Coronavirus : pourquoi les rassemblements de toute taille sont à éviter
Les autorités ont longtemps cherché à imposer une limite de taille aux rassemblements alors qu'en fait, ce n'est pas la taille qui compte pour stopper la transmission.
À l'heure où la communauté internationale se dirige dans sa majorité sur la voie de l'immobilisation pour réduire la diffusion du COVID-19, les recommandations officielles liées à la distanciation sociale ont progressivement poussé les populations vers des groupes de plus en plus petits, tout en provoquant la confusion d'un nombre toujours plus grand de citoyens.
La semaine dernière, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies des États-Unis avaient émis une première mise en garde contre les rassemblements de plus de 250 personnes dans les régions non touchées par la transmission du COVID-19. Dimanche, les directives étaient revues à la baisse pour un maximum de 50 personnes au cours des huit semaines à venir. Lundi, la Maison Blanche préconisait un maximum de 10 personnes. La France a connu une évolution similaire avec une première annulation des événements de très grande ampleur comme les salons, puis celle des événements de plus de 1 000 personnes suivie d'une interdiction visant les rassemblements supérieurs à 100 personnes avant d'imposer le confinement pour une période renouvelable de 15 jours. Dans la plupart des cas, les raisons qui motivent ces chiffres précis restent troubles, ce qui entraîne une certaine incohérence des comportements.
À vrai dire, alors que tout le monde veut connaître le chiffre à ne pas dépasser, ce n'est pas tellement la taille d'un groupe qui importe. Selon les études menées sur des maladies semblables au COVID-19, il est certes important de favoriser les groupes de petite taille mais il faut également prendre en considération les dynamiques sociales des foules, l'âge ou les maladies sous-jacentes de chaque individu et les variations qui interviennent au niveau du comportement des virus.
L'isolation totale de chaque individu serait bien entendu très efficace pour endiguer la pandémie, mais elle n'est pas réaliste. En revanche, la restriction de la taille des groupes peut aider à réduire le nombre de personnes non infectées qui entrent en contact avec le virus. Déjà évincées des restaurants, bars, bureaux et même certaines cliniques vétérinaires, de nombreuses personnes resserrent leur cercle en conséquence : télétravail, sport en solitaire, report des dîners entre amis… bref, faire de son mieux pour éviter les autres.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit de décider quoi faire ou ne pas faire, il n'existe pas de chiffre magique en dessous duquel les rassemblements n'engendrent aucun risque, indique Samuel Scarpino, scientifique des systèmes complexes et expert en modélisation des maladies infectieuses à l'université Northeastern de Boston.
« Bien souvent, les gens pensent que la distanciation sociale est inutile car ils doivent entrer en contact avec une ou deux personnes chaque jour, donc ça ne sert à rien, car ils ne peuvent pas s'y plier totalement, » déclare Damien Caillaud, primatologue à l'université de Californie à Davis et auteur d'une étude sur les liens entre interactions sociales et maladies infectieuses chez les primates. En réalité, « le simple fait de réduire, ne serait-ce qu'un peu, le nombre de contacts s'avère utile. »
LA TAILLE, UN FACTEUR PARMI D'AUTRES
À mesure que l'épidémie prenait de l'ampleur, les amis de Joshua Weitz lui demandaient sans cesse s'il était raisonnable de participer à des événements sportifs, à des conférences ou d'autres rassemblements compte tenu des délais de test du coronavirus aux États-Unis et du fait que de nombreux cas allaient probablement passer inaperçus. Fondateur et directeur du cycle doctoral de biosciences quantitatives au Georgia Institute of Technology, Weitz a donc décidé de créer un modèle mathématique basique qui apporterait la réponse à une question simple : quelle est la probabilité qu'un participant ou plus à un événement soit infecté par le COVID-19 ?
Pour cela, Weitz a divisé le nombre de cas connus de COVID-19 aux États-Unis par 330 millions (la population du pays) pour obtenir la probabilité de contamination d'un résident des États-Unis. Il a ensuite mis en équation cette valeur pour déterminer la probabilité de contamination d'un participant à un événement de taille donnée.
