Pour tenter de sauver leur culture, les Quechuas se sont mis au hip-hop

Pour donner de la voix à leur langue et à leur culture, des musiciens autochtones investissent le terrain du hip-hop.

De Renzo Aroni Sulca
Photographies de Victor Zea Diaz
Publication 19 juil. 2024, 16:39 CEST
Cuzco. Javier Cruz, alias Sara Kutay, fusionne chants spirituels et instruments andins avec des rythmes hip-hop. ...

Cuzco. Javier Cruz, alias Sara Kutay, fusionne chants spirituels et instruments andins avec des rythmes hip-hop. Son nom de scène signifie « maïs broyé ». Enfant, il écrasait les grains pour aider ses parents.

PHOTOGRAPHIE DE Victor Zea Diaz

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En cet après-midi de janvier, le soleil brille sur la ville de Juliaca, située près des rives du lac Titicaca, sur les hauts plateaux du sud du Pérou. Des milliers de Quechuas et d’Aymaras se sont rassemblés sur la place principale pour commémorer le massacre, un an plus tôt, de dix-huit opposants politiques et de passants par les forces de l’ordre. Dans la foule, un homme se détache : juché sur un cheval noir, il porte une veste noire, un chapeau noir à large bord et des bottes noir et or. Une tenue destinée à évoquer la figure révolutionnaire la plus vénérée du pays : Túpac Amaru II, le cacique qui mena la rébellion contre la domination espagnole, un symbole de résistance dans les Andes. Le cavalier, connu ici sous le nom de Cay Sur – kay, un mot quechua, et sur, mot espagnol, le tout signifiant « Ce Sud » –, est venu pour exprimer sa solidarité avec les victimes. Et aussi pour rapper.

Sur son cheval, Cay Sur chante Próceres (« Héros »), sur des rythmes hip-hop qui font vibrer le public. Beaucoup ont entendu l’artiste sur YouTube et s’identifient à ses paroles : « Manan wañuchispachu llaqtayta atipanki », lance-t-il en quechua. « En tuant, vous ne vaincrez pas mon peuple. »

Âgé de 20 ans, Cay Sur – ou Yerson Randy Huanco Canaza de son vrai nom – fait partie de la génération montante de musiciens hip-hop autochtones. Comme beaucoup d’entre eux, il s’inspire d’une multitude de cultures et de traditions – à la fois mondiales et 

locales, anciennes et modernes, en s’exprimant tant en espagnol qu’en quechua. Avec d’autres artistes, il est en train de créer quelque chose de totalement nouveau : la bande-son d’une jeunesse désireuse de revendiquer sa langue et ses racines andines.

Embrasser la cause quechua aussi ouvertement aurait été jadis impensable au Pérou. Dans les pays andins et au-delà, le nombre de personnes parlant quechua est compris entre 8 et 10 millions. Pour autant, nombre d’entre elles ont eu honte de notre langue et de nos traditions à cause du racisme ambiant. La culture péruvienne dominante tend à idéaliser la civilisation inca, tout en rabaissant ses descendants, en particulier quand ils tentent de faire valoir leurs droits politiques. 

Lima. Renata Flores est devenue célèbre au Pérou pour ses reprises en quechua de titres de Michael Jackson ou d’Alicia Keys. À présent, elle joue sa propre musique dans de grandes salles, comme ici, au parc de l’Exposition.

PHOTOGRAPHIE DE Victor Zea Diaz

Depuis le milieu du xxe siècle, de nombreux Quechuas migrant vers les villes se sont identifiés à des mestizos, des métis, et non à des autochtones. Et, bien souvent, ils n’ont pas appris le quechua à leurs enfants. De 1980 à 2000, le conflit entre le Sentier lumineux, d’inspiration maoïste, et le gouvernement  péruvien a fait quelque 70 000 victimes et un demi-million de déplacés. La plupart, ruraux, pauvres et parlant quechua, constituaient des cibles pour les deux camps.

Notamment inspirés par Uchpa, un groupe blues-rock du début des années 1990, formé à Ayacucho, épicentre du conflit, de jeunes Andins revendiquent aujourd’hui cet héritage. Reliés au monde extérieur par les réseaux de la diaspora et les médias sociaux, ils réinventent une identité ancrée à la fois dans la modernité et dans le monde indigène. Le hip-hop, de par son oralité, son esprit de communauté et sa culture de résistance, s’impose naturellement comme un instrument de revitalisation du quechua et de la culture andine.

C’est un peu comme si, analyse Renata Flores, une des plus grandes stars du rap quechua, « nos ancêtres avaient trouvé des moyens d’expression comparables au rap freestyle d’aujourd’hui ». Elle pense notamment au harawi, un style de poésie précolombienne chantée dans une tonalité nasale aiguë et sans instruments, qui donne voix à l’âme du runakuna, le peuple andin. La chanteuse de 23 ans estime que sa musique, qui mêle hip-hop, électro et instruments andins sert le même propos que le harawi, en chroniquant la vie quotidienne de son peuple.

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