Vous avez perdu l'odorat ? Ce n'est peut-être pas le coronavirus

Pour certains, ce symptôme serait annonciateur du COVID-19. Mais les données dont disposent les scientifiques à ce sujet sont limitées et peu probantes.

De Sarah Elizabeth Richards
Publication 8 avr. 2020, 16:22 CEST
À Dresde, en Allemagne, une femme abaisse légèrement son masque pour profiter du parfum d'un cerisier ...

À Dresde, en Allemagne, une femme abaisse légèrement son masque pour profiter du parfum d'un cerisier d'ornement sur les berges de l'Elbe.

PHOTOGRAPHIE DE Robert Michael, Picture Alliance via Getty Images

Votre croissant matinal a perdu son doux parfum ? Votre gel douche ne sent plus la noix de coco ? Différentes sources rapportent que la perte de l'odorat, ou anosmie, serait un symptôme du COVID-19 mais pour les scientifiques, cela reste encore à prouver.

En s'appuyant sur le nombre croissant de preuves empiriques à travers le monde, l'Académie américaine d'oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale (American Academy of Otolaryngology-Head and Neck Surgery, AAO-HNS) a récemment suggéré que l'anosmie et les troubles de l'odorat associés soient utilisés pour diagnostiquer les cas de nouveau coronavirus. L'académie aurait relevé un nombre grandissant de patients testés positifs au coronavirus sans qu'aucun symptôme se soit manifesté, à l'exception d'une mystérieuse perte ou réduction de leur odorat.

D'autres experts de la communauté médicale restent prudents face à ce phénomène et affirment que le lien avec le coronavirus n'est pas strictement établi. Pour le moment, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'a pas intégré l'anosmie à la liste des symptômes du COVID-19. Quand bien même ce lien existerait, déclare l'OMS, la simple perte de l'odorat n'est pas suffisante pour affirmer qu'une personne est atteinte de la maladie à coronavirus.

« Avec le COVID-19, la perte d'odorat pourrait ne pas être plus fréquente qu'avec les autres maladies des voies respiratoires supérieures, » déclare Steven Munger, directeur du Center for Smell and Taste de l'université de Floride à Gainesville.

Jusqu'à 40 % des personnes atteintes d'autres infections virales, telles que la grippe ou le rhume, connaissent une perte temporaire de l'odorat qui disparaît généralement au bout de quelques semaines. Ce trouble est également fréquent chez les personnes allergiques. Dans leur forme prolongée, les troubles de l'odorat affectent entre 3 et 20 % de la population globale, majoritairement des personnes âgées, mais ils peuvent également être causés par des traumatismes crâniens importants, les maladies neurodégénératives ou les polypes nasaux qui bloquent l'entrée d'air et doivent faire l'objet d'une intervention chirurgicale.

« Pourquoi l'odorat attire-t-il autant l'attention ? » interroge Munger. « Nous avons peur et nous essayons de comprendre cette maladie. Nous tentons d'identifier des symptômes permettant un diagnostic de COVID-19 le plus précoce possible. »

 

UNE CONNEXION DIFFICILE

L'un des problèmes posés par les premières preuves de cette perte de l'odorat est qu'elles reposent sur des rapports anecdotiques plutôt que sur des observations au long terme qui seraient nécessaires pour établir une connexion solide avec le COVID-19. De plus, les patients éprouvent généralement des difficultés à caractériser leurs propres problèmes liés au goût ou à l'odorat en raison du lien étroit entre ces deux sens.

« Ils affirment par exemple avoir une perte du goût alors que c'est une perte de l'odorat ou ils ne parviennent pas à mesurer l'ampleur de cette perte, » explique Munger. Vous pouvez tester le bon fonctionnement de vos papilles gustatives en avalant un condiment au goût prononcé comme du vinaigre, du sel ou du sucre.

Par exemple, une étude britannique publiée la semaine dernière a recueilli des données sur les symptômes du COVID-19 auprès de différents patients à travers une application en ligne. Leurs résultats montrent qu'environ 60 % des 579 utilisateurs ayant déclaré avoir été diagnostiqués du coronavirus ont signalé la perte de leur sens de l'odorat et du goût. Cependant, une part considérable des personnes testées négatives (18 % sur 1 123 sondés) ont elles aussi signalé des troubles olfactifs et gustatifs.

