« Wonderchicken », le plus vieil ancêtre des oiseaux modernes jamais découvert

L’Europe actuelle a vu cet ancêtre des canards et des poulets se dandiner le long de ses côtes, avant qu'un astéroïde ne vienne mettre fin à l’ère du Crétacé.

De John Pickrell
Publication 20 mars 2020, 12:03 CET, Mise à jour 18 déc. 2020, 09:57 CET
Une image en 3D du crâne de l’Asteriornis maastrichtensis, le plus ancien oiseau moderne connu.
Une image en 3D du crâne de l’Asteriornis maastrichtensis, le plus ancien oiseau moderne connu.
PHOTOGRAPHIE DE Daniel J. Field, University of Cambridge

Il y a vingt ans, Maarten van Dinther, un passionné de fossiles, ramasse un morceau de pierre anodin, de la taille d’un jeu de cartes, à la frontière entre la Belgique et les Pays-Bas. Il ignore alors, qu’à l’intérieur, se trouve le crâne minuscule et merveilleusement bien conservé du plus vieil ancêtre des oiseaux modernes jamais découvert : une volaille qui a sillonné la Terre avec les dinosaures.

Illustration de l’Asteriornis maastrichtensis, le plus vieux des oiseaux modernes, dans son milieu d’origine. Il y a 66,7 millions d’années, une mer peu profonde recouvrait quelques régions de l’actuelle Belgique. Les conditions météorologiques étaient comparables à celles des plages tropicales modernes comme les Bahamas. L’Asteriornis avait de longues pattes et se promenait sans doute sur le littoral préhistorique.
PHOTOGRAPHIE DE Phillip Krzeminski

Les chercheurs du monde entier qui ont analysé le fossile l’ont affectueusement surnommé « wonderchicken ». Il aurait vécu il y a 66,7 millions d’années, soit 700 000 ans avant la chute de l’astéroïde qui a mis fin à l’ère des dinosaures non aviaires. Dans une étude publiée mercredi dans la revue Nature, l’animal a été nommé Asteriornis, une espèce reconnaissable à ses membres postérieurs et à son crâne. Elle présente des caractéristiques communes avec les canards et les poulets modernes, ce qui laisse entendre qu’elle aurait des liens avec les ancêtres communs aux deux espèces.

« C’est une découverte à la fois remarquable et passionnante. Elle dévoile de nouveaux secrets liés à l’évolution des oiseaux, une période qui demeure très obscure », affirme Gerald Mayr, ornithologue et expert en évolution des oiseaux à l’Institut de recherche Senckenberg de Francfort en Allemagne qui n’a pas pris part à l’étude.

L’Asteriornis était un oiseau de rivage aux pattes longues. Il flânait sur les plages du Crétacé tardif en Europe et pouvait sans doute voler. À l’époque, des chapelets d’îles étaient entourés de mers calmes et peu profondes. Le climat, lui, était similaire à celui des Bahamas actuelles.

 

UNE VERSION CONTEMPORAINE DU TYRANNOSAURUS REX

« C’est la première fois que nous découvrons le crâne presque intact d’un oiseau moderne qui remonte à l’ère des dinosaures », explique Daniel Field, auteur principal de l’étude et paléontologue à l’université de Cambridge. « L’Asteriornis est le premier à nous offrir une image aussi claire des oiseaux modernes, du temps où le Tyrannosaurus rex et le Triceratops étaient toujours en vie. »

Le fossile, vieux de 66,7 millions d’années provient de l’hémisphère Nord, alors que les restes de tous les autres oiseaux modernes de l’ère du Crétacé ont été retrouvés dans l’hémisphère Sud. Parmi ces fossiles, il y a les os du Vegavis, une espèce proche du canard, découverts incrustés dans des roches datant de 66,5 millions d’années dans la péninsule Antarctique. Leurs caractéristiques sont détaillées dans une étude de 2005.

Il est vrai que les dinosaures et de nombreux oiseaux ont cohabité, mais ces derniers appartenaient en majorité à des espèces archaïques à l’image des Enantiornithes, des oiseaux à dents qui ont disparu avec la plupart des grands animaux terrestres. Les oiseaux modernes sont tous issus d’un même groupe, les Neornithes, qui ont vu le jour vers la fin de l’ère du Crétacé. 

« Le spécimen est vraiment magnifique. C’est le premier beau Neornithe du Crétacé », souligne Jingmai O’Connor, experte en oiseaux fossiles à l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie de Pékin en Chine, qui n’a pas pris part à l’étude.

