Pourquoi le coronavirus touche-t-il si peu les enfants ?

Les experts abordent les raisons biologiques qui expliquent pourquoi les enfants seraient plus à l'abri d'une contamination grave au COVID-19.

De Katherine J. Wu
Publication 26 mars 2020, 17:46 CET
Un petit garçon qui porte un masque s'amuse dans une aire de jeux à Pékin en ...
Un petit garçon qui porte un masque s'amuse dans une aire de jeux à Pékin en Chine.
PHOTOGRAPHIE DE STR/AFP via Getty Images

Le nouveau coronavirus n'a conscience ni des frontières, ni du genre, ni du statut social. Il infecte tout le monde y compris les enfants qui, malgré quelques rapports emplis d’espoir, ne semblent pas plus immunisés que d’autres face au COVID-19. Les dernières données fournies par la Chine, où l’épidémie a commencé fin 2019, montrent que les moins de dix-huit ans ont autant de chance que les adultes de contracter le virus.

Cependant, ils semblent comme épargnés par une grâce mystérieuse : une fois infectés, les enfants sont moins enclins à tomber gravement malades. Dans plus de 90 % des cas pédiatriques, les symptômes sont modérés, légers voire inexistants. Ce n’est pas le seul cas dans lequel les plus jeunes se montrent plus résistants face à la maladie. Cette tendance a déjà été observée lors de la propagation d’autres maladies infectieuses comme la varicelle.

Jusque-là, la plupart des personnes qui se font dépister pour savoir s'ils sont positifs au COVID-19 présentent des symptômes très visibles. Ceux qui ont peu ou pas de symptômes passent sans doute inaperçus. À mesure que les efforts de dépistage augmentent à l’échelle internationale, un plus grand nombre d’infections graves parmi les enfants pourrait être recensé.

Le 24 mars, les autorités sanitaires du comté de Los Angeles ont annoncé le premier décès d’un mineur des suites du COVID-19. Cependant, les premiers résultats de dépistage montrent qu’il est « très commun que les enfants soient moins affectés », affirme Eric Rubin, chercheur en maladies infectieuses, médecin à l’École de santé publique de Harvard et rédacteur en chef de l’hebdomadaire New England Journal of Medicine.

On avait assisté à une tendance similaire lors de la propagation des virus SARS et MERS. Ces deux maladies respiratoires graves, également causées par des types de coronavirus, épargnaient en grande partie les enfants. Les scientifiques et les cliniciens ont toujours beaucoup à apprendre à la fois sur le nouveau virus et les défenses immunitaires, mais comprendre pourquoi le SARS-CoV-2 se manifeste de manière plus modérée chez les enfants pourrait les aider à trouver de nouveaux moyens de lutter contre la propagation de la maladie.

« Il convient de bien étudier l’aspect biologique et la façon dont nous réagissons au virus pour réussir à le vaincre », explique Gary Wing Kin Wong, pneumo-pédiatre à l’Université chinoise de Hong Kong et auteur d’une étude récente sur la prévalence du COVID-19 chez les enfants. « C’est à ce moment-là que nous pourrons y faire face à tous les niveaux. »

 

L’ÉQUILIBRE DÉLICAT DU SYSTÈME IMMUNITAIRE

Toutes les maladies infectieuses déclenchent une sorte de guerre biologique entre les microbes malins et une armée puissante de molécules du système immunitaire. Si toutes les conditions sont réunies, le système immunitaire évacue ces agents pathogènes sans trop endommager les cellules saines. Cependant, plusieurs facteurs peuvent rompre cet équilibre. Lorsque le système immunitaire est affaibli, il est incapable de réagir suffisamment bien à l’attaque. Les germes peuvent alors envahir le corps et faire des ravages. Dans d’autres cas, une activité excessive du système immunitaire peut causer plus de tort que les agents pathogènes.

