États-Unis : les géologues fascinés par une plaque tectonique en fin de vie
L'analyse de l'étrange activité géologique du Pacifique Nord-Ouest permet de faire le point sur les phénomènes caractérisant les derniers instants d'une plaque océanique en zone de subduction.
Pour William Hawley, quelque chose clochait, et ce n'est pas ce qu'il voyait qui l'inquiétait mais plutôt ce qu'il ne voyait pas.
Doctorant à l'université de Californie à Berkley, Hawley se passionne pour les complexités géologiques de la zone de subduction de Cascadia, une faille immense au large de la côte nord-ouest des États-Unis. À cet endroit, la plaque Juan de Fuca plonge sous la plaque nord-américaine, une activité qui génère une incroyable tension sur l'ensemble de la zone et amène de nombreuses personnes à craindre le jour où, suite au relâchement de cette pression, un puissant séisme pourrait frapper la région.
Cependant, cette fois, c'est une région enfouie sous le centre de l'Oregon qui a retenu l'attention de Hawley, une zone où manque un morceau de la plaque Juan de Fuca. Il n'était pas le premier à remarquer ce trou béant, mais cette découverte le tracassait. Une telle particularité devait forcément avoir des conséquences en surface, et il voulait savoir lesquelles.
À présent, il pourrait bien avoir trouvé réponse à sa question. Dans une étude publiée récemment par la revue Geophysical Research Letters, Hawley et son coauteur Richard Allen suggèrent que cette pièce manquante ne serait pas qu'un simple trou mais bien une fissure qui divise peu à peu la plaque en deux, et ce, à plus de 149 km sous terre.
« Je sais que cela donne l'impression que cette petite fissure est très profondément enfouie, » reconnaît Hawley. Cependant, la simple existence d'une telle configuration pourrait être à l'origine de nombreux problèmes en surface ; une prise de conscience qui permettra aux scientifique de mieux identifier les risques à l'avenir. Par exemple, la branche sud de la fissure est en train de pivoter et selon les nouveaux modèles, ce mouvement est susceptible de provoquer de puissants séismes au large des côtes du sud de l'Oregon et du nord de la Californie. Une telle faille pourrait également expliquer la série d'étranges événements volcaniques qui surviennent le long d'une large bande traversant l'Oregon.
En outre, cette nouvelle étude offre aux scientifiques un aperçu des derniers instants d'une plaque tectonique. La plaque Juan de Fuca est l'un des derniers fragments de l'immense plaque Farallon dont la subduction sous l'Amérique du Nord a commencé il y a environ 180 millions d'années alors que le supercontinent Pangée entamait sa dislocation. Nous ne savons pas ce qu'il se passe lorsque de telles plaques rejoignent les entrailles de notre planète mais ce qui est sûr en revanche, c'est que toutes les plaques océaniques qui composent actuellement la Terre connaîtront un jour le même sort.
« Ce que nous observons à l'heure actuelle, c'est la mort d'une plaque océanique, » explique Hawley.
D'autres scientifiques accueillent ce nouveau modèle avec curiosité et enthousiasme mais ils restent tout de même prudents et insistent sur l'importance de poursuivre les tests avant d'en faire une norme géologique.
« Je pense qu'il y a de bonnes idées, c'est même certain, » observe Martin Streck, volcanologue à l'université d'État de Portland et spécialiste de l'activité géologique du Pacifique Nord-Ouest. « Mais il est fort probable que les débats se poursuivent dans les années à venir. »
HISTOIRE D'UNE RUPTURE
La croûte terrestre est fragmentée en un ensemble de plaques tectoniques emboîtables dont la lente chorégraphie a inlassablement façonné notre planète millénaire après millénaire. Elles se frottent les une aux autres, s'éloignant à certains endroits et s'entrechoquant à d'autres. Ces collisions forment généralement des zones de subduction où les plaques océaniques s'enfoncent et les plaques continentales restent à flot.
Autrefois, les chercheurs pensaient que la situation était la même pour toutes les zones de subduction : la plaque plongeante tombait dans les profondeurs en se repliant sur elle-même comme le ferait un rideau, explique Hawley. Les scientifiques ont, depuis, découvert que ce n'était pas le cas en se basant sur les données recueillies par un nombre toujours plus grand d'instruments destinés à sonder l'intérieur de la Terre, notamment les milliers de sismomètres installés par la Fondation nationale pour la science dans le cadre de son projet EarthScope, ou les réseaux terrestres et sous-marins de l'initiative Cascadia utilisés pour cette étude.
Désormais, nous savons que lorsqu'une plaque plonge sous une autre, elle peut se déformer, se tordre et se briser de façon inattendue. Par contre, les effets de ce destin torturé sur la surface restent encore troubles, surtout lorsqu'une plaque approche du moment fatidique de sa disparition. La plaque mourante Juan de Fuca est l'occasion rêvée d'étudier ces effets, en partie parce qu'elle ne semble pas vouloir disparaître en silence, ce qui pousse les scientifiques à éplucher le moindre de ses derniers frissons.
Afin d'étudier le fossé souterrain creusé dans la plaque, Hawley et Allen devaient d'abord s'assurer qu'il existait bel et bien et qu'il n'était pas simplement l'expression d'un artefact dans les données. Le binôme a donc décidé de mettre au point une vue haute-résolution de la sous-surface en cartographiant les différentes vitesses des ondes sismiques émises par les 217 tremblements de terre subis par la région. Les vitesses de ces ondes varient en fonction de la température et de la composition de la roche, ils ont donc pu « voir » la plaque océanique plus froide et plus dense s'enfoncer sous la croûte terrestre et ainsi confirmer qu'il en manquait bien une partie.
