Polar Pod, le projet fou de Jean-Louis Etienne

L’aventurier français veut affronter les eaux déchaînées de l’Antarctique sur un navire vertical révolutionnaire. Objectif : recueillir des données inédites sur une zone méconnue, mais cruciale pour notre avenir.

De Julie Lacaze
Publication 9 nov. 2017, 02:04 CET
Illustration du Polar Pod dans les eaux déchaînées de l'océan austral.
Illustration du Polar Pod dans les eaux déchaînées de l'océan austral.
PHOTOGRAPHIE DE Réalisation D Facto

En 1986, l’explorateur et médecin français Jean-Louis Etienne faisait déjà la une de National Geographic. Il était alors le premier homme à rejoindre le pôle Nord à pied et en solitaire. Aujourd’hui, l’aventurier se lance dans un nouveau projet fou : concevoir une plateforme océanique dérivant autour du pôle Sud, le Polar Pod. Ce bateau autonome sera capable de naviguer et d’effectuer des mesures autour de l’Antarctique, dans les eaux les plus agitées de la planète. Ces données, récoltées en temps réel pendant deux ans, seront mises à disposition de la communauté scientifique internationale.

Jean-Louis Etienne
Jean-Louis Etienne

Comment avez-vous eu l’idée du projet Polar Pod ?

Je m’intéresse aux régions polaires depuis longtemps, notamment à l’océan Austral qui entoure l’Antarctique. Non seulement cette zone est très isolée, mais elle est animée par un courant dit « circumpolaire », poussé en permanence par le vent. Les campagnes océanographiques y sont donc rares et se déroulent uniquement l’été. On a très peu de mesures locales faites par l’homme. Malgré les satellites, les balises Argos, les animaux instrumentés, qui collectent des données, toutes les publications sur l’océan Austral se terminent par la même phrase : « Nous avons besoin de mesure in situ ». C’est ce qui m’a alerté. Je me suis dit : quel type de bateau peut-on inventer pour séjourner sur cet océan très dangereux dans de bonnes conditions de sécurité et de confort ?

À quoi ressemblera le Polar Pod ?

Les eaux dans lesquelles il va naviguer sont surnommées « les cinquantièmes hurlants » par les marins. C’est une zone de l’Antarctique où règnent tempêtes et vents violents. Pour rester stable dans ces conditions extrêmes, il faut échapper aux vagues en surface. Le principe est donc de réaliser un grand flotteur vertical, dont la partie immergée descendra à 80 m sous l’eau. À cette profondeur, les eaux sont beaucoup plus stables. La partie émergée sera formée d’un treillis, composé de trois tubes verticaux reliés entre eux, à travers lesquels la mer pourra passer. Le Polar Pod sera donc très peu affecté par la houle.

Quel est l’avantage du Polar Pod par rapport à un navire océanographique traditionnel ?

Son coût d’exploitation sera moins important. Seuls les bateaux de haute mer, mesurant au moins 100 m, peuvent normalement naviguer dans ces eaux dangereuses. Pour les faire fonctionner, il faut 25 à 30 personnes. Notre navire vertical nécessitera un équipage de seulement trois marins et quatre ingénieurs scientifiques. De plus, son coût de conception, 14 millions d’euros environ, est cinq fois moins élevé que celui d’un navire océanographique classique. Surtout, les navires traditionnels ne peuvent pas faire de mesures aussi précises que le Polar Pod car ils sont moins stables et influent davantage sur l’eau et l’air.

Dernier atout du Polar Pod : son autonomie. Les grands navires océanographiques français, comme le Marion Dufresne ou l’Atalante, possèdent de très gros moteurs et des groupes électrogènes qui consomment beaucoup. Ils doivent donc revenir tous les mois à terre pour se ravitailler en fioul. Le Polar Pod sera, quant à lui, complètement autonome pendant deux ans.

Comment est-ce possible ?

