Vivre 120 ans et plus...

Les nouvelles promesses de la médecine et l'utopie transhumaniste.

De Céline Lison, Véronique Chalmet
Transférer ses souvenirs sur une puce ou un robot est-il une idée farfelue ? Chère aux ...
Transférer ses souvenirs sur une puce ou un robot est-il une idée farfelue ? Chère aux transhumanistes, cette piste n'est pourtant pas jugée sérieuse par les scientifiques.
PHOTOGRAPHIE DE What's up Films issue du documentaire "Immortalité, dernière frontière" diffusé sur Arte.

Longtemps, le roi sumérien Gilgamesh a cherché le secret de « la vie sans fin ». Lorsque, du fond des océans, il parvient enfin à dénicher l’herbe magique porteuse du souffle vital, le monarque exulte. Trop vite. Déjà un serpent a surgi, s’est emparé du trésor et a disparu. En une fraction de seconde, Gilgamesh vient de perdre l’espoir de conserver la jeunesse éternelle. Combien, comme ce roi de légende, ont rêvé d’immortalité depuis l’Antiquité ? Au VIIe siècle, le Tan-ching yao-chüeh, un ouvrage censé contenir les grands secrets de l’alchimie chinoise, proposait des recettes d’élixirs d’immortalité. Rien n’est dit des intrépides – bien réels, eux – qui ont osé les tester. Seul l’empereur Jiajing de la dynastie Ming a lié son nom aux recettes magiques. Sans l’effet escompté : le breuvage contenant du mercure et de l’arsenic, il n’y a pas survécu. L’avènement du nouveau millénaire n’a rien changé à la donne. Si aucune potion ne promet encore l’éternité, pharmacies et rayons de supermarché regorgent de compléments alimentaires, de nourritures et de gélules riches – voire enrichis – en antioxydants, omégas-3, EPA, DHA, pré- et probiotiques... Autant de composés censés protéger nos cellules, réduire le risque de maladies chroniques ou veiller au bon fonctionnement de notre cerveau. En résumé : augmenter notre espérance de vie en bonne santé. Peu importe que leurs effets ne soient pas toujours scientifiquement prouvés, le marché se développe à vitesse grand V.

Aujourd’hui, d’autres voies, plus ambitieuses, explosent. Transformant peut-être en réalité l’hypothèse de repousser la mort. Des scientifiques pensent pouvoir banaliser l’éventualité de vivre centenaire. D’autres, encore plus audacieux, envisagent de nous faire dépasser le seuil atteint par Jeanne Calment, qui vécut jusqu’à 122 ans et fut longtemps considérée comme la doyenne de l’humanité. La médecine est déjà passée du soin du corps à sa réparation. Mais les transhumanistes – qui prônent ouvertement « l’amélioration » de l’humain – veulent aller bien plus loin. Dans les rangs de ce mouvement, certains œuvrent à la création d’une vie infinie. En 2015, l’Américain Raymond Kurzweil, ingénieur en chef de Google et transhumaniste déclaré, a prévenu : « Dès les années 2030, nous allons, grâce à l’hybridation de nos cerveaux avec des nanocomposants électroniques, disposer d’un pouvoir démiurgique. » Folle ou non, la course est lancée.

Des techniques inédites sont en train d’émerger. Elles se cachent derrière un banal acronyme : NBIC pour « Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives ». Autant de domaines qui, dorénavant, s’enchevêtrent. Ces technosciences sont susceptibles de modifier nos corps et nos cerveaux. C’est-à-dire de révolutionner la vie – au sens propre du terme. Déjà, elles provoquent un mélange d’attraction, de répulsion et de fantasmes. En moins de dix ans, leur puissance a bouleversé profondément la médecine. Ira-t-elle jusqu’à changer la nature même de notre humanité ?

