Le ruissellement des engrais crée la plus grande zone morte jamais observée aux États-Unis

Les précipitations record dans le Midwest des États-Unis ont provoqué le ruissellement de plusieurs tonnes d'engrais et d'eaux usées vers l'océan, donnant naissance à une vaste étendue d'eau polluée responsable d'une hécatombe dans les écosystèmes marins.

De Sarah Gibbens
Publication 11 juin 2019, 16:32 CEST
Vu du dessus, on distingue clairement l'impact des sédiments charriés par le fleuve Mississippi jusqu'au Golfe ...
Vu du dessus, on distingue clairement l'impact des sédiments charriés par le fleuve Mississippi jusqu'au Golfe du Mexique. Ces sédiments contiennent bien souvent des substances polluantes héritées des engrais qui provoquent, une fois dans l'océan, une brusque prolifération des algues.
PHOTOGRAPHIE DE Phil Degginger, NASA Landsat/Alamy Stock Photo

Au large des côtes de la Louisiane et du Texas, à l’endroit même où le Mississippi finit sa course à travers les États-Unis, l’océan meurt à petit feu. Ce phénomène cyclique est connu sous le nom de zone morte et il se produit tous les ans mais selon les scientifiques, la zone atteindra cette année sa superficie maximale depuis le début des relevés.

Les pluies annuelles du printemps font ruisseler les nutriments utilisés dans les engrais qui se déversent ensuite dans le Mississippi. Cette eau douce dont la densité est inférieure à celle de l’océan reste en surface et empêche l’oxygène de se mélanger à la colonne d’eau. Tôt ou tard, les nutriments contenus dans cette eau participent à la croissance soudaine et exponentielle des algues qui consomment l’oxygène à mesure que les plantes se décomposent.

Les étendues d’eau pauvres en oxygène qui en découlent mènent à un état appelé hypoxie dans lequel les animaux de la zone suffoquent puis meurent. Les scientifiques estiment que cette année, la zone morte du Golfe du Mexique s’étendra sur plus ou moins 20 000 km² à travers le plateau continental situé au large des côtes.

 

UN ÉCOSYSTÈME ASPHYXIÉ

« Lorsque la teneur en oxygène est inférieure à 2 ppm (parties par million), les formes de vie telles que les crevettes, les crabes et les poissons capables de nager parviennent à fuir la zone, en nageant, » nous informe Nancy Rabalais, écologiste des océans à l’université d’État de Louisiane. « En revanche, les animaux des sédiments, incapables de nager, peuvent être quasiment réduits à néant. »

Les animaux comme les crevettes finissent souvent par chercher plus d’oxygène dans les eaux moins profondes, plus près de la côte. Les crevettes victimes des eaux hypoxiques sont plus petites étant donné que leur croissance est entravée par la pollution.

Une étude parue en 2017 s’intéressait à l’impact de la zone morte sur les crevettiers des eaux côtières du Golfe du Mexique : les prix des crevettes sont tirés vers le bas, ce qui nuit au profit des entreprises locales.

Les zones mortes n’apparaissent pas que dans le Golfe du Mexique, bien que celle-ci soit considérée comme la seconde plus étendue au monde. La première, dans la mer Baltique, a vu ses zones de pêche dévastées par le manque d’oxygène et la plupart des animaux marins ne peuvent plus survivre dans la région.

Au large de la côte Ouest des États-Unis, les secteurs du crabe et de l’huître des États de Californie et de l’Oregon enregistrent des pertes de profit depuis le début du 21e siècle. Ils affirment que la vague annuelle d’appauvrissement en oxygène a détruit une grande partie des animaux qu’ils pêchent habituellement dans les sédiments.

 

ORIGINES DES ZONES MORTES

Rabalais déclare ne pas être surprise face à l’envergure de la zone morte attendue cette année. En effet, au printemps les précipitations enregistrées dans la région du Midwest étaient sans précédent, ce qui contribue à l’augmentation du ruissellement dans l’océan. Face aux pluies torrentielles, de nombreux agriculteurs ont dû renoncer aux cultures comme le maïs et le soja, ce qui signifie que tous les engrais riches en nitrogène et en phosphore répandus sur leurs terres ont ruisselé jusqu’au Mississippi. Les scientifiques sont sans appel, le réchauffement climatique pourrait engendrer à l’avenir des épisodes pluvieux encore plus extrêmes dans la région et il deviendra encore plus difficile de contrôler le ruissellement des engrais.

« La meilleure façon de résoudre le problème est de limiter les nutriments à la source, » explique Rabalais. « Une fois qu’ils ont atteint le fleuve, il n’existe aucune méthode efficace pour les éliminer. »

Également rattaché à l’université d’État de Louisiane, Eugene Turner a travaillé avec Rabalais à l’estimation de la taille de la zone morte. Il affirme que de meilleures pratiques de gestion contribueraient à réduire sa superficie. Pour maintenir le sol en bonne santé, il suggère un roulement des cultures couplé à une utilisation d’engrais réduite et à un couvert végétal pour maintenir le sol en place.

David Scheurer est chercheur pour l’Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique et spécialiste des zones mortes. Il précise qu’il est difficile d’attribuer la taille d’une zone morte à une seule pratique comme le ruissellement agricole mais admet que ce phénomène joue un rôle majeur dans la formation de la zone. Les eaux usées et la météo sont d’autres facteurs qui influent sur la taille de la zone morte.

Directeur des relations avec le Congrès auprès de l’American Farm Bureau Federation, Don Parrish affirme que les agriculteurs s’efforcent déjà de mettre en place des pratiques destinées à réduire le ruissellement des nutriments. L’agriculture de précision et l’intelligence artificielle sont deux éléments qui accompagnent les agriculteurs dans la réduction du volume d’engrais nécessaire pour chaque culture. Il ajoute que les coûts élevés et une courbe d’apprentissage abrupte sont autant de facteurs qui rendent difficile la démocratisation de ces technologies durables chez les agriculteurs.

« Scientifiquement parlant, nous pouvons réduire la taille mais à ce stade, la question est de savoir si c’est également possible d’un point de vue politique, » poursuit-il.

 

CHANGEMENT CLIMATIQUE ET ZONES MORTES

Ce qui préoccupe actuellement les scientifiques, c’est l’impact potentiel du réchauffement des eaux dans le Golfe du Mexique sur l’augmentation des taux d’hypoxie.

« C’est une préoccupation au long terme, » indique Scheurer. « Si le climat ne change pas dans cette région, bon nombre d’indices laissent penser que le phénomène ne fera qu’empirer. »

Pour résumer, l’eau chaude transporte moins d’oxygène et une étude publiée l’année dernière faisait état d’étendues d’eau pauvres en oxygène dont la superficie atteignait plusieurs milliers de kilomètres à travers l’océan. On s’attend par ailleurs à ce que le changement climatique soit à l’origine d’épisodes pluvieux et d’inondations plus intenses dans le Midwest des États-Unis, ce qui contribuera à l’augmentation du volume d’engrais chimiques déversé dans l’océan.

Cependant, Scheurer comme Rabalais reconnaissent qu’il est encore trop tôt pour affirmer que la zone morte du Golfe est déjà aggravée par le changement climatique.

Rabalais ajoute qu’elle s’attend à ce que ce phénomène empire dans les années à venir et vienne encore plus fragiliser l’écosystème.

« Vous vous souvenez certainement de la marée noire provoquée par l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon de BP ? interroge-t-elle. « Eh bien les zones mortes sont un phénomène qui apparaît plus progressivement depuis plusieurs dizaines d’années, mais il n’en est pas moins dévastateur. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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