Son modèle a montré que là où il y avait 1 « chance » sur 5 000 qu'une personne prise au hasard dans le pays soit contaminée, il y avait 95 % de chance qu'une personne dans une foule de 15 000 individus soit atteinte de la maladie. Cette probabilité tombait à 5 % pour les rassemblements de 250 personnes.
Le 10 mars, il a publié sur Twitter son modèle accompagné de l'avertissement suivant : « À l'attention des organisateurs de grands événements, prière de considérer ce qui suit : l'augmentation du nombre de cas de #COVID19 entraînera bientôt, si ce n'est déjà fait, une augmentation du risque de cas positif au sein de larges groupes, avec toutes les conséquences qui en découlent. »
La distanciation sociale perd en efficacité lorsque la prévalence du coronavirus augmente au sein d'un groupe. Au vu du manque de données sur la prévalence des cas modérés et asymptomatiques de COVID-19 au sein de la population générale, « nous devons absolument réduire la taille des rassemblements et pratiquer la distanciation sociale dès que possible, même dans les petits rassemblements, » déclare Weitz. (À lire : Coronavirus : que se passe-t-il dans votre corps si vous en êtes atteint ?)
DYNAMIQUES DE LA TRANSMISSION
Pour ne rien enlever à la complexité de la prise de décision, les facteurs qui entrent en jeu dans l'évaluation du risque d'infection ne se limitent pas à la simple taille du groupe.
Tout d'abord, plusieurs petits groupes peuvent être aussi dangereux qu'un seul grand. Lors des festivités du Cinco de Mayo, si des milliers d'événements ont lieu dans des bars à travers tout le pays, alors il est presque certain qu'une personne malade participera à l'un d'eux et déclenchera une chaîne de transmission, nous explique Scarpino.
Le degré de contagiosité d'un virus va également influencer l'ampleur de la propagation au sein des groupes. Pour illustrer ce phénomène, les épidémiologistes ont recours à une variable appelée taux de reproduction de base, ou R zéro. Le R₀ décrit le nombre de personnes risquant d'être contaminées par chaque personne infectée. Toutefois, comme le font remarquer Scarpino et ses collègues dans une étude préliminaire publiée en février, la variation du R₀ pour un virus donné est tout aussi importante que le R₀ lui-même, mais elle est souvent négligée.
Par exemple, le R₀ de la pandémie grippale de 1918, dite « grippe espagnole », et celui de l'épidémie Ebola de 2014 étaient relativement similaires : une personne infectée transmettait le virus à une à deux personnes supplémentaires. Cependant, alors que la grippe de 1918 a provoqué une pandémie mondiale, le total des personnes infectées par le virus Ebola représente moins de 0,1 % du nombre de personnes contaminées par la grippe espagnole.
Une différence notable, indique Scarpino, est que le R₀ de la grippe était stable d'une personne à l'autre alors que celui du virus Ebola était plus irrégulier. Certains étaient des superinfecteurs du virus Ebola, allant jusqu'à contaminer 20 ou 30 personnes alors que d'autres tombaient malades sans jamais transmettre la maladie. Les données actuelles suggèrent que le SRAS-CoV-2 se situerait quelque part entre l'irrégularité d'Ebola et le rythme constant de la grippe.
Ces différences subtiles sont essentielles au moment de déterminer la sévérité de l'isolement de chaque personne. Les recherches sont toujours en cours en ce qui concerne le COVID-19 mais à ce jour, les estimations donnent un R₀ compris entre 1,5 et près de 4 personnes. Certaines preuves suggèrent par ailleurs que des patients pourraient être des superinfecteurs de COVID-19, elles se basent sur deux événements épidémiques : l'un lors d'une conférence de l'entreprise Biogen dans le Massachusetts et l'autre en Corée du Sud impliquant une personne infectée qui s'est rendue dans une église bondée avant de dîner au buffet d'un hôtel.
