Extinction des dinosaures : on en sait plus sur le retour de la vie sur Terre
La découverte de nombreux os et végétaux fossilisés témoigne du remarquable élan de croissance qu'ont connu certains mammifères après l'impact à l'origine de la disparition des dinosaures.
Le 24 octobre, des paléontologues ont annoncé la découverte dans le Colorado de centaines de fossiles offrant un aperçu du nouveau souffle de vie qui a balayé la planète dans le sillage de l'impact de Chicxulub. Parmi ces éléments figurent notamment les vestiges d'au moins 16 espèces de mammifères dans un état de conservation exceptionnel, ainsi que de nombreuses tortues, crocodiliens et végétaux qui auraient vécu au cours du million d'années qui a suivi la catastrophe.
La soudaine disparition de nombreuses espèces fossiles montre que la vie sur Terre est arrivée à un tournant après l'impact d'un gigantesque astéroïde il y a 66 millions d'années. Ce cataclysme a provoqué l'extinction de près de 75 % de l'ensemble des espèces et notamment de la quasi-totalité des dinosaures qui régnaient alors en maître sur la planète.
Cependant, et c'est la raison de la frustration de nombreux paléontologues, la vie au cours de la période qui a immédiatement suivi cette extinction de masse s'est toujours montrée relativement absente de la chronique fossile… jusqu'à tout récemment. (À lire : Le dernier jour de l'ère des dinosaures heure par heure.)
Présentée la semaine dernière dans la revue Science, cette nouvelle corne d'abondance de fossiles révèle déjà certains détails clés sur la façon dont la vie a fait son grand retour, notamment sur l'incroyable sursaut des mammifères au cours des 300 000 ans qui ont suivi la catastrophe.
UN CRÂNE PIÉGÉ DANS LA ROCHE
La clé de cette chasse au trésor fructueuse est une méthode de recherche des fossiles que le coauteur de l'étude et paléontologue au musée de la nature et des sciences de Denver, Tyler Lyson, a apprise auprès d'un collègue sud-africain. Dans les plaines balayées par le vent du nord-ouest de l'Amérique, c'est souvent grâce à l'érosion que les chasseurs de fossiles sont en mesure de trouver les os qui affleurent à la surface du sol. Cependant, ce n'est pas la seule option, les paléontologues peuvent également se mettre en quête de roches qui se forment autour d'un noyau d'os ancien connues sous le nom de concrétions.
En gardant à l'esprit ces formations rocheuses, Lyson et son coauteur Ian Miller, paléobotaniste au musée de Denver, ont rapidement mis la main sur un fabuleux trésor sur le site de Corral Bluffs, un affleurement du bassin de Denver situé à l'est de Colorado Springs où leurs précédentes recherches n'avaient donné aucun résultat.
« J'ai ouvert en deux une concrétion et j'ai découvert à l'intérieur le crâne d'un mammifère qui me souriait, » se souvient Lyson. « Ensuite j'ai regardé autour de moi et le paysage était recouvert de concrétions. Nous avons trouvé quatre ou cinq crânes de mammifères en quelques minutes. » (À lire : Paléontologie : le moment où la vie des dinosaures a basculé.)
De retour au laboratoire, le premier constat qui nous est clairement apparu est que les mammifères atteignaient une taille bien plus importante dans le premier million d'années après l'extinction de masse.
Les plus gros mammifères à avoir survécu à cette extinction ne pesaient pas plus d'un demi-kilogramme. En revanche, 100 000 ans plus tard, les plus grandes espèces de leur descendance pesaient près de 6 kg, soit le poids d'un raton-laveur moderne. Ajoutez à cela 200 000 ans et vous obtenez des « mammifères dont la masse avait plus que tripler pour atteindre les 20 kg environ, » déclare Lyson. C'est à peu près le poids d'un castor du Canada et c'est nettement plus lourd que n'importe quel autre mammifère pré-extinction.
Cette tendance suit une certaine logique étant donné que ces mammifères n'avaient plus à se soucier des dinosaures affamés. Mais la découverte ne s'arrête pas là, les fossiles de végétaux mis au jour à Corral Bluffs lèvent le voile sur une histoire encore plus riche.