Le Polar Pod sera entraîné par le courant circumpolaire et par les vents, à une vitesse de 1 nœud environ [1,85km/h]. Un petit moteur, à 10 m sous l’eau, permettra de manœuvrer. S’il faut s’éloigner d’une route de convergence avec des icebergs ou s’il faut sortir d’une zone de courants défavorables, le capitaine pourra ainsi déplacer le bateau latéralement. Des voiles pourront aussi être installées sur l’un des deux côtés pour faciliter les manœuvres.

Par ailleurs, le Polar Pod sera équipé de quatre éoliennes pour être autonome en électricité, et les déchets seront recyclés. Ce sera donc un navire « zéro émission » !

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      Le Polar Pod de Jean-Louis Etienne sera tiré à l'horizontale, puis, basculera à la verticale, lorsqu'il aura atteint sa destination finale : l'océan Austral.
      PHOTOGRAPHIE DE Polar Pod

      Quand sera-t-il construit ?

      Des tests ont été menés dans des bassins à vagues, à l’Ifremer de Brest et à l’École centrale de Nantes, sur deux maquettes : l’une de 2,10 m et l’autre de 1,25 m. Les expérimentateurs ont équipé les modèles réduits d’une multitude de capteurs et ont simulé des conditions de « grosse mer », afin d’analyser les contraintes, l’hydrodynamique et le comportement du futur bateau. Aujourd’hui, les tests sont quasiment terminés.

      Dans les mois à venir, il va donc y avoir un appel d’offre européen. Son financement sera le fruit d’un partenariat public-privé. L’État subventionne la partie investissement et des fonds privés prennent en charge l’exploitation. La mise en chantier pourrait débuter cette année ou en 2018. Et nous partirons dès la construction terminée.

      Quelles données le Polar Pod pourra-t-il récolter ?

      Le Polar Pod sera un sapin de Noël de capteurs ! Un comité scientifique et technique a évalué les besoins de 52 laboratoires provenant de 12 pays. Quatre domaines d’étude ont ainsi été repérés. Le premier s’intitule « Échange atmosphère-océan ». L’océan Austral est un acteur majeur de régulation du climat car c’est le principal puits de carbone océanique de la planète. Le CO2 se dissout plus facilement dans les eaux froides et l’océan Austral est immense : 22 000 km de circonférence et plus de 2 000 km de large. Mais quelle est sa capacité d’absorption ? Que se passe-t-il sur l’ensemble de l’année ? Personne n’a encore pu étudier la zone en dehors des périodes estivales et en continu. Ces mesures sont donc très attendues par les experts des modèles climatiques.

      Le deuxième axe concerne la campagne acoustique. Nous allons placer sur le Polar Pod, à 80 m de profondeur, des microphones adaptés à l’eau, appelés hydrophones. Les bioacousticiens connaissent aujourd’hui la signature sonore de toutes les espèces. Avec ces enregistrements, ils pourront donc faire un inventaire de la faune de l’océan.

      Le Centre national d’étude spatiale (Cnes), la Nasa et l’Agence spatiale européenne (Esa), nous ont également demandé de faire un ground truth : un étalonnage des satellites au sol. Une étape essentielle pour valider les mesures recueillies sur l’océan Austral par les satellites.

      Le dernier volet scientifique concerne les microplastiques et les contaminants. Normalement, les pollutions plastiques ne sont pas parvenues à passer le front polaire, car le courant circumpolaire Antarctique isole l’océan Austral des autres océans. Le Polar Pod va permettre de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

      En fin de compte, toutes ces mesures seront transmises aux équipes de recherche en temps réel. On peut en quelque sorte dire que l’océan Austral sera mis en open source (accès libre) !

      Que va devenir le Polar Pod à la fin de ces deux années de mission ?

      L'idéal serait qu’il continue à tourner. Il deviendra certainement un observatoire permanent de l’océan Austral et s’intégrera à des programmes mis en place sur dix ans.

       

      L'Antarctique est en couverture du magazine National Geographic n° 214, de juillet 2017.

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