Nouvelles découvertes dans la grotte de Denisova
Deux études, parues dans la revue Nature, dévoilent plus précisément l’âge de fragments osseux et d’objets attribués à l’homme de Denisova, une espèce du genre Homo découverte en 2010 dans une cavité du sud de la Sibérie.
Reconstituer 300 000 ans d’histoire, tel est le défi qu’ont tenté de relever des paléontologues dans la grotte de Denisova, située dans les montagnes de l'Altaï, en Sibérie du Sud. Deux équipes de recherche ont ainsi tenté d’établir une chronologie précise de l’occupation humaine dans cette cavité. Leurs résultats, obtenus en utilisant des méthodes de datation dernier cri, font l’objet de deux études distinctes, parues dans la revue Nature.
La grotte de Denisova est explorée depuis les années 1970 par les paléontologues (lire aussi notre reportage sur les plus grandes cavités du monde). Mais c’est seulement en 2008 qu’un fragment de phalange y a été exhumé. Les scientifiques ont d’abord pensé qu’il appartenait à l’homme de Neandertal, présent dans la région durant le paléolithique moyen (entre -350 000 et - 45 000). Or, coup de tonnerre, deux ans plus tard : l’analyse d’ADN révélait que la mince fraction osseuse appartenait en fait à une nouvelle espèce d’homme. Celle-ci a été baptisée Homo denisovensis (homme de Denisova), en hommage au site.
Depuis lors, une série de traces d’ADN et d’objets a été découverte dans la grotte. Et les révélations archéologiques se succèdent. Des analyses génétiques ont ainsi montré que les dénisoviens s’étaient probablement hybridés avec Homo neanderthalensis et Homo sapiens sapiens, notre espèce. En 2018, l'analyse d'un autre morceau d'os, trouvé six ans plus tôt, attestait fermement de l'existence d’un individu issu d’un dénisovien et d’une néandertalienne. Des fragments d’ADN dans les couches sédimentaires ont également révélé la présence de néandertaliens non hybrides. Mais, jusqu’ici, les archéologues peinaient à reconstituer les périodes d’occupation respective ou de cohabitation éventuelle entre ces deux espèces d’homme, dans la grotte.
RECONSTITUTION DE L’OCCUPATION DE LA GROTTE
Dans la première étude (lire ici), des chercheurs russes et australiens ont établi que les dénisoviens avaient occupé la grotte sur une période comprise entre - 285 000 et - 53 000 ans. Pour parvenir à cette conclusion, ils ont analysé les sédiments des couches géologiques d’où provenaient les os et fragments d’ADN, à l’aide de la datation par luminescence stimulée optiquement (LSO). Cette technique récente permet d’établir la date de la dernière exposition d’un minéral au rayon du soleil. La présence des néandertaliens remonterait, quant à elle, entre -191 000 et - 95 000 ans. Au passage, les scientifiques ont analysé 27 espèces de grands vertébrés, 100 petits vertébrés (mammifères, poissons…) et 72 plantes, ce qui a permis de reconstituer l'environnement de la grotte au paléolithique. Selon les périodes, des forêts à feuilles larges (périodes les plus chaudes) et une végétation de type toundra-steppe (périodes les plus froides) se sont succédé, ce qui concorde avec les analyses du paléoclimat effectuées précédemment au lac Baïkal, situé à 1 600 km de là.
Dans la seconde étude (lire ici), une équipe internationale a combiné plusieurs méthodes pour dater des échantillons (restes osseux, pendentifs et ivoire de mammouth sculpté). Ils ont utilisé les données stratigraphiques, ainsi que les datation au carbone 14, par l’uranium et par thermoluminescence. Résultat : le plus vieux dénisovien était présent, selon eux, il y a 195 000 ans ; et le dernier en date entre - 74 000 et - 50 000 ans. D’après la datation des fossiles, les hommes de Neandertal, y compris celui issu du croisement avec un dénisovien, ont vécu dans la grotte à une période comprise entre - 78 000 et - 138 000 ans. Preuve formelle que les deux espèces se sont bien côtoyées !
DES OBJETS ATTRIBUÉS AUX DENISOVIENS
Les objets d’art retrouvés dans la grotte dateraient, eux, de 49 000 ans maximum. À l’époque, l’homme de Neandertal avait quitté depuis longtemps cet abri. Selon les auteurs, c’est donc plutôt l’homme de Denisova qui a fabriqué ces objets. Il est ainsi possible que cette espèce ait développé une culture comparable à celles des néandertaliens et des Homo sapiens.
À moins que cet artisanat ne soit attribué à notre espèce ? Ou pourquoi pas à un homme moderne hybridé avec un dénisovien ? Possible : les paléontologues estiment que nos ancêtres sont arrivés en Sibérie entre - 46 880 et - 43 200 ans. En revanche, aucune trace de notre espèce n’a jamais été décelée dans la grotte. Reste encore beaucoup à apprendre de la grotte de Denisova, l’un des sites les plus exaltants pour les spécialistes des homininés, lieu de métissage possible entre trois espèces d’homme. Dernière nouvelle en date : sur le site Sapiens.org, des chercheurs viennent d’annoncer la découverte de fragments de crâne de dénisovien. Des pièces essentielles qui permettront de mieux cerner leurs capacités intellectuelles.