La détection d'ondes gravitationnelles récompensée par le prix Nobel de physique

Trois physiciens américains ont été récompensés pour la détection d'ondes gravitationnelles : pourquoi ces rides de l'espace-temps constituent-elles une découverte sans précédent ?

De Nadia Drake
Publication 9 nov. 2017, 02:24 CET
PHOTOGRAPHIE DE C. Henze, NASA

Mardi 3 octobre, le comité Nobel a décerné aux physiciens Rainer WeissKip Thorne et Barry Barish le prix Nobel de physique pour avoir détecté des ondes gravitationnelles. Si l'existence de ces rides dans l'espace-temps avait été prédite il y a plus d'un siècle par Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale, elles étaient hors de portée jusqu'en 2015.

À en juger par l'engouement suscité par l'annonce de la première détection d'ondes gravitationnelles en 2016, ce prix Nobel de physique est vraisemblablement le plus attendu depuis 2013, quand il avait été attribué aux physiciens François Englert et Peter Higgs pour leur découverte théorique du boson de Higgs.

« Pendant 40 ans, des scientifiques ont réfléchi et tenté de détecter ces ondes gravitationnelles. Ils ont peut-être échoué au début mais ont développé, lentement mais sûrement, la technologie leur permettant d'y parvenir », explique Rainer Weiss. « Le fait que nous soyons finalement parvenus à les détecter est extrêmement enthousiasmant : ces ondes gravitationnelles vont nous permettre d'en savoir plus sur les mystères de l'univers. »

Rainer Weiss, du Massachusetts Institute of Technology, ainsi que Kip Thorne et Barry Barish de Caltech ont joué un rôle essentiel dans la mise en place de l'une des expériences les plus ambitieuses (et les plus coûteuses) de ces dernières décennies : l'Observatoire d'ondes gravitationnelles par interférométrie laser (LIGO). En septembre 2015, les deux détecteurs de LIGO ont détecté la subtile fluctuation provoquée par la collision de deux trous noirs survenue il y a plus d'un milliard d'années.

La puissance de cette collision a dévié le tissu de l'espace-temps et produit des ondulations. Se déplaçant à la vitesse de la lumière, il leur a fallu plus d'un milliard d'années pour modifier de manière presque imperceptible les distances entre deux ensembles de miroirs au sein de chacun des détecteurs de LIGO.

« Le prix Nobel de cette année récompense une découverte qui a bouleversé le monde entier », affirme Göran Hanssen, secrétaire général de l'Académie suédoise. Le comité Nobel a attribué à Weiss la moitié du prix d'un million de dollars, tandis que Barish et Thorne se sont partagés l'autre moitié « en guise de récompense pour leurs contributions décisives au détecteur LIGO et leur observation des ondes gravitationnelles ».

Voici une brève introduction sur ces ondulations cosmiques.

 

LES ONDES GRAVITATIONNELLES, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Pour dire les choses simplement, les ondes gravitationnelles sont des oscillations dans la courbure de l'espace-temps produites par les phénomènes les plus violents du cosmos : l'explosion d'une étoile, la collision entre des étoiles à neutrons ultra-denses ou la fusion de trous noirs.

Ces cataclysmes cosmiques sont si puissants qu'ils répandent des ondes gravitationnelles, observables sous forme de distorsions dans la courbure habituellement rigide et immobile de l'espace-temps. Si les ondes gravitationnelles submergent la Terre en permanence, les expériences n'étaient, jusqu'à récemment, pas assez avancées pour pouvoir les détecter.

 

POURQUOI EST-IL SI DIFFICILE DE LES DÉTECTER ?

Entre le moment où les ondes gravitationnelles sont émises par les phénomènes lointains et celui où elles nous parviennent, elles déforment l'espace-temps d'une façon infinitésimale. Une onde gravitationnelle qui traverse la Terre étirera et compressera tour à tour l'espace le long de deux axes, mais cette distorsion est bien plus petite que la largeur d'un proton, l'une des particules qui composent le noyau d'un atome. La mesure de ces infimes modifications de longueur est presque impossible pour la plupart des instruments.

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    Cette illustration montre la fusion de deux trous noirs et les ondes gravitationnelles qu'elle provoquent.
    Cette illustration montre la fusion de deux trous noirs et les ondes gravitationnelles qu'elle provoquent.
    Avec l'aimable autorisation de Ligo, T. Pyle

    COMMENT LES SCIENTIFIQUES DÉTECTENT-ILS LES ONDES GRAVITATIONNELLES ?

    Les scientifiques ont observé pour la première fois des ondes gravitationnelles par le biais de LIGO, l'Observatoire d'ondes gravitationnelles par interférométrie laser financé par la National Science Foundation.

    Ce dispositif américain est constitué de deux détecteurs identiques en forme de L, situés dans l'État de Washington et en Louisiane. Ils sont composés de lasers et de miroirs mesurant les infimes modifications subies par l'espace-temps lors du passage d'ondes gravitationnelles. Il s'agit de l'instrument de mesure le plus précis de la planète, chacun des bras du L mesurant environ 4 kilomètres d'un bout à l'autre. La LIGO Scientific Collaboration est elle aussi très importante et réunit plus d'un millier de scientifiques.

    La modification de distance entre les miroirs situés aux extrémités de ces longs bras perpendiculaires de 4 kilomètres est l'élément central permettant de détecter les ondes gravitationnelles.

    Un miroir est placé à l'extrémité de chaque bras en L ainsi qu'à l'intersection des bras. Lors du passage d'ondes gravitationnelles sur Terre, la distance entre deux miroirs sera distordue, puis celle entre les deux miroirs perpendiculaires. Des lasers effectuant des allers-retours entre les miroirs permettent de mesurer la distance qui les sépare de façon infiniment précise : les détecteurs sont sensibles au passage des camions, à la foudre, aux vagues de l'océan et aux séismes. Afin qu'un signal soit avéré, il doit apparaître sur les deux détecteurs.