Ce virus est si nouveau que le manque d'immunité du grand public rend le facteur de taille des groupes encore plus important. « D'après les données actuelles, tout le monde est vulnérable au COVID-19, » déclare Scarpino, qui élabore actuellement un modèle de transmission de la maladie pour la ville de Boston prenant en compte la réduction de la taille des groupes due aux fermetures et restriction imposées par les autorités. (À lire : La douceur du printemps viendra-t-elle à bout du Coronavirus ?)
DEUX GROUPES, DEUX MESURES
Pour des groupes de tailles similaires, la manière dont se déplacent les individus dans une foule peut également avoir une influence sur la transmission du coronavirus, indique Anders Johansson, ingénieur des systèmes à l'université de Bristol au Royaume-Uni qui a étudié la propagation de la maladie.
Il a découvert que le nombre de personnes dans un groupe importait moins que leur niveau de promiscuité et le temps passé les uns à côté des autres.
Par exemple, dans une étude parue en 2018, il a comparé avec l'aide d'un collègue les données de déplacement dans le métro de Londres à celles sur les maladies diagnostiquées comme la grippe recueillies par l'agence Public Health England. Ils ont découvert que les taux de maladies étaient supérieurs dans les zones où le métro était le plus fréquenté.
Cependant, cette recrudescence n'était pas uniquement liée au plus grand nombre de passants. L'une des explications probantes est que les personnes traversant une station de métro bondée se déplacent moins rapidement, c'est en tout cas ce qu'ont découvert Johansson et ses collègues grâce à un modèle analytique distinct. Les usagers sont contraints de passer plus de temps dans la station et entrent donc en contact plus étroit avec davantage de personnes — un peu comme les longues files de passagers créées dans les aéroports américains en raison des nouvelles mesures de contrôle mises en place.
« S'il n'y a pas beaucoup de monde, il suffit de quelques minutes pour passer au dépistage dans l'aéroport. Mais s'il y a vraiment du monde, la même opération peut prendre 20 ou 30 minutes, » explique Johansson. « Vous y passez plus de temps et, en théorie, vous courez un plus grand risque de contracter la maladie. » (À lire : Pourquoi certaines personnes sont plus susceptibles de contracter le coronavirus.)
UN ISOLEMENT SALVATEUR
Même sans isolement total, l'étude de la dynamique des maladies au sein des groupes suggère que la restriction du cercle social peut faire une grande différence. Certaines des recherches les plus exhaustives nous viennent du monde animal.
En 2004, Damien Caillaud de l'université de Californie à Davis a étudié une flambée de maladie à virus Ebola qui avait touché une population de centaines de gorilles du parc national d'Odzala-Kokoua au Congo. Les gorilles vivent en groupes sociaux d'environ dix individus rassemblant plus de femelles que de mâles et alors que toutes les femelles vivent en groupe, certains mâles vivent seuls.
Cette structure sociale a été décisive pour les survivants à l'épidémie. Au total, la maladie a emporté 95 % des gorilles et a particulièrement touché les femelles. Certains mâles ont toutefois été sauvés par leur isolement social. À la fin de l'épidémie, environ un an après son commencement, 97 % des mâles qui vivaient en groupe étaient morts contre 77 % seulement des mâles qui vivaient seuls.
L'étude a fait émerger un autre résultat intriguant : l'épidémie à virus Ebola s'est arrêtée au niveau d'un axe majeur où les gorilles interagissaient toujours entre eux mais dans des proportions nettement plus faibles. Ainsi, comme nous l'explique Caillaud, dans le cas du COVID-19 dont la propagation a été plus rapide dans les villes que dans les zones rurales, ces tendances suggèrent que la réduction de taille des groupes et le maintien d'une certaine distance entre individus permettraient de limiter la propagation de la maladie.
« Dans le cas d'une maladie sans traitement, si l'on souhaite réellement réduire le nombre de cas, il n'y a qu'un seul moyen, » conclut-il. « La distanciation sociale. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.