Paléontologie : découverte d'un nouveau tyrannosaure au Canada
Ce dinosaure balafré jette une lumière nouvelle sur la façon dont le T. rex et ses proches parents ont atteint le statut de superprédateurs.
La mort n'a (presque) plus de secrets pour Jared Voris. Début 2018, cet étudiant en master à l'université de Calgary avait déjà passé plus d'un an à examiner les ossements rassemblés dans diverses collections de musées pour étudier la façon dont les tyrannosaures se transformaient en monstres terrifiants après être sortis de l'œuf. Au détour d'une visite au musée royal Tyrrell de paléontologie, il remarque une vitrine contenant des fossiles qu'il ne parvient pas à situer.
Après deux ans de recherches minutieuses, Voris et ses collègues ont identifié un nouveau Tyrannosauridé canadien, 50 ans après la dernière découverte du genre dans le pays. D'une longueur de 8 m, ce dinosaure a été baptisé Thanatotheristes, dont la racine grecque pourrait être traduite par « faucheur de la mort ».
Âgé d'environ 79,5 millions d'années, Thanatotheristes degrootorum se situe à la base de l'ascension des tyrannosaures vers une domination écologique. Les fragments de crâne mis au jour (mâchoire inférieure et supérieure, dents et pommette partielle) jettent les fondations de la prise de puissance des tyrannosauridés, le sous-groupe des tyrannosaures dont fait partie le T. rex, pour finalement devenir les super-prédateurs que l'on connaît aujourd'hui.
« J'ai essayé d'être très méticuleux dans l'identification des caractéristiques qui contribuent à l'unicité de ce dinosaure, » indique Voris, aujourd'hui doctorant à l'université de Calgary. « C'est fascinant d'avoir l'opportunité de nommer une nouvelle espèce ; et j'espère que cette ascension ne s'arrêtera pas là. »
Lorsqu'ils sont apparus il y a 165 millions d'années, les tyrannosaures n'étaient pas les tyrans qui ont fini par régner sur le Crétacé en Asie et en Amérique du Nord. Certains d'entre eux étaient même très petits, avec une taille inférieure à 2 m, et chassaient dans l'ombre des carnivores plus imposants de l'époque, comme les Allosauroïdes d'une taille équivalente à celle d'un bus, ou les Megalosauroidea et leurs griffes gigantesques.
Il y a environ 80 millions d'années, ces prédateurs ont disparu et donné aux tyrannosaures une chance de s'élever au sommet de la chaîne alimentaire en devenant de véritables géants. Peu de temps avant leur extinction il y a 66 millions d'années, le terrible T. rex avait atteint les 12 m de long pour un poids dépassant les 9 tonnes. Cependant, le Thanatotheristes présenté dans la revue Cretaceous Research le 23 janvier semble n'avoir atteint ni les dimensions ni la puissance du T. rex, ce qui met en évidence la diversité qui existait au sommet de la chaîne alimentaire de cette période.
« Il semblerait que l'histoire évolutionnaire des tyrannosaures ait été dynamique, » indique par e-mail Steve Brusatte, paléontologue à l'université d'Édimbourg, non impliqué dans l'étude. « Ils n'étaient pas tous de monstrueux super-prédateurs comme le T. rex, mais il y avait de nombreux petits sous-groupes avec chacun leur propre domaine et leurs propres caractéristiques corporelles. »
CHASSE AU FAUCHEUR
Vivants, les tyrannosaures étaient probablement rares et ils le sont encore plus à l'état de fossiles. Il est donc difficile de compléter l'histoire évolutionnaire de ce groupe à partir des ossements qui nous sont parvenus. Leurs homologues herbivores avaient développé toute une gamme de collerettes au niveau de la nuque ou de crêtes sur le crâne qui permettaient à ces animaux d'identifier leurs congénères, leurs rivaux et leurs partenaires potentiels. Malheureusement, les tyrannosaures manquent cruellement de ces traits distinctifs.