Reliées à une rétine, des dizaines d'électrodes envoient des signaux au nerf optique pour améliorer la ...
Reliées à une rétine, des dizaines d'électrodes envoient des signaux au nerf optique pour améliorer la vue.
PHOTOGRAPHIE DE Sight medical products

Des milliardaires américains, russes ou chinois sont les nouveaux Gilgamesh. Leurs exploits dans le high-tech emplissent les pages des magazines économiques. Ils financent les recherches sur la longévité et, souvent, exigent des résultats rapides. Moins pour en faire bénéficier les générations futures que pour en profiter eux-mêmes. Sergey Brin, l’un des cofondateurs de Google, porte une mutation génétique associée à un risque accru de développer la maladie de Parkinson. Il a fait don de 150 millions de dollars à la recherche menée dans ce domaine. Larry Page, l’autre cofondateur du géant américain de l’informatique, a, lui, lancé en septembre 2013 Calico (pour « California Life Company »), un centre de recherche destiné à « tuer la mort ». Depuis, Calico, « concentrée à 100 % sur ses objectifs », refuse de parler à la presse. Et reste ainsi très discrète sur ses résultats. À 72 ans, Larry Ellison, cofondateur d’Oracle (fournisseur de systèmes de gestion de bases de données) et septième personne la plus riche du monde, a simplement décidé qu’il refusait la mort. Il a versé 430 millions de dollars à la recherche contre le vieillissement. La liste des milliardaires qui s’intéressent à cette question est longue. Une foule de laboratoires, publics ou privés, se sont également lancés dans l’aventure. Y compris en France. Le marché est énorme, les moyens colossaux. Et les recherches fusent dans des dizaines d’axes différents. « C’est un big bang biotechnologique qui débute », annonce avec enthousiasme Laurent Alexandre. Chirurgien urologue, expert en nouvelles technologies et dirigeant de DNAVision, une société spécialisée dans le séquençage du génome, ce quinquagénaire français parie sur trois grands domaines : les technologies électroniques, qui équipent organes artificiels et implants ; la nanomédecine, pour réparer les organes et pénétrer à l’intérieur de notre corps ; et l’ingénierie du vivant, associée à la manipulation de l’ADN, pour régénérer les cellules. « Ce seront parmi les premières technologies à être perfectionnées et progressivement démocratisées d’ici à 2025, assure-t-il. Pourquoi 2025 ? C’est à peu près le temps nécessaire pour que l’on vérifie ce qui est en cours d’expérimentation. »

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    Le cœur artificiel de Carmat incarne l'espoir pour des malades en attente de transplantation.
    Le cœur artificiel de Carmat incarne l'espoir pour des malades en attente de transplantation.
    PHOTOGRAPHIE DE CARMAT

    Cœur artificiel

    Le cœur artificiel Carmat (du nom de la société française qui le conçoit) est en phase de test depuis 1995. Les enjeux sont cruciaux, car il y a pénurie de cœurs à transplanter. Or, avec un greffon bionique, finis les problèmes de disponibilité et de compatibilité. L’enjeu est de mettre au point une prothèse de taille réduite, capable de fonctionner en autonomie. Pour y réussir, le chirurgien cardiaque Alain Carpentier a travaillé avec des ingénieurs de Matra Défense, spécialistes des technologies miniatures embarquées dans les missiles et les satellites. À première vue, l’appareil n’a rien d’un objet de haute technologie. Pourtant, une batterie de capteurs mesure les besoins du patient en continu. Les données sont traitées par un microprocesseur, qui, à l’aide d’algorithmes, régule la pression et le débit sanguin. Les tissus bovins qui tapissent l’intérieur du cœur artificiel lui confèrent une élasticité proche de l’original. Surtout, l’ensemble est entièrement automatisé et, en théorie, capable de fonctionner cinq ans – autant qu’une transplantation biologique. « Notre but n’est pas seulement de prolonger l’existence, mais de redonner à nos greffés une qualité de vie qu’ils avaient totalement perdue », insiste Marcello Conviti, directeur général de l’entreprise. Quatre patients ont bénéficié de l’organe bionique, gagnant quelques semaines de sursis avant de décéder. Une nouvelle étude portant sur vingt-cinq personnes en insuffisance cardiaque grave est prévue pour le deuxième semestre 2016. S’il en ressort que le cœur Carmat est aussi efficace qu’une greffe « naturelle », l’autorisation européenne de commercialisation sera envisageable à partir de 2017. Reste un « hic » : contrairement à un cœur biologique, celui de Carmat aura un coût. Et l’histoire ne dit pas qui le supportera. En attendant, les recherches se concentrent déjà sur la mise au point d’un pancréas artificiel.

