Reportage - Être une personne LGBTQ en Ouganda en 2019
Certains membres de la communauté LGBTQ d'Afrique de l'est, indésirables dans leurs propres pays du fait de leur sexualité, se sont construit une vie faite de résilience et de beauté.
En décembre 2013, le traitement que l'Ouganda réservait à la communauté LGBTQ à l'intérieur de ses frontières a été officialisé par l'adoption de la loi anti-homosexualité. Le projet a été adopté avec la proposition de peine de mort diminuée au profit de la prison à vie.
Après l'entrée en vigueur de la loi, les activistes LGBTQ d'Ouganda ont reçu des dons et des aides du monde entier pour organiser la défense des personnes homosexuelles, transexuelles, bisexuelles et transgenres dans le pays. « Le problème, c'est que cette visibilité soudaine sur le plan international a suscité de vives réactions sur le terrain, où les violences contre les membres de la communauté LGBTQ se sont multipliées. Et ces violences ne sont pas perpétrées à la demande des politiciens ou des responsables religieux. Ce sont les citoyens ougandais, leurs voisins, leurs connaissances, leurs familles qui les blessent et vont jusqu'à les tuer... »
Aujourd'hui, malgré l'abandon de la loi en 2014, la communauté gay ougandaise vit des heures bien plus dangereuses encore.
Le projet de Jake Naughton, This is How the Heart Beats (C'est ainsi que battent les cœurs), attire notre attention sur l'exode forcé des réfugiés LGBTQ en Afrique de l'est. La série photographique suit les réfugiés, de l'Ouganda vers le Kenya ou les États-Unis. Certaines des personnes que Naughton a suivi ont même fait le choix décisif de retourner en Ouganda.
Jake Naughton s'est rendu en Ouganda en 2017 pour documenter la vie des Ougandais LGBTQ. Bien que les personnes qu'il a photographié avec sensibilité et pudeur ne sont pas formellement identifiées comme des activistes, les actions banales qu'ils mènent peuvent dans ce pays être assimilées à une forme d'activisme pour ceux qui souhaiteraient les voir bannis ou condamnés à mort.
Le photographe reconnaît qu'en tant qu'Américain, Blanc de surcroît, l'identification aux souffrances des personnes qu'il a photographiées était limitée, mais qu'en tant que « gay, une confiance implicite s'est créée et je comprenais le danger et les difficultés de vivre et même d'entrer dans le pays, » dit-il.
Au Kenya, les réfugiés photographiés par Naughton lui ont souvent demandé de taire leur identité de crainte que leurs familles restées au pays ne soient confrontées à des représailles. Mais au contraire en Ouganda, presque tous les sujets du reportage étaient fiers de montrer leurs visages. « La plupart d'entre eux avaient déjà fait leur coming-out », se souvient Naughton, ajoutant que « cela ne signifiait pas que les enjeux étaient moins importants. » Ils sont constamment confrontés au danger, pour la simple raison qu'ils assument pleinement leurs orientations sexuelles.
Pour mettre en exergue la surveillance publique et privée que subissent les personnes LGBTQ en Afrique de l'Est, Jake Naughton utilise souvent un flash hors-champ pour les photographier. La lumière vive qui envahit le cadre offre une métaphore visuelle de la surveillance indésirable à laquelle elles sont exposées. Contrastée par les ombres profondes créées par le flash, la dynamique fournit une « manière élégante de parler de la dualité d'être une personne LGBTQ en Afrique de l'Est», explique Naughton, pour qui le secret est induit par la menace de représailles.
Naughton se voit de plus en plus comme un documentariste de la communauté LGBTQ. « C'est très difficile en tant que gay de voir la violence incroyable à laquelle les gens doivent survivre à cause d'une identité que je partage ». Mais étrangement, Naughton a été rassuré par la résilience profonde des personnes LGBTQ, leur joie de vivre et leur capacité à affronter une quantité inimaginable de traumatismes pour transformer ces expériences en « quelque chose de beau ».
Une jeune femme transgenre nommée Javan incarne la force que décrit Naughton. Après avoir survécu à des exactions brutales en Ouganda, Javan s'est enfuie au Kenya. Six mois plus tard, elle est rentrée chez elle en disant: « Je dois montrer la voie. Quel genre d'exemple donnerais-je aux autres transsexuels ougandais si je quitte le pays ? »
Dans un portrait lumineux que Naughton a fait de Javan près de chez elle à Kampala, son regard fixe l'objectif avec calme et puissance. La communauté ougandaise LGBTQ est « déterminée à réformer les croyances du pays à propos des homosexuels », conclut Naughton, « et ils n'ont pas l'intention de partir tant que ce ne sera pas fait. »
Vous pouvez suivre Jake Naughton sur Instagram et découvrir ses autres travaux photographiques sur son site.