Demain, un sirop contre l'autisme ?

Les découvertes de deux scientifiques français laissent entrevoir un traitement de certains des symptômes les plus sévères de l'autisme.

De Marie-Amélie Carpio
Publication 4 juin 2020, 09:57 CEST, Mise à jour 20 mai 2021, 11:43 CEST
Un sirop contre l’autisme ?

Un sirop contre l’autisme ?

PHOTOGRAPHIE DE Steffen Frank, Pixabay

Depuis plusieurs décennies, des recherches sont menées sur des centaines de molécules pour tenter de trouver un traitement à l'autisme. Sans succès. Mais un essai pédiatrique, d'une ampleur inédite, pourrait être sur le point d'y parvenir. Entamé en 2018 sur 400 enfants de 2 à 17 ans, en France et dans six autres pays européens, auxquels se sont joints le Brésil et l'Australie, cet essai repose sur la bumétanide, un diurétique connu depuis 50 ans. Son mode d'action ? La molécule permettrait de réduire le taux de chlore présent en excès dans les neurones des personnes présentant un trouble du spectre autistique (TSA), et d'en atténuer ainsi les symptômes.

À l'origine de cette découverte, l’alliance d’une rencontre fortuite et d'une décennie de recherche. Tout commence en 2009, lors d'une conférence où le neurobiologiste marseillais Yehezkel Ben-Ari évoque ses travaux sur la surabondance de chlore dans les cellules de modèles animaux et de patients épileptiques. Dans la salle, le Dr Eric Lemonnier fait le rapprochement avec l'autisme. « Des parents m'avaient raconté que leurs enfants présentaient des réactions paradoxales aux prescriptions de valium (celui-ci les excitait au lieu de les calmer) », se souvient le pédopsychiatre rattaché au CHU de Limoges.

Or, le valium est connu pour provoquer des effets semblables chez certains épileptiques. « L'idée m'est venue que les réactions paradoxales chez les autistes étaient peut-être aussi dues à un excès de chlore dans leurs neurones. »

Les deux hommes décident de tester cette intuition : ils lancent deux premiers essais cliniques sur des enfants autistes en 2010, puis 2012, en misant sur la bumétanide, déjà expérimentée avec succès sur des souris épileptiques. Évalué par les médecins traitants et les parents des patients, le sirop atténue les comportements stéréotypés et les difficultés de socialisation. Les parents, eux, constatent que leur enfant est « plus présent. Il les regarde davantage dans les yeux et est plus disponible pour faire les activités qu'on lui propose », résume le Dr Lemonnier. L’imagerie médicale confirme l'action du sirop. Des IRM réalisées alors qu'on demande aux patients de fixer des visages montrent que leur complexe amygdalien, une région du cerveau impliquée dans la peur et l'émotivité, est moins activé après le traitement.

Vue latérale d’un hémisphère cérébral droit, sur lequel sont représentées les zones du cerveau qui sont plus actives en réponse à la présentation de visages souriants après dix mois de traitement avec de la bumétanide.

PHOTOGRAPHIE DE Hadjikhani et al, Autism 2015

La piste du chlore doit tout à un champ d'études que le Pr Ben-Ari a baptisé la « neuro-archéologie ». Elle consiste à remonter à la source des pathologies neurologiques et psychiatriques, in utero, au moment de la construction du cerveau.

« Des recherches sur des souris montrent que le cerveau en développement n'est pas un petit cerveau adulte. Il fonctionne selon ses propres règles, avec des activités électriques particulières. On a observé la même chose chez les bébés, en particulier prématurés. En travaillant avec mes collègues de la Maternité de Port Royal, j’ai approfondi ces travaux et découvert en 1989 le rôle du chlore. In utero ou à la naissance, les neurones des souris présentent un taux de chlore très élevé, nécessaire à la construction du cerveau, associée à une activité de réseau unique. Ce fonctionnement immature disparaît après la naissance, la baisse du chlore entraînant une inhibition cérébrale qui permet de générer une activité normale. Or si un événement pathologique survient pendant le développement, il produit un désordre dans la construction cérébrale avec des taux de chlore élevés qui persistent, avec des conséquences des années et parfois des décennies plus tard. »

Il existe aujourd'hui un consensus scientifique qui définit les troubles du spectre autistique comme des pathologies neuro-développementales causées par des facteurs génétiques et environnementaux mal connus. La neuro-archéologie n'éclaire pas ces causes, mais elle fournit une datation, un moment déterminant dans la genèse de la pathologie. Les mécanismes à l'œuvre ne peuvent toutefois qu'être postulés et non prouvés.

Si l'hypothèse d'un lien entre autisme et excès de chlore dans les neurones a pu être mis en évidence chez des souris par le Pr Ben-Ari en 2014, elle est impossible à démontrer dans le cerveau d'une personne présentant un TSA, dont les taux de chlore ne peuvent être déterminés in vivo. Les effets cliniques de la bumétanide ont toutefois été corroborés par trois autres essais cliniques indépendants menés par des équipes étrangères qui ont utilisé le même protocole.

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    Formulation liquide à base de bumétanide

    PHOTOGRAPHIE DE Neurochlore

    Il ne s'agit pas d'un remède miracle. Il ne produit pas d'effets mesurables sur 20 à 25 % des patients testés. Et il ne règle pas les TSA, insistent les chercheurs. Mais il permet de les « atténuer grâce à une chirurgie pharmaceutique. Ce qui guérit, ce n'est pas nous, c'est la société. Il faut que ces enfants participent à la vie sociale, aillent à l'école », résume le Pr Ben-Ari. « Ils doivent continuer à être pris en charge avec une rééducation psychomotrice, orthophoniste... le traitement va simplement faciliter les processus d'apprentissage », renchérit le Dr Lemonnier, qui a pu constater ses bénéfices à long terme pour un certain nombre de patients.

    « Comme la bumétanide est dans le commerce, les parents qui ont participé aux premiers essais ont pu continuer la prescription s'ils le souhaitaient. Il y a certains enfants, toujours sous traitement, qui, initialement, avaient été orientés à la sortie de la maternelle en IME (Institut médico-éducatif) et qui sont aujourd'hui au lycée. »

    Piloté par l’entreprise Servier et Neurochlore - la société de biotechnologie fondée par les deux hommes - l'essai en cours devrait s'achever fin 2021, et, s'il confirme les résultats des deux précédentes phases de tests, aboutir à une mise sur le marché d'un médicament fin 2023 ou début 2024.

    Mais la bumétanide pourrait avoir bien d'autres débouchés. De nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques seraient liées à une surabondance de chlore dans les neurones, comme les traumatismes crâniens, la schizophrénie, la maladie d'Alzheimer ou encore la maladie de Parkinson.

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