    Des neurones obtenus à partir de cellules souches embryonnaires aident à lutter contre la maladie de ...
    Des neurones obtenus à partir de cellules souches embryonnaires aident à lutter contre la maladie de Parkinson.
    PHOTOGRAPHIE DE Afsaneh Gaillard

    Implants cérébraux

    Allons-nous devenir un corps constitué de simples pièces à changer ? Pas si sûr. Car le cerveau reste le facteur limitant d’un corps réparé de toutes parts. Contrecarrer le vieillissement de cet organe est donc au cœur du projet transhumaniste. Si les plus exaltés rêvent d’un disque dur sur lequel la mémoire et l’esprit seraient téléchargés, les neuroscientifiques n’envisagent pas cette option. En revanche, ils savent d’ores et déjà agir physiquement sur des parties du cerveau pour en corriger certains dysfonctionnements. La technique des implants cérébraux impressionne par ses possibilités. En stimulant des zones cérébrales profondes via une électrode reliée à un pacemaker, on peut agir sur différents troubles neurologiques. À commencer par la maladie de Parkinson. Le dispositif permet ainsi de stopper les tremblements du patient. Il bloque également les neurones inhibiteurs de mouvements et libère certains gestes. Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), certaines douleurs neuropathiques et le syndrome de Gilles de la Tourette (qui se traduit par des tics moteurs ou vocaux) bénéficient de cette technique. Celle-ci commence aussi à être envisagée pour les dépressions sévères, l’anorexie mentale et certaines toxicomanies. La stimulation cérébrale va-t-elle devenir une solution incontournable ? Le futur le dira, mais porter ces implants n’est pas anodin. Car, aussi précis soit-il, ce procédé peut entraîner de graves effets secondaires. On a ainsi constaté l’apparition de troubles de la personnalité, qui, dans les cas extrêmes, conduisaient au suicide. Sans aller jusque-là, le patient peut subir une complication aussi banale que redoutable : l’infection du matériel. Car le dispositif miniature – électrodes, pacemaker et câbles électriques pour les relier – est installé sous la peau. « Chez les patients maigres, cela provoque une petite tuméfaction que l’on sent en passant le doigt dessus, explique Anne-Laure Boch, neurochirurgienne à l’hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris). Certains ne peuvent se retenir de gratter cette zone, au risque de l’irriter, voire de dénuder le câble. » Le retrait du matériel est alors impératif pour éviter l’infection. Et le patient perd aussitôt toute l’autonomie qu’il avait pu retrouver. « Plus ces techniques sont sophistiquées, plus elles sont fragiles et exposent à des défaillances de matériel, prévient encore Anne- Laure Boch. Le médecin connaît ces risques et les limites de la technique. Mais, en parallèle, il est poussé à fanfaronner, à exagérer le bénéfice attendu avec son “opération miracle”. Gare à la déception des malades lorsque les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances ! »

    Nanomédicaments

    Des déceptions, lui aussi en a connu. Mais, aujourd’hui, l’heure est à l’exaltation. Physicien et président de la société française Nanobiotix, Laurent Lévy cherche depuis vingt ans à détruire des cellules cancéreuses grâce aux nanoparticules. Injectées directement dans la tumeur avant que ne commence la radiothérapie classique, ces particules de 50 nanomètres de diamètre (3 000 fois moins qu’un cheveu) absorbent davantage les rayons et les concentrent en leur sein. « Habituellement, lorsqu’on irradie la tumeur, les tissus sains qui l’environnent sont aussi touchés, explique le scientifique. Pour l’éviter, on doit restreindre la dose de rayons – ce qui réduit du même coup son efficacité. Les nanoparticules, elles, sont beaucoup plus denses que les cellules de notre corps et “captent” les radiations. Elles boostent la radiothérapie ! » Le cancer est en quelque sorte « tué » de l’intérieur. En 2013, un premier essai clinique a montré que ce procédé pouvait multiplier jusqu’à neuf fois l’effet de la radiothérapie – apparemment sans risque accru pour le patient. Une nouvelle étude est en cours. Cette forme de thérapie apporterait un nouvel espoir pour vaincre des métastases cérébrales, des cancers avancés du foie, du rectum ou de la prostate, jusque-là inopérables.

    D’ailleurs, les nanoparticules font d’ores et déjà partie de notre arsenal médical. N’en déplaise à ceux qui craignent que certaines d’entre elles aient des répercussions graves sur notre organisme et notre environnement. Au total, quarante-neuf médicaments occupent actuellement le marché et plus de deux cents sont en cours de développement. La plupart sont des « nanovecteurs », de simples particules chargées en médicaments et capables de les transporter directement jusqu’à la zone affectée pour soigner des maladies cardiovasculaires, musculo-squelettiques ou inflammatoires.

