Les perles de Tahiti, un enjeu majeur pour la Polynésie ?
La Polynésie française veut à tout prix améliorer la qualité de ses emblématiques perles de culture.
La perliculture est la seconde source de revenus de Polynésie française, après le tourisme. La filière, composée de 500 fermes familiales ou semi-industrielles, emploie près de 1300 personnes. Elle représente, à elle seule, 70 % des exportations locales. C’est dire si la fameuse perle de Tahiti, produite par l’ huître Pinctada maragaritifera, pèse lourd sur l’économie du territoire. Mais le secteur est en peine face à la concurrence des perles des mers du Sud, produites en Indonésie, en Birmanie, aux Philippines et en Australie, par Pinctada maxima. Une équipe de recherche de l’Ifremer dirigée par Chin-Long Ky redouble d’efforts pour que les producteurs se dotent d’huîtres perlières d’élite. L’objectif ? Créer, grâce à la sélection génétique, des huîtres qui produisent des perles dont la taille et la couleur sont mieux maîtrisées mais aussi comprendre les mécanismes moléculaires les déterminant.
Les huîtres collectées directement dans les lagons
La Polynésie est un cas très particulier dans le monde de la perliculture. Les huîtres perlières sont collectées directement dans la nature, contrairement aux espèces concurrentes produites en écloserie. Certains atolls possèdent une hydrodynamique propice à ce collectage : avec des lagons relativement fermés avec peu de passes. Des fermiers y installent des stations de collectage constituées de longues cordes placées tous les 50 cm, qui retiennent les larves pondues par les huîtres. Elles s’y fixent et grandissent pendant six mois. Ces jeunes huîtres sont ensuite récupérées par des fermiers producteurs, qui effectueront les manipulations nécessaires à l’obtention de la perle de culture. Lorsque les huîtres atteignent 8 ou 9 cm de diamètre, elles subissent une greffe qui entraîne la biosynthèse d’une perle. Les fermiers récupèrent un morceau de tissu (le greffon) d’une huître donneuse - dont la couleur déterminera celle de la perle -, pour le greffer dans la gonade d'une huître receveuse. En son sein, les cellules minéralisatrices se développent et finissent, environ vingt mois plus tard, par former une perle. Beaucoup de ces concrétions nacrées sont jetées en raison de leur petite taille ou de difformités. De 30 à 40 % sont commercialisables et seulement 5 % sont d’excellente qualité. Des chiffres qu’il faudrait doubler pour atteindre les rendements des pays concurrents.
La filière a des dizaines d’années de retard
L’abondance en huître perlière et la facilité du collectage dans la nature ont été des atouts de taille pour le développement de la perliculture polynésienne. Mais ces avantages ont paradoxalement entraîné un retard technique de la filière, qui n’a pas eu à produire et élever des individus en écloserie. Pinctada maragaritifera n’a donc jamais subi de phase de sélection. À l’image des poules choisies au fil des siècles pour pondre quotidiennement un œuf de bonne taille, les pays concurrents ont développé depuis vingt-cinq ans des lignées d’huîtres dont la taille et la couleur des perles sont améliorées. Aux Philippines et en Birmanie, après quinze ans d’effort de sélection sur Pinctada maxima, les producteurs parviennent à obtenir des perles dorées de grandes tailles en quantité, qui se vendent 5000 dollars pièce (prix du gros).
Selon Chin-Long Ky, l’huître perlière polynésienne pourrait facilement les concurrencer : « Elle est la seule espèce capable de synthétiser des perles dont la gamme de couleur est quasiment infinie, allant du vert émeraude à l’aubergine en passant par l’orange. » Reste à développer des écloseries qui puissent élever et sélectionner des nouvelles lignées d’huîtres. La reproduction artificielle et les étapes d'élevage larvaires de l’huître sont maîtrisées, notamment grâce aux recherches menées dans le cadre d’un projet cofinancé par le ministère des Outre-mer. Il existe aujourd’hui trois écloseries : deux expérimentales - hébergées par l'Ifremer et la Direction des Ressources Marines - et une privée. Cette dernière a vu le jour il y a trois ans déjà mais commence tout juste à greffer les premières huîtres issues de son élevage, le cycle de production de l’animal puis de la perle durant entre quatre et cinq ans. “Les récoltes de perles issues des premières lignées de sélection développées à l'échelle expérimentale par l'Ifremer sont prometteuses”, à en croire le chercheur. Les importantes sommes investies dans ce type d’établissement devraient être rapidement amorties : avec la sélection, les producteurs pourraient doubler le nombre de perles de qualité supérieure, qui se vendent aujourd’hui entre 6000 et 7000 euros pièce pour les plus belles d’entre elles (prix du gros).
Retrouvez notre dossier sur la Polynésie française, dans le magazine National geographic d'avril 2017.