    Au moins quatre signaux de ce type ont été détectés par LIGO jusqu'ici, tous générés par la collision de trous noirs. Un cinquième, que l'on dit causé par la fusion d'étoiles à neutrons, serait sur le point d'être annoncé.

    « Nous assistons désormais à la naissance d'un nouveau domaine : l'astronomie spécialisée dans les ondes gravitationnelles », déclare Nils Mårtensson, membre du comité Nobel. « Ce champ nous permettra d'en apprendre davantage sur les phénomènes les plus violents de l'univers et sur la nature de l'extrême gravité. »Aujourd'hui, le détecteur Virgo de l'Observatoire européen gravitationnel, dont le principe est semblable à celui de LIGO, fonctionne également. Il a lui aussi détecté la quatrième collision entre deux trous noirs découverte par les deux détecteurs de LIGO. Grâce à trois observatoires opérationnels sur le terrain, les scientifiques sont désormais en mesure d'identifier avec plus de précision la région du ciel qui abrite une source d'ondes gravitationnelles. Des expériences similaires menées au Japon et en Inde devraient bientôt être publiées en ligne.

     

    EXISTE-IL D'AUTRES MOYENS DE LES DÉTECTER ?

    D'autres équipes, dont celles de l'observatoire North American Nanohertz Observatory for Gravitational Waves (NANOGrav) et d'autres organisations similaires en Europe et en Australie utilisent des corps stellaires en rotation, appelés pulsars, afin d'enregistrer le passage d'une onde gravitationnelle. Les pulsars sont parmi les horloges les plus précises de l'univers. Ces résidus d'étoiles en rotation émettent de puissants rayons électromagnétiques qui illuminent la Terre à intervalles réguliers, à la manière de phares.

    Les astronomes utilisent les modifications enregistrées dans la mesure du temps des pulsars pour détecter des radiations gravitationnelles qui balaient ces étoiles mortes de façon révélatrice. Contrairement à LIGO, les faisceaux de datation des pulsars peuvent détecter les ondes gravitationnelles émises par la collision de trous noirs supermassifs ou de colosses bouillonnant au centre de galaxies.

    En outre, la NASA et l'Agence spatiale européenne sont en train de développer une mission baptisée LISA, pour antenne spatiale à interféromètre laser. Celle-ci emploierait trois détecteurs situés à des millions de kilomètres de distance pour détecter ces infimes vibrations sur l'espace-temps.

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      QUELLE EST LA PREMIÈRE PERSONNE À AVOIR IMAGINÉ L'EXISTENCE D'ONDES GRAVITATIONNELLES ?

      En 1916, Albert Einstein émet l'idée selon laquelle les ondes gravitationnelles pourraient être l'aboutissement naturel de sa théorie de la relativité générale. Alors que de nombreux scientifiques accueillent favorablement sa prédiction, Einstein n'est pas totalement convaincu de ce qu'il avance. Au cours des décennies successives, il se montre perpétuellement indécis sur la question des ondes gravitationnelles et publie de temps à autres des articles au sein desquels il réfute son idée originelle.

      Au cours des années 1970, alors que des scientifiques observent deux pulsars en orbite l'un autour de l'autre, ils détectent indirectement et pour la première fois des ondes gravitationnelles. À l'aide du radiotélescope géant situé à Arecibo, sur l'île de Porto Rico, l'équipe avait mesuré les orbites des deux pulsars et déterminé qu'ils se rapprochaient. Pour qu'un tel phénomène se produise, le système devait avoir diffusé de l'énergie sous forme d'ondes gravitationnelles ; cette vision a valu à Joe Taylor et Russell Hulse le prix Nobel de physique en 1993.

      Enfin, en septembre 2015, l'équipe LIGO a détecté directement des ondes gravitationnelles, signant ainsi la fin d'un siècle de spéculations et confirmant la prédiction originelle d'Einstein.

      « Cet événement a fait sensation dans le monde entier », explique Olga Botner, membre du comité Nobel. « Nous savions de manière indirecte que les ondes gravitationnelles existaient, mais c'était la première fois qu'elles étaient observées directement. »

       

      EN DEHORS DU FAIT QUE CETTE DÉCOUVERTE PROUVE QU'EINSTEIN AVAIT RAISON, POURQUOI EST-ELLE SI IMPORTANTE ?

      Depuis la première annonce par LIGO de la détection d'ondes gravitationnelles, nous avons obtenu un aperçu inattendu du cosmos ; d'énormes trous noirs semblent entrer en collision plus souvent que l'on ne le croyait.

      Plus important encore, les ondes gravitationnelles constituent une nouvelle manière d'appréhender le cosmos. Nous pouvons désormais détecter des phénomènes desquels n'émane peu voire aucune lumière observable, à l'image des collisions de trous noirs. C'est un peu comme voir le ciel en ondes radioélectriques, en infrarouges ou en longueur d'ondes lumineuse ; l'observer à travers tous ces filtres nous apprend quelque chose de nouveau. Les ondes gravitationnelles représentent une nouvelle paire de lunettes à travers lesquelles regarder.

      « La plupart d'entre nous s'attendent à apprendre des choses jusqu'ici inconnues », s'enthousiasme Rainer Weiss. « Nous savions par d'autres biais que les trous noirs existaient, tout comme les étoiles à neutrons. Et bien, ces deux phénomènes ont finalement été aperçus. »

      « Nous espérons toutefois qu'il existe de nombreux autres phénomènes qui nous apparaissent grâce aux ondes gravitationnelles qu'ils émettent. Il s'agit de l'avènement d'une nouvelle science. »

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