Jurassic Park avait (presque) tout faux sur ce dinosaure
De nouveaux fossiles ont servi l'analyse la plus détaillée à ce jour du Dilophosaurus, nous permettant de comprendre à quoi ressemblait vraiment ce dinosaure à crête.
Une reconstitution montre un Dilophosaurus wetherilli adulte près d'une couvée d'œufs.
Dans le film Jurassic Park de Steven Spielberg (1993), un personnage mal-intentionné doit sa perte à une étrange créature, plus dangereuse qu'il n'y paraît : le Dilophosaurus. Pas plus grand qu'un humain, ce curieux dinosaure se fait menaçant lorsqu'il étend son large volant autour de sa tête, avant de cracher son venin dans les yeux de son adversaire. La scène iconique a fait du Dilophosaurus une icône de la culture pop. Seulement voilà : le véritable prédateur du Jurassique ne ressemblait en rien à celui du film.
« Pour moi, le Dilophosaurus est le dinosaure le plus "mal-connu" », explique Adam Marsh, paléontologue du parc national de la forêt pétrifiée en Arizona, qui a dirigé une nouvelle description complète de l'espèce, publiée dans le Journal of Paleontology.
Découverte il y a pourtant 80 ans, l'espèce reste encore largement méconnue.
Cette photo a été prise pendant l'excavation d'un spécimen de Dilophosaurus en 1942 par les scientifiques de l'université de Californie, Berkeley.
Les nouvelles descriptions comprennent deux spécimens de fossiles mis au jour en Arizona et non étudiés jusqu'alors, fournissant la première image claire de ce à quoi ressemblait vraiment Dilophosaurus. En lieu et place du petit dinosaure ayant recours à des ruses, au venin et à l'hypnotisation de ses proies, Dilophosaurus était un puissant prédateur et l'un des plus grands animaux terrestres d'Amérique du Nord du Jurassique, qui a duré environ 201 à 174 millions d'années.
« Il était beaucoup plus grand que ce que l'on pourrait penser en regardant Jurassic Park », dit Marsh.
MOITIÉ FOSSILES, MOITIÉ PLÂTRE
Jesse Williams, un Navajo, a mis au jour les premiers spécimens de Dilophosaurus en 1940 sur les terres de la Nation Navajo près de Tuba City, en Arizona. En 1942, Jesse Williams a montré les fossiles qu'il avait découverts aux paléontologues de l'Université de Californie à Berkeley, dont Samuel Welles, qui a pu déterminer qu'il s'agissait là d'une nouvelle espèce en 1954.
L'équipe qui a reconstitué le dinosaure, pour mieux l'exposer, a utilisé des os en plâtre pour remplacer les fossiles manquants. Le dinosaure ainsi reconstitué a été « intentionnellement conçu pour ressembler à Allosaurus [un autre prédateur]... parce qu'ils voulaient l'accrocher sur un support mural dans son intégralité », souligne Adam Marsh. Le problème est que l'étude de 1954, et les recherches complémentaires publiées par Welles en 1984, n'ont pas précisé quels os étaient de véritables fossiles et quels étaient ceux en plâtre.
Des recherches ultérieures basées sur ces premières analyses ont conduit à une confusion induite : Dilophosaurus était-il plus étroitement lié aux carnivores du Trias de la taille de la dinde, tels que la coelophyse, ou à de plus grandes espèces du Jurassique supérieur, comme Ceratosaurus et Allosaurus ?
« Il n'était tout simplement pas clair après 1984 s'il était question de la véritable anatomie [du dinosaure] ou de quelque chose décrit à partir des éléments en plâtre », dit Marsh. Sans que personne ne consacre plus de temps et de ressources à une étude plus approfondie du spécimen, l'image confuse de l'anatomie de l'animal a persisté pendant des décennies.
« Tout le monde s'est appuyé sur cette monographie pour ses recherches d'une manière ou d'une autre, seulement la façon dont ce document a été rédigé n'était pas la bonne», explique Peter Makovicky, paléontologue à l'Université du Minnesota, qui n'a pas pris part à la nouvelle étude.
REDÉCOUVRIR DILOPHOSAURUS
Pour rétablir la réalité scientifique, Marsh a passé sept ans à étudier chacun des trois squelettes de Dilophosaurus les plus complets, qui appartiennent à la nation Navajo et sont conservés à Université de Californie, à Berkeley. Il a également examiné deux spécimens jusqu'alors non étudiés, découverts sur les terres navajos il y a deux décennies par Timothy Rowe, paléontologue à l'Université du Texas, co-auteur de la nouvelle recherche et référent doctoral d'Adam Marsh.