    Thérapie cellulaire

    Lorsqu’ils n’envoient pas des nanoparticules dans le corps, certains scientifiques tentent d’intervenir directement au niveau des cellules. La recherche en thérapie cellulaire est en plein essor. En 2011, une équipe menée par Jean-Marc Lemaître (Inserm/Université de Montpellier) a réussi ce qui semblait impossible : reprogrammer des cellules de centenaires, et même des cellules sénescentes (réputées trop âgées pour continuer à se répliquer), jusqu’à en effacer, in vitro, les marques de vieillissement et à permettre une réplication normale. Jusqu’alors, on ne savait reprogrammer que des cellules d’individus plutôt jeunes.

    « En travaillant sur des personnes centenaires, nous avons démontré le concept de réversibilité du vieillissement, s’enthousiasme le directeur de recherche. Désormais, nous pouvons envisager une stratégie de reprogrammation cellulaire afin de corriger les pathologies liées à l’âge. » Pour ce faire, Jean-Marc Lemaître croit au rem- placement des cellules sénescentes par d’autres, rajeunies. « On peut augmenter la durée de vie d’une souris de 30 % en effectuant un tel traite- ment à chaque fois que les cellules entrent en sénescence. Rapporté à l’homme, on atteindrait 120 ans ! » Le passage de la souris à l’humain n’est pas aisé, mais le chercheur est confiant : « À la vitesse à laquelle on progresse, d’ici dix à quinze ans, des essais seront probablement menés sur l’homme. On finira par prévenir de nombreuses pathologies liées à l’âge. Soit en supprimant les cellules sénescentes pour les remplacer par d’autres, rajeunies. Soit en évitant qu’elles n’atteignent trop vite ce stade. La vieillesse existera encore, mais elle sera plus courte. »

    Fabriquer des neurones

    Mais comment pallier une lésion cérébrale, qui détruit de nombreux neurones et entraîne des troubles fonctionnels importants ? En mars 2015, les équipes d’Afsaneh Gaillard (Inserm/Université de Poitiers) et de Pierre Vanderhaeghen (IRIBHM/Université libre de Bruxelles) ont dévoilé une piste très sérieuse. Sachant que les neurones se régénèrent peu, les scientifiques sont parvenus à en fabriquer. Des cellules souches pluripotentes (capables de se différencier en tout type de cellules) ont ainsi été « dirigées » afin de devenir des cellules de cortex cérébral. Le but ? Introduire, chez la souris, ces nouveaux neurones afin qu’ils réparent les circuits endommagés. Miracle : le cortex des rongeurs s’est reconstitué. Faire « repousser » le cerveau ne s’apparente plus tout à fait à de la science-fiction. « Nos résultats sont très encourageants, mais il faudra compléter nos expériences avant de commencer les tests sur des primates possédant un cerveau plus proche du nôtre », insiste Afsaneh Gaillard. Un éventuel essai clinique sur l’homme n’est pas envisageable avant dix ou quinze ans. À terme, les patients atteints des maladies de Parkinson ou d’Alzheimer pourraient profiter de ces progrès.

    Autoréparation de l’ADN

    Reste LA question. L’homme pourra-t-il un jour se régénérer en permanence, à la manière d’un simple cnidaire comme l’hydre d’eau douce ? Le biologiste Miroslav Radman en est persuadé. Ce Franco-Croate de 72 ans, membre de l’Académie des sciences, étudie depuis plus de quarante-cinq ans les phénomènes d’autoréparation de l’ADN. Pour plus de liberté dans ses recherches, ce franc-tireur œuvre de plus en plus à l’Institut méditerranéen des sciences de la vie qu’il a fondé à Split (Croatie). Et assure qu’avec un budget suffisant – dont il ne dispose pas encore –, il pourrait comprendre de manière détaillée le vieillissement en quatre à cinq ans. Selon lui, le vieillissement et les maladies de l’âge auraient une même cause : l’oxydation, qui provoque la corrosion des protéines. Les gènes, eux, serviraient seulement à leur renouvellement. Au gré des hasards de l’évolution et des mutations, certains organismes auraient acquis plus de robustesse grâce à une sorte de « protection anti- rouille ». Comme cette bactérie ultrarésistante, Deinococcus radiodurans, dont il a découvert la stratégie moléculaire d’autoréparation en 2006. « Chez l’homme, il y a sûrement des milliers de personnes qui possèdent déjà différentes versions de gènes assurant la résistance, ponctuelle, à chaque maladie – y compris le cancer, avance Miroslav Radman. La solution génétique est déjà là. Si on regroupait tous les gènes dans un génome, on verrait naître l’enfant de l’humanité entière dont il aurait toute la robustesse génétique. » Eugénisme ? Problèmes éthiques ? Le scientifique renvoie ces questions aux générations futures, mais concède : « C’est vrai, quand on pourra toucher à la vie, quand certains auront accès à la possibilité de la prolonger, les inégalités deviendront fondamentales et insoutenables. Ce sera là le risque d’une ultime révolution.

