier au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
Originaire de Bruxelles, Cédric Gerbehaye est arrivé à La Louvière en avril 2020. À l’instar de nombreux autres lieux, cette ville minière et sidérurgique était elle aussi confrontée à un nombre croissant de cas de COVID-19. Cédric Gerbehaye a obtenu l’autorisation du bourgmestre pour accéder à l’ensemble des services de première ligne de la ville. C’est ainsi qu’il s’est attelé à la création d’une archive historique de la pandémie à travers les yeux du personnel de l’hôpital.
Une équipe d’intervention d’urgence mobile est envoyée au domicile des patients atteints de la COVID-19. Le médecin remplit les papiers pour qu’une femme et son fils, tous deux symptomatiques, soient transportés à l’hôpital, où le père de famille est déjà admis en soins intensifs.
Lors de la première vague au printemps 2020, le personnel du C.H.U. passait toute la journée à l’étage, sans manger, ni boire, ni même se rendre aux toilettes. Leur équipement de protection les faisait transpirer abondamment. Lors de la deuxième vague, ils étaient tous prêts. Ils avaient acquis de nouvelles compétences pour s’attaquer à cette maladie auparavant mystérieuse. Ils attachaient des poches de froid pour les aider à se rafraîchir.
Le 8 janvier 2021, les premières doses du vaccin Moderna ont été administrées au C.H.U. de Tivoli.
La main d’Alain, membre du service logistique au C.H.U. de Tivoli, où l’on peut lire le mot « LOVE » tatoué sur ses doigts.
Cette vague a été compliquée mais dès juillet 2021, la ville a dû faire face à une nouvelle vague d’infections au coronavirus, la troisième. Depuis quinze mois et à travers trois vagues, Cédric Gerbehaye documente le quotidien à l’hôpital de Tivoli ainsi que celui de son personnel. Cette fois-ci, la fatigue n’était pas la même. Les employés étaient épuisés, malades et découragés. Certains étaient encore hantés par les précédentes vagues. Nombreux étaient ceux qui s’absentaient du travail car ils étaient malades. « C’est à ce moment-là que la ligne de fracture s’est fait ressentir », poursuit M. Gerbehaye.
La pandémie a été synonyme de défi pour certains ménages déjà dans des situations précaires et d’insécurité alimentaire. Dans le village de Houdeng-Aimeries, non loin de La Louvière, une distribution de produits d’épicerie se tient pour ceux dans le besoin.
Un lit au C.H.U. demande l’intervention de douze membres du personnel, que ce soit pour la gestion des machines ou les soins au patient sur vingt-quatre heures. À cause des absences lors de la troisième vague, ces tâches étaient parfois réparties entre tout juste huit personnes.
L’été dernier, près de la moitié de la population belge avait reçu toutes ses doses de vaccin. Toutefois, les rumeurs et les théories du complot s’étaient également fait leur place. Un an auparavant, le personnel de santé était applaudi tous les soirs à 20 heures. Petit à petit, ils ont eu le sentiment que la société les méprisait, refusant les obligations du port du masque et la vaccination. Les politiciens ne semblaient pas non plus reconnaître leurs efforts. « À la fin de la troisième vague, je pouvais déjà ressentir que certains avaient perdu espoir », confie Cédric Gerbehaye. « Non pas en ce qu’ils faisaient mais en la considération que les gens avaient pour eux. »
C’était pour eux la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le personnel de santé de cet hôpital venait de gérer trois vagues de cas de COVID-19, sans relâche. Ils ont fini par atteindre un point de rupture.
Tuan, médecin au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
Caroline, médecin au service des urgences du C.H.U. de Tivoli.
Au cours de la session de portraits de l’été dernier, qui s’est étendue sur une semaine, l’un des membres du service des urgences et des soins intensifs a confié à Cédric Gerbehaye qu’il pensait à démissionner, après près de vingt ans passés à l’hôpital. Il pensait à se reconvertir en conducteur de train.
« Ce que la pandémie a principalement révélé, ce sont nos limites. Après une troisième vague, comment voulez-vous faire lorsque votre corps ne possède plus d’énergie ? Vous êtes malade, fatigué et vous souffrez de stress post-traumatique. D’une certaine façon, tous [ces sentiments] étaient libérés lorsque je les photographiais. »
Le studio de portraits était une forme de catharsis pour les employés et pour Cédric Gerbehaye lui-même. Lui aussi s’est senti libéré après cette semaine, préparé à dire au revoir à ce lieu où il avait donné naissance à certaines des œuvres les plus émouvantes de sa carrière. Il a compilé ces portraits ainsi que plusieurs de ses anciens travaux dans un livre intitulé Zoonose aux côtés de l’écrivaine Caroline Lamarche. Ils lui ont également permis de tenir une exposition locale. « Je ne suis plus la même personne désormais. C’est un ouvrage qui m’a changé. »
Cédric Gerbehaye est un photographe documentaire belge et membre fondateur de l’agence MAPS. Il est l’auteur des livres Congo in Limbo (2010), Land of Cush (2013) Sète N° 13 (2013), D’entre eux (2015) et plus récemment Zoonose. Son travail a reçu plusieurs reconnaissances internationales (le Olivier Rebbot Award du Overseas Press Club of America, un World Press Photo ainsi qu’un Amnesty International Media Award). Ses clichés peuvent être retrouvés dans des collections du musée des Beaux-Arts de Houston, du musée de la Photographie à Charleroi, de la Maison Européenne de la Photographie à Paris ou encore du musée de la photographie à Anvers.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.