NOIX ET HARICOTS
L'extinction de masse a provoqué la disparition de la moitié des espèces végétales. Les petits mammifères qui ont survécu à ce funeste épisode étaient probablement des omnivores avec un penchant certain pour les insectes puisque les nombreuses fougères qui figuraient parmi les premières plantes à refaire surface n'étaient pas très nutritives.
Plus tard sont arrivés les palmiers mais ce n'est probablement qu'avec la diversification des arbres de la famille des noyers que les mammifères ont réellement pu surpasser leurs ancêtres ; l'augmentation de la masse corporelle des mammifères survenue 300 000 ans après l'extinction coïncide avec l'apparition dans les fossiles du pollen de ce groupe d'arbres.
Le plus grand mammifère de cette période découvert dans le bassin de Denver était Carsioptychus, un lointain cousin des mammifères ongulés.
« Ses prémolaires étaient très larges et plates avec de nombreux plis étranges, donc il y a toujours eu des spéculations quant à la présence d'aliments durs dans son régime, comme les noix que l'on trouve sur les arbres de cette famille, » explique Lyson. (À lire : Comment des oiseaux de l'ère des dinosaures ont-ils survécu à l'extinction massive ?)
Environ 400 000 ans plus tard, une autre poussée de croissance a ouvert la voie à des mammifères encore plus grands dont le poids dépassait les 45 kg, soit à peu près celui d'une antilope d'Amérique. Leur arrivée correspond à l'apparition de fossiles des premiers représentants de la famille du haricot avec notamment les feuilles et les cosses de graines riches en protéines dont raffolent de nombreux herbivores.
« Nous avons été surpris par la façon dont tout s'accorde, » témoigne Lyson.
Une analyse des feuilles fossilisées découvertes à Coral Bluffs suggère par ailleurs qu'il y a eu trois périodes de réchauffement considérable au cours du million d'années qui a suivi l'extinction de masse. Au moins deux de ces périodes semblent avoir été liées aux changements notables de végétation qui auraient précédé les évolutions de taille les plus significatives chez les mammifères.
« L'idée selon laquelle les mammifères auraient vu leur taille augmenter 300 000 ans après l'extinction de masse n'est pas nouvelle, » souligne Jaelyn Eberle, paléontologue non impliquée dans l'étude au musée d'histoire naturelle de Boulder, dans le Colorado. « Mais l'une des questions majeures était de savoir pourquoi. La corrélation mise en évidence par cette étude entre la taille, la diversité de flore, et le réchauffement nous rapproche de la réponse. »
« La principale leçon à tirer de cette étude est que nous ne pouvons pas comprendre les extinctions ou le rétablissement de la vie en ne regardant qu'une seule composante du système terrestre, » ajoute Courtney Sprain, géochronologue à l'université de Floride.
ET LES OISEAUX ?
Paléontologue à l'université d'État de San Diego, David Archibald qualifie la découverte d'extraordinaire et les conclusions de ses auteurs d'irréprochables. Il ajoute tout de même qu'aussi remarquables soient-ils, ces résultats proviennent d'une zone géographique limitée. Nous pourrions être tentés de les étendre au monde entier mais ce serait prématuré.
Selon Lyson, ces résultats pourraient être renforcés par l'intérêt grandissant accordé aux concrétions des sites fossilifères du monde entier.
« J'ai invité sur le site un collègue expérimenté qui a lui-même déjà trouvé des tonnes de merveilleux fossiles et il m'a dit "Cela me donne envie de retourner sur tous les terrains que j'ai étudiés pour le refaire correctement", » raconte Lyson. « Je pense vraiment que si nous faisons plus attention aux concrétions à l'avenir, nous trouverons plus de fossiles sur les autres sites. »
En attendant, Lyson et ses collaborateurs auront beaucoup de travail ces prochaines années, que ce soit pour décrire les nouvelles espèces identifiées (dont deux mammifères) ou pour traquer les fossiles contenus dans les centaines de concrétions qu'ils n'ont pas encore ouvertes.
« J'aimerais beaucoup trouver des oiseaux car c'était une période capitale pour eux également, » nous fait part Lyson. « Qui sait, ils sont peut-être déjà dans mon bureau. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.