Le COVID-19 peut avoir des effets plus néfastes sur les adultes que les enfants parce que leur système immunitaire ne trouve pas le juste milieu entre une réaction insuffisante et une activité excessive, selon Rubin.

Si les décès causés par le COVID-19 surviennent en majorité chez les personnes âgées, c’est parce que leur système immunitaire commence à faiblir. Contrairement aux enfants, les adultes souffrent également d’affections sous-jacentes comme le diabète ou des maladies cardiaques susceptibles d’affaiblir leurs défenses immunitaires.

Le corps qui vieillit ressemble à « une voiture qui roule depuis quinze ans et qui n’est plus en bon état », dit Wang. « La destruction peut alors être plus rapide une fois que l’envahisseur attaque. »

Les systèmes immunitaires très immatures sont également à risque parce qu’ils n’ont pas eu le temps de stimuler des réponses afin de lutter contre un large éventail d’agents pathogènes. À ce stade, il y a peu de cas de nourrissons infectés au COVID-19. Cependant, une étude publiée en Chine montre que la plupart des cas graves ou critiques concernent des enfants de cinq ans ou moins sur un échantillon de 2 143 personnes de moins de dix-huit ans porteuses du COVID-19.

Quelques années plus tard, le système immunitaire des enfants atteint un état optimal où il est suffisamment solide pour lutter contre une infection sans réagir de manière excessive. Chez les adultes, nombreux sont les cas très sévères qui découlent de réponses immunitaires hyperactives qui finissent par détruire les cellules saines en plus des cellules infectées, ce qui est moins fréquent chez les enfants. Pour Wong, c’est comme déployer un bataillon de chars d’assaut pour empêcher deux cambrioleurs de dévaliser une maison. « On finit par détruire tout le village. »

 

EXPOSITION ANTÉRIEURE : BÉNÉFIQUE OU PROBLÉMATIQUE ?

Le SARS-CoV-2 est l’un des sept types de coronavirus infectant les êtres humains. Deux autres, à l’origine du SARS et du MERS, peuvent également être mortels. Les quatre qui restent sont sans gravité majeure et provoquent un simple rhume dans la grande majorité des cas.

Selon Kanta Subbarao, virologue et spécialiste en maladies infectieuses infantiles au Peter Doherty Institute for Infection and Immunity de Melbourne, l’exposition antérieure des enfants à des types de coronavirus modérés pourrait expliquer cet avantage qu’ils ont par rapport aux adultes dans le cas du COVID-19. Très souvent en contact dans les cours de récréation, les enfants généreraient constamment des anticorps pour lutter contre les agents pathogènes. Ces anticorps seraient suffisamment versatiles pour combattre le nouveau coronavirus.

Pourtant, une exposition antérieure à un type de coronavirus n’est pas toujours bénéfique. Lorsqu’un agent pathogène envahit le corps, les anticorps reconnaissent les caractéristiques spécifiques de ce microbe, s’accrochent à sa surface et le désagrègent avant que les globules blancs ne détruisent complètement les corps étrangers. La stratégie est très efficace lorsque les anticorps conviennent parfaitement au virus. Cependant, lorsque ces derniers ne reconnaissent que partiellement l’agent pathogène, ils risquent de ne pas le neutraliser complètement. Le virus peut à ce moment infecter les globules blancs et faciliter la propagation de la maladie.

On appelle facilitation de l’infection par des anticorps le phénomène par lequel le système immunitaire aide malencontreusement le virus à infecter des cellules saines. Ce processus s’est produit avec le virus de la dengue et le virus Zika. Les premières études suggèrent que les coronavirus pourraient également induire les anticorps en erreur.

Si tel est le cas, la facilitation de l’infection par des anticorps expliquerait pourquoi le nouveau coronavirus est plus mortel chez l’adulte puisque son système immunitaire entre en éruption face à une infection. Ce processus n’a cependant toujours pas été tout à fait mis en évidence, insistent les experts. Le SARS-CoV-2 ne semble pas avoir un penchant particulier pour les globules blancs, le sous-groupe généralement pris pour cible par ce genre de virus, indique Rubin.