Il est difficile de dire quand une nouvelle espèce se présente dans la chronique fossile, déclare Scott Persons, paléontologue externe à l'étude rattaché au College of Charleston. « Il faut se plonger dans les détails et être le plus précis possible dans les observations taxonomiques. »
Chaque fragment d'os de tyrannosaure renferme des indices essentiels, même lorsqu'ils sont découverts par hasard comme les restes de Thanatotheristes sur lesquels sont tombés en 2010 John et Sandra de Groot lors d'une balade en famille sur les berges de la rivière Bow dans le sud de l'Alberta, une province canadienne. Les deux chasseurs de fossiles amateurs ont ensuite contacté le musée royal Tyrrell qui a dépêché des paléontologues sur place pour recueillir les fossiles et approfondir les recherches. En hommage à la famille De Groot, l'équipe de Voris a donné à Thanatotheristes le nom d'espèce degrootorum.
« Ils nous ont apporté une aide précieuse, » déclare Voris à propos des De Groot. « Cela montre bien qu'il n'est pas nécessaire d'être paléontologue pour donner un coup de main en paléontologie. »
Ce n'est que dix ans après le nettoyage, l'enregistrement et le stockage des fossiles que Voris et ses collègues ont commencé à assembler ce paléo-puzzle. L'équipe a d'abord analysé les os maxillaires sur lesquels se dressaient des crêtes singulières qui suggéraient la présence de structures faciales effacées par le temps. Par ailleurs, les pommettes de l'animal étaient de forme ovale en section transversale, ce qui diffère des autres tyrannosauridés au lien de parenté étroit.
Cela dit, d'autres aspects de Thanatotheristes évoquaient clairement les autres membres du groupe des tyrannosauridés, qui selon toute vraisemblance étaient loin d'être des créatures amicales. Les museaux des tyrannosaures sont souvent traversés par les marques d'anciennes querelles avec d'autres dinosaures, tyrannosaures inclus. Thanatotheristes ne fait pas exception à cette tendance. Une trace blanchâtre s'étalant sur plus de dix centimètres serpente à travers sa mâchoire supérieure. « C'est une balafre, » indique Persons.
TERRE DES TYRANNOSAURES
Ce fossile offre un regard plus profond sur la diversité des tyrannosaures d'Amérique du Nord. Bon nombre d'entre eux vivaient et mouraient sur le rivage occidental d'un vaste océan intérieur qui s'étalait de l'océan Arctique au golfe du Mexique.
Thanatotheristes provient d'une formation rocheuse peu étudiée et avec un âge estimé à 79,5 millions d'années, ses fossiles apportent de nouveaux indices sur la façon dont les tyrannosauridés ont évolué pour devenir des colosses. « C'est le plus vieux tyrannosauridé connu du nord de l'Amérique du Nord, » déclare la coauteure Darla Zelenitsky, paléontologue à l'université de Calgary et directrice de la thèse de Voris.
Avec l'arrivée de Thanatotheristes, les tyrannosaures de l'ouest des États-Unis et du Canada semblent former deux lignées distinctes : un groupe Nord, au museau long et profond, et un groupe Sud, au museau plus court rappelant celui du bulldog. Peut-être cette division reflète-t-elle deux stratégies alimentaires différentes, chacune façonnée par l'environnement et les proies propres à chaque région.
Même s'il est actuellement difficile de déterminer la cause de cette tendance nord-américaine, elle pourrait trouver une explication dans la taille des proies. Le groupe asiatique de tyrannosaures à la carrure imposante, auquel appartient le T. rex, vivait aux côtés de gigantesques dinosaures herbivores, comme les sauropodes au long cou. Il est possible que ces tyrannosaures aient atteint une taille monumentale pour venir à bout de ces proies titanesques avec plus d'efficacité.
Nous avons encore beaucoup à apprendre de ces configurations fascinantes. Il y a par ailleurs de nombreuses ellipses dans la chronique fossile des tyrannosaures, particulièrement en ce qui concerne Thanatotheristes. À l'exception d'un fragment d'os maxillaire découvert sur un autre site de la province d'Alberta en 2018, les ossements de la rivière Bow sont les seuls fossiles connus de ce prédateur. Les autres expéditions sur le site où les De Groot ont mis au jour Thanatotheristes n'ont pas été fructueuses et les inondations récentes ont probablement emporté les éventuels restes supplémentaires.
Si Voris arrive à ses fins, d'autres spécimens viendront gonfler les rangs. Il a pour objectif d'explorer la même formation rocheuse dans d'autres régions du sud de l'Alberta dans l'espoir d'y trouver de nouveaux fossiles de Thanatotheristes. Voris n'a pas peur de la faucheuse, il l'adore.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.