Le volcan à l'origine de la formation des Bermudes est unique sur Terre
Des échantillons de roche extraits de l'île révèlent un curieux mélange de composés qui représenteraient une toute nouvelle façon de former des volcans.
Il n'existe pas sur Terre deux volcans identiques, mais leur formation fait souvent intervenir des procédés similaires… ou presque, car le volcan à l'origine de la formation des Bermudes est quant à lui un cas à part.
En examinant des roches profondément enfouies sous l'île, les scientifiques ont découvert que la formation de ce volcan paisible était, à ce jour, tout à fait unique. Leurs travaux, publiés la semaine dernière dans le journal Nature, ne se contentent pas de percer le mystère qui plane depuis des lustres autour de cette île somptueuse, ils décrivent également un tout nouveau procédé de formation d'un volcan.
Pour les aider dans leur quête, les scientifiques ont examiné un cylindre de roche long de 800 m, l'unique carotte extraite des Bermudes. Prélevé près d'un aéroport en 1972, cet échantillon était conservé à l'université Dalhousie en Nouvelle-Écosse et n'avait jamais servi jusque-là. Alors que l'équipe soupçonnait que cette île avait quelque chose d'original, une analyse géochimique complète de la carotte les a pris par surprise.
« Après 50 ans de recherche géochimique sur les laves océaniques, personne n'avait jamais trouvé la signature que nous avons découvert aux Bermudes, » déclare le coauteur de l'étude Esteban Gazel, géochimiste à l'université Cornell. « Parfois, la chance vous sourit et vous trouvez quelque chose de complètement nouveau et différent. »
Avec un nouveau modèle de formation volcanique en poche, les Bermudes pourraient ne pas être le seul spécimen : d'autres volcans pourraient en effet s'être formés en suivant un processus similaire, affirme Sarah Mazza, coauteur de l'étude et géochimiste à l'université de Münster. « Nous ne les avons juste pas encore trouvés, » ajoute-t-elle.
De son côté, la volcanologue et géochimiste à l'université de Floride Sud Aurélie Germa ajoute que le modèle de conception des Bermudes établi par l'équipe de scientifiques pourra probablement aider à résoudre des incohérences géochimiques constatées pour d'autres volcans à la configuration tectonique similaire « que personne n'avait pu expliquer jusqu'à présent. »
REMONTÉE TECTONIQUE DE PLOMB
Précédemment, les méthodes connues de formation des volcans étaient la remontée des panaches mantelliques dans le manteau chaud et malléable, la divergence de deux plaques l'une par rapport à l'autre au niveau des dorsales ou la plongée d'une plaque sous une autre dans les zones de subduction. Ces processus peuvent tous donner naissance à une chambre magmatique, une poche de magma qui par la suite peut provoquer des phases éruptives à la surface.
Les dessous volcaniques des Bermudes étaient jusque-là expliqués par un panache mantellique, un processus observé pour l'archipel de Hawaï : un panache stationnaire a créé de nombreuses îles volcaniques qui se sont élevées, ont connu une série d'éruptions, puis se sont éteintes à mesure que la plaque tectonique située sous leur pied poursuivait sa lente progression.
Il est vrai que des recherches géophysiques ont montré qu'il y avait une structure chaude qui s'élevait sous les Bermudes mais les preuves concernant la similarité avec le panache d'Hawaï sont minces. Il n'existe pas de chapelet d'îles semblable à celui de Hawaï et s'il y avait un panache, il devrait aussi y avoir une activité volcanique à bonne distance au sud des Bermudes, là où la plaque serait arrivée aujourd'hui, et il n'y en a pas.
C'est là qu'entre en jeu l'échantillon de roche prélevé sur l'île, qui témoigne des bas-fonds volcaniques dissimulés sous les plages de sable rose des Bermudes. Tout d'abord, il présente des proportions inhabituelles de différents composés de plomb, formés par la désintégration de deux types d'uranium. Cela pourrait s'expliquer si la source à l'intérieur du manteau était jeune, or le manteau sous les Bermudes devrait être très ancien.