    L’homme augmenté

    Troquer nos organes défaillants, rajeunir nos cellules, prévenir d’éventuelles maladies en changeant notre génome : serions-nous déjà passés dans l’ère de « l’homme augmenté », chère aux transhumanistes ? La limite avec « l’homme réparé » que nous connaissons déjà est bien fragile. Une centaine de personnes dans le monde sont aujourd’hui équipées de rétines artificielles. Les implants cochléaires des sourds sont devenus communs. « Pourquoi s’arrêter là ?, s’interroge Marc Roux, porte-parole de l’Association française transhumaniste. Techniquement, les nouveaux “yeux” pourraient être capables de discerner l’infrarouge, tandis que les implants permet- traient de percevoir des ultrasons. D’ailleurs, puisque les implants neuronaux servent déjà à réguler les TOC, pourquoi ne pas les utiliser aussi pour doser l’humeur et nous rendre plus heureux, par exemple ? ». Le secret du bonheur se cacherait-il dans une électrode ? « Attention, prévient le philosophe Jean-Michel Besnier, spécialiste des questions de technologies à l’université Paris- Sorbonne. Nous sommes aujourd’hui dans une situation mentale qui nous donne à penser que notre vie est épouvantable et qu’il faut absolument innover pour progresser. Cette logique, c’est la disparition de la dimension symbolique de l’existence et de sa finalité même. » Pour lui, ces technologies, loin de nous servir, pourraient nous déshumaniser totalement.

    Combien de nanomédicaments l’homme de 120 ans devra-t-il avaler au quotidien pour tenir un peu plus ? Devra-t-il, comme une voiture, subir une révision de ses organes artificiels tous les cinq ans ? Faire renouveler ses cellules chaque mois ? Et, surtout, quelle sera sa qualité de vie dans ces conditions ? On constate déjà que les prothèses, très inconfortables, créent chez certains amputés des problèmes de sudation et de mal-être. Des sourds ont manifesté leur refus des implants cochléaires, qui leur font entendre des voix métalliques et des bruits intempestifs. « Nous sommes déjà hybridés par nos machines, et cela a des conséquences sur notre cerveau, s’alarme de son côté le philosophe Miguel Benasayag, auteur de l’ouvrage Cerveau augmenté, homme diminué (éd. La découverte, 2016). Avec l’utilisation de nos téléphones portables, d’Internet, du GPS et même des vêtements connectés qui nous renseignent sur nos paramètres de santé, on constate une atrophie du noyau sous-cortical. Notre architecture cérébrale est en train de changer ! »

    Les philosophes ne sont plus les seuls à s’inquiéter de ces mutations. Si les politiques ne semblent pas mesurer l’ampleur du problème, des médecins et des citoyens donnent aussi l’alerte. Plus surprenant, l’entrepreneur Bill Gates, le physicien Stephen Hawking et l’informaticien Bill Joy s’excusent presque aujourd’hui d’avoir contribué par leurs travaux à développer de telles technologies.

    Trop tard, semblent se réjouir les transhumanistes radicaux américains. Pour eux, l’humanité de demain sera séparée en deux : les nantis qui auront pu s’augmenter et les autres – qu’ils baptisent « les chimpanzés du futur » – qui, désormais trop imparfaits, resteront en situation de dépendance. Le fantasme transhumaniste se réalisera-t-il ? Jusqu’où refuserons nous notre vulnérabilité biologique ? Pour la première fois, l’homme imagine pouvoir contrôler son évolution. Il en est encore loin, mais le débat, explosif, est lancé.

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