Par ailleurs, les scientifiques doivent essayer de comprendre ce que la perte d'odorat implique en matière de sévérité de la maladie, sachant que des symptômes comme la fièvre ou la toux constituent des indicateurs clairs des difficultés rencontrées par l'organisme. Une étude à paraître dans la revue European Archives of Oto-Rhino-Laryngology montre que 85 % des patients atteints d'une forme légère à modérée du COVID-19 ont indiqué avoir perdu leur sens de l'odorat. D'après Eric Holbrook, directeur du service de rhinologie au sein de l'hôpital Massachusetts Eye and Ear, ces résultats corroborent les premières indications d'une perte de l'odorat chez les patients présentant peu ou pas de symptômes. Il attire toutefois notre attention sur les limitations de cette étude qui ne concerne que les cas modérés. Il lui est donc impossible de tirer des conclusions sur la perte d'odorat associée aux cas les plus sévères de la maladie à coronavirus.

« Les médecins récoltent les données très rapidement, mais elles sont en grande partie subjectives, » déclare Holbrook, dont les recherches s'intéressent au traitement de la perte d'odorat permanente. « Je n'ai vu passer aucune étude approfondie qui prend en compte la date de diagnostic du patient, la sévérité de la maladie et la durée de la perte d'odorat. »

UN TROUBLE IRRÉMÉDIABLE ?

Afin de mieux comprendre comment la perte d'odorat se manifeste chez les patients atteints du COVID-19, Holbrook et ses collègues ont proposé une étude au cours de laquelle ils soumettraient les patients du Massachusetts General Hospital de Boston à des tests portant à la fois sur le coronavirus et leur capacité olfactive. Les participants faisant état de symptômes olfactifs dont le sens de l'odorat ne serait pas revenu à la normale après guérison de la maladie à coronavirus seraient ensuite suivis pendant plusieurs mois pour recueillir des informations précieuses sur la persistance du trouble et son lien avec l'infection.

Fort heureusement, la perte de l'odorat causée par une infection n'est pas nécessairement permanente. D'après nos connaissances actuelles, les virus seraient responsables d'une inflammation des neurones sensoriels du nez, ce qui perturberait la capacité des cellules nerveuses à transférer les informations olfactives au cerveau. Contrairement à nos yeux et nos oreilles, les cellules nerveuses endommagées dans le bulbe olfactif peuvent se régénérer avec le temps.

« C'est pourquoi si vous perdez votre odorat, vous pouvez généralement le récupérer, » explique Holbrook. « Mais nous ne savons pas combien de temps prend le remplacement d'un neurone, peut-être une année ou deux. »

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    Les connaissances concernant le COVID-19 sont si minces que les chercheurs ne savent pas exactement quand les patients souffrant d'anosmie retrouveront leur sens de l'odorat.

    Afin d'accélérer cette récupération, certains médecins proposent une thérapie appelée « entraînement olfactif » visant à augmenter la sensibilité aux odeurs et à favoriser le traitement correct des signaux olfactifs par le cerveau. Les patients inhalent quatre odeurs, par exemple des clous de girofle, de l'eucalyptus, du citron et de la rose, 15 secondes chacune à raison de deux fois par jour pendant trois mois avant de passer à un ensemble d'odeurs différentes pour trois mois à nouveau. « Vous pouvez également utiliser des huiles essentielles, » ajoute Holbrook.

    L'intérêt soudain pour les conséquences du coronavirus sur le système olfactif offre un nouvel élan à ce domaine dont les financements sont traditionnellement moins généreux que ceux réservés aux sens de la vue et de l'ouïe.

    L'odorat est un sens qui permet de profiter des petites joies de la vie, conclut Holbrook. Imaginez un instant ne pas être en mesure de sentir l'arôme délicieux du café torréfié ou l'enivrant parfum des fleurs de jasmin. Plus important encore, la perte de cette capacité peut se révéler dangereuse pour la santé publique lorsque des personnes sont incapables d'identifier l'odeur d'une fuite de gaz, de la fumée ou des effluves nauséabonds de la nourriture périmée.

    « Nous tenons pour acquis le sens de l'odorat, » ajoute Munger. « Mais pour ceux qui ne peuvent plus sentir, la perte émotionnelle se révèle parfois immense. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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