Cependant, l'océan Atlantique est une région particulière : il n'existe qu'à cause de la séparation du supercontinent Pangée il y a des centaines de millions d'années, indique Mazza. Pendant la formation ou la dislocation de ce supercontinent, des pans de plaques tectoniques se sont retrouvés enfouis sous le manteau, à la verticale de ce qui allait plus tard devenir l'océan Atlantique. En admettant que des matériaux aient été arrachés de ces plaques plongeantes au destin scellé, ils pourraient expliquer cette présence de substances plus jeunes.
UN MANTEAU SINGULIER
Il est fort probable que ces plaques aient été stockées dans une région du manteau appelée zone de transition, une région aux propriétés physiques singulières comprise entre 400 et 650 km de profondeur. Les diamants qui émergent de la zone de transition mantellique témoignent de la présence d'eau en abondance, équivalent à plusieurs océans, et de nombreux composés comme le dioxyde de carbone.
Comme prévu, la carotte extraite sur l'île contenait des traces de ces empreintes géologiques révélatrices. La teneur en eau des minéraux comme le pyroxène, connu pour être très sec, était étonnamment élevée dans les carottes extraites des Bermudes. De même, la silice, un composé chimique majeur des roches volcaniques, n'était pas aussi présente qu'elle aurait dû l'être, ce qui indiquait qu'elle avait dû être expulsée en raison de la haute concentration en dioxyde de carbone.
Avec une idée en tête de la provenance des fondations des Bermudes, l'équipe de scientifiques s'est ensuite mise à utiliser des modèles informatiques pour déterminer les étapes suivantes du processus.
Il y a environ 30 millions d'années, une perturbation dans la région a provoqué la remontée du manteau depuis la limite inférieure de la zone de transition. En chemin, celui-ci a arraché de la matière aux plaques stagnantes qu'il a ensuite emporté dans sa course folle vers la surface.
Alors que l'environnement autour de cette mixture connaissait d'importants changements, celle-ci a commencé à fondre, produisant une sorte de soupe de roches fondues. Cette « soupe » a ensuite poursuivi son ascension vers la croûte formant au passage à un curieux type de magma qui a jailli sur le plancher océanique pour donner naissance à l'archipel des Bermudes.
RETOUR VERS LE FUTUR
Les volcanologues ont pendant longtemps spéculé sur la source des matériaux utilisés pour ériger les volcans situés au milieu de plaques tectoniques. Cette étude avance des arguments convaincants démontrant pour la première fois l'existence d'un réservoir de tels matériaux au milieu du manteau et, par la même occasion, présente un nouveau processus de formation des volcans.
Cette étude est une « véritable prouesse de géo-détective, » commente Janine Krippner, volcanologue au Global Volcanism Program de la Smithsonian Institution qui ne tarit pas d'éloges sur l'approche à plusieurs volets adoptée par l'équipe de chercheurs.
Géochimiste des isotopes à l'université de Maryland, Val Finlayson déclare que l'étude est une « exploration plutôt minutieuse de l'origine des Bermudes. » Il était possible d'expliquer la situation avec un panache normal étant donné que les panaches mantelliques profondément enfouis peuvent emmagasiner de la matière tectonique recyclée pendant leur ascension, pouvant potentiellement produire certaines des signatures géochimiques détectées par l'équipe. Cela dit, « l'approche exhaustive et multidimensionnelle de l'équipe » ne fait que contribuer à renforcer la pertinence de leur nouvelle théorie, conclut-elle.
Il convient également de préciser que même si l'équipe est confiante vis-à-vis de cette théorie, les chercheurs ne sont pas pour autant catégoriques : « En fin de compte, cela reste une interprétation » de l'origine des Bermudes, déclare Gazel, et de plus amples recherches sont nécessaires pour la confirmer.
Volcanologue à l'université de Hull, Rebecca Williams ajoute que l'établissement de cette théorie n'a été rendu possible que par la carotte extraite dans les années 1970, époque à laquelle les connaissances scientifiques nécessaires pour percer ses secrets n'existaient tout simplement pas.
« Qui sait quelles futures découvertes nous réservent encore nos collections de roches, » s'interroge-t-elle.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.