Selon elle, la plupart des fossiles provenant d’espèces d’oiseaux ayant vécu à l’ère du Crétacé étaient, jusque-là, « partiels et douteux ». Cette nouvelle découverte ravive l’espoir de trouver des fossiles bien conservés d’oiseaux modernes qui ont vécu avant la chute de l’astéroïde à l’origine de l’extinction des dinosaures.

 

« WONDERCHICKEN » : UNE ANATOMIE PLUTÔT COMPLEXE

L’Asteriornis ressemble au dernier ancêtre commun aux Anseriformes, un genre d’oiseaux qui comprend les canards et les oies, et aux Galliformes, comme les poulets et les dindes. « On savait déjà que ces deux groupes s’étaient séparés pendant le Crétacé et que leurs ancêtres ne devaient donc pas être bien loin », dit O’Connor. « Les paléontologues ont enfin mis la main sur l’un d’eux. »

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    L’auteur principal de la nouvelle étude, Daniel Field, exhibe un modèle grandeur nature du crâne du fossile, imprimé en 3D.
    PHOTOGRAPHIE DE Daniel J. Field, University of Cambridge

    Les crânes des poulets et des canards « sont très différents de nos jours ; celui de l’Asteriornis nous donne une première idée de la forme du crâne de l’ancêtre le plus récent, commun à ces deux espèces », précise Field.

    Parmi les autres espèces d’oiseaux ayant vécu pendant le Crétacé figurent les Palaeognathae, comme les autruches, les émeus, les nandous et les casoars. Les Palaeognathae, les Anseriformes et les Galliformes font partie des premières générations d’oiseaux modernes. D’autres espèces n’auraient par ailleurs fait leur apparition qu’après la chute de l’astéroïde. 

     

    UNE DÉCOUVERTE DES PLUS FORTUITES

    Quand van Dinther a découvert les restes du « wonderchicken » en l’an 2000, il a fait don des échantillons au Musée d’histoire naturelle de Maastricht aux Pays-Bas. John Jagt, conservateur du musée et coauteur de la nouvelle étude, a envoyé les quatre petits bouts avec des fragments d’os de membres postérieurs saillants à Field en 2018.

    À la vue des fossiles, Field ne s’attend à rien de plus qu’une collection d’os cassés. Cependant, les oiseaux du Crétacé tardif sont rares et il décide de passer les échantillons à travers un scanner à rayons X haute résolution pour observer de plus près ce que renferme la paroi rocheuse.

    Field et son doctorant, Juan Benito, sont médusés. « Le crâne presque intact et merveilleusement bien conservé d’un oiseau moderne », s’exclame Field. « C’est le premier crâne d’oiseau moderne du Mésozoïque jamais découvert et l’un des crânes d’oiseaux fossiles les mieux préservés de tous les temps. »

    Field affirme que cette découverte est le moment le plus passionnant de sa carrière scientifique. Pour trouver un nom à l’espèce, les auteurs de l’étude ont puisé leur inspiration de la déesse grecque des étoiles filantes, Astéria, qui, selon le mythe, s’est transformée en caille. Selon Field, l’appellation Asteriornis convient parfaitement à un oiseau qui a vécu peu de temps avant l’extinction totale des dinosaures.

     

    RETRACER L’HISTOIRE DES OISEAUX

    Récemment, nombre de découvertes ont révélé les origines préhistoriques de groupes d’oiseaux vivants. Elles ont également permis de comprendre comment ceux-ci ont survécu à l’un des moments apocalyptiques les plus importants de l’histoire de la Terre. Mayr note que des oiseaux fossiles en provenance de Nouvelle-Zélande et d’Antarctique, et ayant vécu peu de temps après la chute de l’astéroïde, ont été répertoriés comme nouvelles espèces au cours des dernières années.

    La majorité des fossiles, y compris le plus ancien oiseau moderne connu, le Vegavis de la péninsule Antarctique, proviennent de l’hémisphère Sud. Pour cela, les paléontologues ont émis l’hypothèse selon laquelle les oiseaux modernes seraient principalement originaires de l’ancien supercontinent sud Gondwana. Cependant, la découverte dans l’hémisphère Nord d’un oiseau encore plus vieux que le Vegavis remet en cause cette théorie.

    « Les origines géographiques des oiseaux modernes demeurent extrêmement mystérieuses », conclut Field. « Ce sont les futures découvertes de fossiles qui permettront de déterminer quelle partie de la Terre a véritablement vu naître les oiseaux modernes. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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