Avec ces nouvelles données haute-résolution sur la fosse, le duo de chercheurs peut enfin déclarer, « Oui, vraiment, vraiment. Elle existe, » plaisante Lara Wagner, sismologue à la Carnegie Institution for Science de Washington et spécialiste de la plaque Farallon.
Une autre pièce du puzzle s'est également mise en place lorsque Hawley et Allen ont découvert que la position de la fissure s'alignait sur celle d'une zone de faiblesse, connue sous le nom de propagateur, qui taillade la partie exposée sur le plancher océanique de la plaque Juan de Fuca et se prolonge probablement sur la partie plongeant dans le manteau. L'hypothèse des chercheurs est que la plaque subduite tire sur cette zone de faiblesse à mesure que sa section sud pivote dans le sens horaire et se sépare peu à peu de la section nord.
« Pour faire simple, les deux plaques auparavant zippées sont en train de se dézipper, » illustre Wagner. « La 'fermeture éclair' était fragile et cette fermeture, c'est ce qu'on appelle le propagateur. »
« Ce mouvement de séparation et de torsion pourrait également expliquer la déformation aperçue et ressentie en surface au large des côtes du sud de l'Oregon et du nord de la Californie, explique Hawley. Cette section sud de la plaque Juan de Fuca est truffée de failles sujettes à séisme et c'est exactement ce à quoi on pourrait s'attendre avec ce nouveau modèle.
DES IDÉES EXPLOSIVES
La pièce finale du puzzle, c'est l'activité volcanique. Une chaîne de volcans appelée High Lava Plains s'étend à travers le sud de l'Oregon et recrache une étrange combinaison de magmas : certains sont riches en silice et donnent naissance à des roches aux tons clairs appelées rhyolites alors que d'autres sont plutôt riches en fer et magnésium et forment des pierres d'un noir éclatant baptisées basaltes. Le reste des roches a une composition oscillant entre ces deux groupes majeurs.
Cette activité est étonnamment similaire aux magmas contrastés qui jaillissaient il y a bien longtemps des volcans voisins du Yellowstone. D'ailleurs, les rhyolites plutôt claires de ces deux systèmes ont un âge différent d'un bout à l'autre de la chaîne volcanique.
Les volcans du Yellowstone sont le fruit d'un point chaud magmatique souterrain qui, d'après les spécialistes, serait globalement stationnaire à mesure que la plaque nord-américaine dérive lentement vers le sud-ouest. Cela se traduit par une ligne d'éruptions de plus en plus âgées dans la même direction.
« Le problème est que cette direction n'est pas la bonne, » fait remarquer Hawley à propos des High Lava Plains, l'âge des roches rhyolitiques augmentant sur un axe ouest-est. Les chercheurs ont déjà tenté d'échafauder bon nombre de scénarios pour expliquer cette bizarrerie mais aucune solution ne s'est montrée parfaite.
Le nouveau modèle offre une autre possibilité intéressante : curieusement, la zone la plus jeune des High Lava Plains se situe à la verticale de l'extrémité de la déchirure tectonique. À mesure que cette extrémité progressait à travers la zone de faiblesse de la plaque vers l'ouest, le soulèvement du manteau pourrait avoir provoqué la fusion de la croûte située au-dessus entraînant des explosions de magma rhyolitique qui correspondent à l'évolution des âges constatée en surface.
MACHINE TECTONIQUE À REMONTER LE TEMPS
« Je trouve cet article très intéressant et c'est vraiment agréable de lire une nouvelle explication d'un phénomène anormal, » commente Matthew Brueseke, pétrologue des roches ignées à l'université d'État du Kansas. Cependant, il faut encore intégrer au modèle de plus amples informations sur la composition chimique des roches, ajoute-t-il. Plus spécifiquement, Brueseke est curieux de connaître la liste des éléments pris au piège dans la roche pour se rendre compte des similarités et des différences avec d'autres régions situées au-dessus de plaques déchirées.
Par exemple, de précédentes études indiquent que de telles déchirures pourraient être enfouies sous l'île d'Hispaniola, dans les Caraïbes, ainsi qu'au niveau de la jonction entre les volcans russes de la péninsule de Kamchatka et ceux des îles Aléoutiennes en Alaska. En comparant la composition chimique des roches de diverses régions, les scientifiques pourraient approfondir leur compréhension des origines du magma.
Par ailleurs, ce nouveau modèle n'explique pas toute l'activité des High Lava Plains, ajoute Streck. Même si la fissure apporte une solution à l'âge décroissant d'est en ouest des roches rhyolitiques, les roches basaltiques ne suivent pas la même tendance et leur éruption semble avoir eu lieu un peu au hasard dans la région.
Reste que cette nouvelle étude offre une vision convaincante des forces à l'œuvres sous l'Oregon et elle soulève d'importantes questions sur les processus élémentaires responsables de l'agitation géologique terrestre.
« De plusieurs façons, lorsque nous posons les yeux sur ce type d'élément, c'est le passé que nous observons, » conclut Wagner. « Si nous ne parvenons pas à comprendre pas comment ces processus fonctionnaient autrefois alors que nous avons toute l'histoire sous nos yeux et que nous pouvons l'étudier, nos chances de voir ce qu'ils se passe aujourd'hui et de comprendre comment cela pourrait évoluer à l'avenir sont nulles. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.