 

UNE PROTÉINE À L’ORIGINE DE LA PROPAGATION DU COVID-19 ?

En observant de plus près les cellules auxquelles le nouveau coronavirus s’attaque, les chercheurs ont mis en lumière une autre théorie qui explique pourquoi le virus se manifeste de manière plus aiguë chez les adultes. Comme le SARS-CoV-1 (à l’origine du SARS), le SARS-CoV-2 se lie à une protéine appelée ACE2 qui se trouve surtout dans certaines parties des poumons et de l’intestin grêle.

Certains chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle les cellules des poumons des enfants produisent moins de protéines ACE2, ou peut-être des récepteurs de forme différente. Ainsi, le virus pourrait être facilement bloqué avant d’infecter les cellules et de se propager.

Pour Rachel Graham, épidémiologiste et virologue spécialisée en coronavirus à l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hills, les différents genres de coronavirus n’ont pas besoin de grandes quantités d’ACE2 pour s’infiltrer dans les cellules. Moins de protéines ne veut pas forcément dire moins de risques. Contrairement à la logique, la protéine ACE2 renforce nos défenses immunitaires contre les virus qui s’attaquent aux voies respiratoires en neutralisant une enzyme qui favorise la destruction des tissus. Les études sur les rongeurs ont également montré que le taux d’ACE2 diminue avec l’âge, ce qui explique pourquoi les personnes âgées ont plus de mal à lutter contre les maladies respiratoires.

 

TROP TÔT POUR SAVOIR

Les chercheurs ne savent toujours pas laquelle de ces théories, le cas échéant, expliquerait la résistance des enfants au COVID-19. « Toutes les pistes sont ouvertes », dit Rubin. « Simplement, nous ne savons toujours pas. »

Pour compliquer un peu plus les choses, d’autres facteurs qui ne sont pas en lien avec l’âge entrent en jeu, comme la génétique, l’environnement et les médicaments pour n’en citer que quelques-uns. « Chacun de ces facteurs a sans doute une incidence sur le résultat final », confie Wong. « Saisir toute la complexité du système biologique ne se fait pas du jour au lendemain. » Pourtant, c’est d’une importance cruciale pour contenir la pandémie et, éventuellement, d’autres épidémies à venir.

« C’est le troisième cas de coronavirus où l’animal transmet une maladie grave à l’être humain », affirme Subbarao. « Il est très important pour nous de comprendre tout le mécanisme pour être plus alertes à l’avenir. » Et d’ajouter : « Pour l’instant, les données concernant l’évolution de la maladie chez les enfants sont plutôt rassurantes. Les parents peuvent être tranquilles. »

Cependant, Subbarao et d’autres experts ne cessent de répéter que même les personnes présentant des symptômes faibles ou modérés peuvent transmettre le nouveau virus. La maladie ne risque pas vraiment de se manifester violemment chez les enfants mais ces derniers « peuvent être un vecteur important de propagation de la pandémie. »

Les parents devraient tenir leurs enfants au courant des événements et les inciter à adopter les bonnes habitudes en matière d’hygiène. Avec la fermeture des écoles et des crèches, le contact entre les enfants sera limité. Cependant, le plus important serait de les empêcher d’interagir avec les êtres chers les plus vulnérables, comme leurs grands-parents.

Il est vrai que ces changements ne sont pas faciles à mettre en place mais les enfants semblent prêts à relever le défi. Maryam Abdullah, psychologue du développement et directrice du programme de formation au rôle de parent au Greater Good Science Center de Berkeley, évoque le « sens inné de la compassion » qu’on retrouve chez les enfants. « On dit que les catastrophes font ressortir le pire en nous. Pourtant, maintes et maintes fois, les enfants se portent volontaires pour offrir aide et soutien. Aujourd’hui, plus que jamais, nous en avons grandement besoin. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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