L'Éocène pourrait nous aider à prédire notre avenir climatique
Des scientifiques sont parvenus à simuler le climat de l’époque très chaude de l’Éocène, il y a 56 millions d’années. L’occasion d’en savoir plus sur cette période au climat très semblable à ce que certains experts annoncent pour les années à venir.
Imaginez des palmiers en Alaska et des crocodiles dans les eaux de l’Arctique. Cela n’avait rien de très exceptionnel à la période chaude de l'Éocène, qui s’est étalée de -56 millions d’années à -34 millions d’années. Au moment de son pic de chaleur, que les scientifiques ont nommé Maximum Thermique Paléocène-Éocène, la température de surface mondiale a augmenté de 5 à 9°C en une dizaine de milliers d’années, pour atteindre une moyenne de 30 degré. C’est le plus fulgurant réchauffement que le monde ait connu et un des événements climatiques les plus étudiés de par sa ressemblance avec la période de réchauffement actuel.
Cependant, aucun modèle à ce jour n’avait réussi à simuler correctement son climat. Les résultats des anciens modèles ne collant pas avec les informations tirées des proxies, ces indicateurs biogéochimiques retrouvés par exemple sur des fossiles. Après une nouvelle modélisation climatique de l֤’Éocène plus perfectionnée, des chercheurs de l’université du Michigan et d’Arizona sont arrivés à de nouvelles conclusions, récemment publiées dans la revue Science Advances.
Premièrement, la « vitesse » à laquelle la planète se réchauffe pourrait augmenter en raison de l'accumulation continue de gaz carbonique piégeant la chaleur. Autrement dit, le climat de la planète deviendrait de plus en plus sensible au réchauffement. Une projection faite en analogie avec des résultats de la modélisation du climat du début de l’Éocène qui montre que le climat est devenu de plus en plus sensible à l’émission de dioxyde de carbone à mesure que la planète se réchauffait, entrant ainsi dans un cercle vicieux.
Ce taux de réchauffement est ce qu’on appelle en climatologie la sensibilité climatique à l’équilibre. Toujours d’après l’étude, le taux de sensibilité mesuré en degré serait de 6.6°C pour le début de l’֤Éocène par rapport à la sensibilité climatique de notre époque qui se situe entre 1.5° et 4.5°C, d’après le 5e rapport du GIEC (2014). Cette sensibilité climatique accrue résulte surtout d’une meilleure prise en compte dans les simulations des processus affectant le climat comme l'activité nuageuse.
LES NUAGES COMME BOUCLIER FACE AU RÉCHAUFFEMENT
Un des effets du réchauffement climatique depuis longtemps étudié serait la modification de la couverture nuageuse. Un des objectifs atteints des simulations des chercheurs américains était justement de simuler une meilleure représentation de la microphysique des nuages. Jiang Zhu, paléoclimatologue ayant pris part à l’étude confirme le lien entre réduction de la couverture nuageuse et réchauffement : « En moyenne, les nuages recouvrent environ 70% de la surface de la Terre. Si la couverture nuageuse et/ou l'opacité diminuent dans un climat plus chaud, cela laissera passer davantage de rayons solaires jusqu’à la surface de la Terre, ce qui amplifiera son réchauffement. C’est ce que nous avons observé dans nos simulations. »
Concrètement, ces résultats ont été obtenus grâce à l’affinement des échelles des modèles climatiques, ce qui était nécessaire pour analyser la relation entre des phénomènes climatiques spécifiques comme les nuages et le changement climatique global. « La turbulence et les mouvements internes dans un nuage se produisent sur une échelle spatiale de 1 km. C’est une échelle beaucoup plus précise que pour les modèles climatique globaux. » ajoute le chercheur.
Pour valider la théorie selon laquelle la sensibilité climatique est plus élevée notamment à cause de l’activité des nuages dans un climat plus chaud, les chercheurs ont simulé le climat de l’֤Éocène en prenant mieux en compte l’activité des nuages de petites tailles (modèle du GIEC CESM 1.2). Le taux de Co2 simulé, lui, est resté inchangé par rapport aux anciennes simulations avec d’autres modèles.
Par exemple, pour une quantité de 1710 ppmv de CO2, la température moyenne de la surface de la Terre à l’Éocène était d’environ 29°C , ce qui colle aux températures d’environ 26 à 32 degrés calculées grâce aux proxies d’après le schéma de l’étude. Alors que les anciens résultats des simulations étaient toujours en dessous de la température moyenne de la surface de la terre de l’֤֤Éocène calculée grâce aux proxies. Une preuve supplémentaire du rôle joué par la couverture nuageuse.
« Notre étude est unique, car c’est l’une des premières fois qu’un modèle est capable de simuler correctement des estimations de la température de surface de l’Éocène. » souligne Chris Poulsen, professeur de science environnementales et collègue d’étude de Jiang Zhu.
LE CLIMAT DE L’ÉOCÈNE, MIROIR DU RÉCHAUFFEMENT DE NOTRE ÉPOQUE ?
Si la fonte des glaces est un des indicateurs principaux du réchauffement climatique, il n’en était rien à l’époque de l’Éocène car il n’y avait tout simplement aucune trace de glace ou de neige éternelle sur les montagnes du globe. Surtout, son réchauffement s’est produit à une échelle géologique de mille à un million d’années. Certes nous n’avons pas atteint les températures moyennes caniculaires de l'époque de l'Éocène, mais le réchauffement causé par l’homme est beaucoup plus rapide. La température a déjà grimpé de 1°c en seulement cent ans.
La comparaison reste cependant utile aux chercheurs qui étudient le climat de l’Éocène afin de mieux comprendre l’évolution du climat contemporain. Ces résultats, qui mettent en évidence une sensibilisation climatique accrue de la période de l’Éocène, pourraient faire écho à l’aggravation des dernières prévisions du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.