Les premières recherches menées sur Dilophosaurus suggéraient qu'il avait des mâchoires faibles et une crête fragile - des traits qui, selon Marsh, ont pu influencer la représentation de l'animal comme un dinosaure mince crachant du venin dans le roman Jurassic Park de Michael Crichton, paru en 1990. Ni le venin ni la collerette qui a été ajoutée dans le film n'ont de fondement d'un point de vue fossile.
Les nouveaux fossiles comprennent une patte arrière complète et plusieurs parties du squelette inconnues chez les spécimens antérieurs, y compris la boîte crânienne et le bassin, et les os montrent que Dilophosaurus avait des mâchoires solides doublées de muscles puissants. Il mesurait 6 mètres de long - environ la moitié de la taille d'un T. rex adulte - et il pesait environ 750 kilogrammes, ce qui signifie qu'il se serait facilement jeté sur de grandes proies qui partageaient son environnement, comme Sarahsaurus, un sauropode à long cou de la taille d'un SUV.
Wann Langston, Jr., à l'université de Californie, Berkeley, supervise la reconstruction du premier squelette de Dilophosaurus au début des années 1950.
« Dilophosaurus était clairement conçu pour être un gros macro-prédateur », explique Adam Marsh. « C'est un animal de grande taille qui était fait pour manger d'autres animaux. »
La nouvelle étude est une « description bienvenue de cet animal », explique Martín Ezcurra, un paléontologue qui étudie les premiers dinosaures carnivores au musée argentin des sciences naturelles Bernardino Rivadavia à Buenos Aires. « Il est très intéressant que les auteurs aient augmenté le nombre de spécimens... cela nous apprend que Dilophosaurus était plus présent dans les écosystèmes du Jurassique inférieur que nous ne le pensions. »
UNE BEAUTÉ HUPPÉE
Une caractéristique montrée dans Jurassic Park représentée avec précision était la double crête qui longeait le haut du museau de la créature. La crête - qui était potentiellement de couleur vive, aurait pu être utilisée pour intimider des rivaux ou pour des parades amoureuses, comme les bois d'un cerf ou la queue d'un paon modernes.
« C'est un animal tellement étonnant. Il possède ces deux crêtes osseuses minces qui courent le long du sommet de son crâne, à partir de la narine jusqu'à par-dessus l'orbite », explique Makovicky.
Malgré son apparente fragilité, cette crête, qui est « unique dans sa constitution », était renforcée par des poches d'air disposées en nid d'abeilles, selon Marsh. Lui et Rowe ont également constaté que des poches d'air étaient également présentes sur la boite crânienne et d'autres os du squelette, preuve de l'évolution des ancêtres de Dilophosaurus vers des squelettes plus légers. Cela a permis à ces grands animaux d'atteindre de plus grandes tailles sans être paralysés par leur propre poids, devenant ainsi les premiers grands dinosaures carnivores d'Amérique du Nord.
Les espaces de la crête - qui se rejoignent au niveau des voies nasales de l'animal - peuvent même avoir été attachés à des poches d'air gonflables, un peu comme nous l'observons chez les fregatidae modernes. Cependant, cette théorie devra être soumise au jugement d'autres paléontologues sur la base des données anatomiques nouvellement publiées.
Dilophosaurus, Cryolophosaurus et les dinosaures à crête apparentés mis au jour en Chine et en Argentine sont tous apparus au début du Jurassique, preuve d'« une augmentation soudaine en termes de taille au moment de l'extinction Trias-Jurassique, qui coïnciderait avec la disparition de grandes lignées de crocodiles » indique Makovicky. « Cette niche de grands prédateurs était en jeu, et ces dinosaures à crête semblent s'y être engouffrés très rapidement. »
Malgré leur succès initial, les dinosaures à crête n'ont survécu que pendant une courte période en termes d'évolution - quelques dizaines de millions d'années - avant d'être remplacés par des espèces telles que Ceratosaurus et Allosaurus. Les crêtes de tête sont beaucoup moins courantes chez les derniers dinosaures, peut-être parce que ces animaux ont commencé à avoir des plumes, au service de parades plus efficaces et moins complexes sur le plan biologique que les structures osseuses.
« À bien des égards, le Dilophosaurus est une espèce clé dans notre compréhension des théropodes au début du Jurassique », explique Makovicky. « Mais la littérature à ce sujet est obsolète depuis très longtemps. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.