Arctique : la pollution lumineuse met en péril la vie marine
Le changement climatique permet désormais à plus de personnes de traverser l’Arctique. Ces passages répétitifs rendent la nuit polaire plus lumineuse dans cette région.
En plein hiver, il fait si noir dans le cercle polaire arctique qu’on a peine à voir. Le soleil ne s’élève jamais au-dessus de l’horizon, en raison de l’inclinaison de l’axe de rotation terrestre. Le ciel plonge l’Arctique dans une obscurité totale : la nuit polaire.
« C’est comme si tu travaillais de nuit tout le temps », affirme Finlo Cottier, océanographe à l’Association écossaise des sciences marines.
Il y a deux ans, Cottier et une équipe de scientifiques se sont rendus dans l’Arctique en hiver pour étudier l’impact de la lumière sur les créatures marines vivant dans les eaux nordiques éloignées. Tout comme nous, les organismes marins se servent de la lumière pour mener à bien leurs activités quotidiennes. La lumière les aide à savoir quand trouver de la nourriture, mais aussi à quel moment s’accoupler et où chasser.
« Pendant les mois de juin et de juillet, croissance et activités sont à leur pic », souligne Cottier. « Comment atteindre ce point ? Que se passe-t-il pendant la nuit polaire qui prépare l’éclosion printanière ? Nous essayons de comprendre le cycle complet. »
L’Arctique est extrêmement vulnérable aux changements climatiques ; bien comprendre le cycle ne sera donc pas une promenade de santé. Avec l’amincissement de la couche de glace, une plus grande quantité de lumière pourra pénétrer dans les sombres eaux océaniques. La fonte des glaces est également synonyme de passages plus fréquents de navires et, par conséquent, de toujours plus de lumière. Par ailleurs, le réchauffement des eaux à travers le monde pousse certaines espèces de poissons à se déplacer vers des latitudes plus élevées, perturbant le réseau trophique.
On ignore toujours ses véritables répercussions mais des recherches récentes publiées dans la revue Nature Communications Biology montrent que la pollution lumineuse pourrait modifier considérablement la vie des espèces marines, même si les scientifiques tentent toujours d’appréhender leur cycle de vie complet.
JEUX DE LUMIÈRE DANS LA NUIT POLAIRE
« À mesure que nous nous dirigeons vers le nord, les heures de clarté diminuent très vite », explique Geir Johnsen, un des auteurs de l’étude et biologiste à l’Université norvégienne de sciences et de technologie. « Ça devient plus sombre à chaque latitude nord. À partir de 80 degrés de latitude nord, on ne fait plus aucune distinction entre midi et minuit. »
Pour essayer de comprendre comment l’augmentation du trafic maritime affecte les organismes marins, les chercheurs ont mené des expériences dans trois stations différentes au nord de la Norvège pour les latitudes comprises entre 70 et 77 degrés.
À chaque station – A, B et C – les expériences ont été faites dans l’obscurité totale, lorsque les organismes marins n’étaient pas autrement exposés à la lumière. Les scientifiques ont allumé puis éteint les lumières du navire avant d’utiliser des échosondeurs pour détecter par voie sonore la présence d’organismes dans l’eau.
À la station C, les scientifiques n’ont enregistré qu’une légère diminution du nombre d’organismes dans l’eau, alors que dans les deux autres, des changements radicaux ont été détectés. À la station A, la plus au nord, le nombre d’organismes a diminué de moitié lorsque les phares du navire se sont allumés tandis qu’à la station B, le contraire a eu lieu : la lumière émanant des faisceaux lumineux a augmenté de moitié le nombre d’espèces marines.
La lumière n’a pas uniquement considérablement modifié le comportement de la faune marine. L’imagerie acoustique a montré que cette réaction pouvait se propager jusqu’à 200 mètres de profondeur.
« Les conséquences ? Il est impossible de prédire les conséquences », souligne Jørgen Berge, auteur principal de l’étude et biologiste à l’Université arctique de Norvège.
Selon lui, les évaluations scientifiques pourraient être inexactes si elles ne tiennent pas compte des conditions de luminosité dans lesquelles l’étude des espèces se fait.
La connaissance du nombre exact de poissons dans l’eau a également des conséquences commerciales.
« Nous savons qu’à mesure que l’Arctique se réchauffe, les espèces migrent vers le nord. Pour gérer la pêche de manière efficace, nous devons déterminer le nombre d’espèces présentes », ajoute-t-il.
Les études ont prédit que la hausse des températures permettra le transport transarctique d’ici 2050. Les chercheurs commencent tout juste à surveiller le trafic maritime dans la région pour en étudier l’évolution à travers le temps. Dans une étude publiée en septembre dernier, les chercheurs ont gardé trace de tous les déplacements, des cargos aux navires de croisière. Au total, 5 000 navires ont effectué 132 828 voyages en deux ans.
ENTRE ATTRACTION ET ESQUIVE
« Des comportements comme l'évolution dans une colonne d’eau ou l'accouplement sont régulés par la lumière », dit Johnsen. « La lumière est l’un des signaux de vie les plus anciens mais, depuis 100 ans, l’Homme utilise la lumière artificielle. En exposant les animaux à cette lumière, nous modifions leurs habitudes sans nous en rendre compte. »
On estime que 80 % du monde vit sous un ciel pollué par une quelconque forme de lumière artificielle. Un taux qui augmente de 6 % chaque année.
Steven Haddock, du Monterey Bay Aquarium Research Institute, qui n'a pas pris part à l'étude, qualifie celle-ci d’intéressante. Il aimerait cependant que les mêmes recherches soient menées dans d’autres conditions et en ayant recours à d’autres méthodes.
Dans une étude qu'il a lui-même conduite, il a établi une distinction entre les espèces qui sont attirées par la lumière et celles qui l'évitent.
« Nous avons également pu observer ce phénomène lors de plongées nocturnes où nous devons éteindre les lumières pour éloigner les bancs d’espèces marines qui s’approchent », explique Haddock. « Je suis absolument convaincu que les chercheurs parviendront à la conclusion que la lumière a une très grande incidence, notamment dans cette région du monde où le soleil ne se lève pas pendant plusieurs jours. »
Haddock constate que la pollution lumineuse affecte plus la faune marine une fois qu'on se rapproche de l’équateur. Puerto Rico, par exemple, a consolidé un écotourisme basé sur le plancton bioluminescent qu’on retrouve dans plusieurs baies de l’île, mais la pollution lumineuse perturbe les organismes. Celle-ci a également des répercussions négatives sur d’autres animaux : elle désoriente les jeunes tortues, met les migrations des oiseaux à l’épreuve et affecte l’aptitude des lucioles à s’accoupler.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.