Aux États-Unis, la crise du coronavirus révèle les failles d'un système de santé défavorisant les femmes

Pour se soigner, nombre de femmes se tournent vers des spécialistes plutôt que des médecins traitants. Un nouveau rapport du Commonwealth Fund montre comment le système de santé pourrait être amélioré.

De Kelly Glass
Publication 25 août 2020, 17:20 CEST
Le personnel soignant aide Zully, patiente atteinte de COVID-19 et demandeuse d’asile guatémaltèque, à faire ses ...

Le personnel soignant aide Zully, patiente atteinte de COVID-19 et demandeuse d’asile guatémaltèque, à faire ses premiers pas après avoir débranché son respirateur artificiel dans un hôpital de Stamford dans le Connecticut le 24 avril 2020.

PHOTOGRAPHIE DE John Moore, Getty Images

À la question « qui est votre médecin traitant ? » Devon Anderson laisse le champ vide lorsqu’elle remplit des formulaires de santé. La jeune femme de 38 ans a arrêté de consulter celle-ci il y a quatre ans, après des erreurs de diagnostic. La relation s’est petit à petit détériorée.

« À chaque fois que je la voyais, elle me donnait des analgésiques ou des médicaments contre l’infection mais je savais bien que quelque chose ne tournait pas rond », dit Anderson. Finalement, c’est son gynécologue qui l’a orientée vers un urogynécologue. Le verdict est tombé : cystite interstitielle, une maladie chronique qui se caractérise par des douleurs au niveau de la vessie. Depuis, elle se tourne vers son gynécologue lorsqu’elle veut être redirigée vers un spécialiste.

Anderson fait partie de ces nombreuses personnes de moins de 60 ans qui n’ont pas de médecin traitant, selon une étude publiée en 2019 dans la revue JAMA Internal Medicine. Tout comme Anderson, de nombreuses femmes considèrent leur gynécologue comme médecin traitant. D’ailleurs, beaucoup de femmes n’ont recours au système de santé qu’après avoir eu un enfant. Un système fragmenté où les soins de santé primaires et maternels, ainsi que la santé des femmes dans l’absolu, sont relégués au deuxième plan.

La COVID-19 a mis en lumière les failles du système. Avant la pandémie, 54 % de toutes les consultations se faisaient chez des spécialistes, y compris les cardiologues, les oncologues et les gynécologues. Aujourd’hui, ces consultations sont retardées ou limitées en raison des restrictions imposées par la pandémie, ce qui préoccupe particulièrement les femmes qui comptent sur les spécialistes pour des besoins de santé généraux.

Un nouveau rapport publié par le Commonwealth Fund – qui a pour but d’améliorer l’accès aux soins de santé notamment pour les personnes les plus vulnérables de la société – explique comment ce système fragmenté affecte la santé des femmes aux États-Unis. Le rapport décrit également les caractéristiques d’un bon système de santé adapté aux besoins des femmes.

Selon le rapport, l’une des failles principales est que le système de santé américain privilégie l’intervention plutôt que la prévention. Le médecin traitant peut surveiller de près la maladie de sa patiente et, au fil du temps, établir avec elle une relation de soins et de confiance. Les spécialistes ne répondent généralement qu’à des besoins particuliers. En conséquence, la moitié des Américaines ne reçoivent pas l’attention nécessaire à la médecine préventive, explique Laurie Zephyrin, vice-présidente du Delivery System Reform au Commonwealth Fund et co-auteure dudit rapport.  

« C’est la porte d’accès au système de santé. Le médecin traitant devrait répondre aux besoins de ses patients en matière de santé mentale et sociale », précise-t-elle. « Malheureusement, aux États-Unis, par rapport à d’autres pays aussi riches, on investit très peu dans les soins de santé primaires et les médecins traitants ne sont pas remboursés au même taux que les spécialistes. »

 

OBSTACLES AUX SOINS

Le rapport du Commonwealth Fund met l’accent sur les principaux obstacles à l’amélioration de la santé des femmes. Selon l’Académie américaine des médecins de famille, environ 130 000 décès peuvent être évités aux États-Unis chaque année, rien qu’en améliorant l’accès aux soins de santé primaires.

« En regardant de près les soins de santé primaires – notamment au sein des communautés de couleur – on note une pénurie de professionnels de santé, que ce soit dans les zones urbaines ou rurales, détaille Zephyrin.

Les régions où les fournisseurs de soins de santé primaires sont moins nombreux enregistrent des taux plus élevés de mortalité liée au cancer, de maladies cardiaques et d’hospitalisation. Les études montrent qu’un dépistage approprié du cancer du sein et de la chlamydia pourrait sauver la vie de 3 700 femmes et prévenir 30 000 cas d’annexite, une maladie grave qui peut causer l’infertilité ou provoquer des douleurs chroniques.

Souvent, les médecins traitants ne sont pas très à l’aise quand il s’agit de répondre aux besoins spécifiques des femmes, notamment en ce qui concerne la santé sexuelle et menstruelle, dit Sirina Keesara, directrice du service de santé des femmes au West Oakland Health en Californie. « Les femmes sont envoyées chez des spécialistes de la santé reproductive pour les frottis et les mammographies par exemple », indique Keesara.

Selon le rapport du Commonwealth Fund, l’éducation médicale ne tient généralement pas compte des besoins sexo-spécifiques. « Les différences entre les sexes au niveau de la progression et du traitement des maladies sont mal connues. Il en est de même pour les principaux problèmes rencontrés par les femmes. »

 

UNE RESPONSABILITÉ SOCIALE

La formation médicale ne parvient pas non plus à doter les médecins des compétences nécessaires pour répondre aux besoins sociaux de leurs patients, même si 80 % des médecins en reconnaissent l’importance. « Les facteurs sociaux constituent d’énormes entraves aux soins. Le transport et la garde d’enfants sont deux obstacles principaux qui empêchent les patients de consulter », souligne Keesara.

Le plus souvent, ce sont les femmes qui s’occupent de leurs enfants et de leurs foyers, particulièrement les mères de couleur qui sont les principales sources de revenus pour leurs familles, selon une étude menée par le Center for American Progress. Toutes ces obligations font que les femmes retardent souvent leur propre prise en charge.

Même lorsque les soins préventifs sont disponibles et accessibles, les femmes de couleur y recourent moins souvent pour des raisons culturelles. Les barrières linguistiques, le traitement discriminatoire et la méfiance des femmes hispaniques, noires et amérindiennes vis-à-vis du système de santé en sont quelques exemples.

En raison de ces différents obstacles et du racisme institutionnel au niveau du système de santé, les femmes noires ne font pas de dépistage précoce du cancer du sein et sont donc plus susceptibles d’en mourir. Les femmes hispaniques recourent moins aux frottis et aux mammographies et sont donc plus enclines à mourir du cancer du col de l’utérus. Quant aux femmes noires et amérindiennes, elles meurent deux à trois fois plus que les femmes blanches de complications liées à la grossesse et à l’accouchement.

« On parle beaucoup de soins de maternité et, par rapport à des pays similaires, les résultats en matière de santé et de bien-être maternels sont pires », s’alarme Zephyrin.

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    Un système de soins de santé primaires complet « fournit des services accessibles, de qualité, axés sur la prévention, intégrés aux soins de santé comportementaux et sociaux, équitables et efficaces », écrivent Zephyrin et ses collègues dans le rapport du Commonwealth Fund. L’accès à l’assurance ou le caractère abordable du service ne devraient donc pas déterminer la qualité des soins prodigués. La médecine préventive devrait faire l’objet d’une coordination entre les fournisseurs de soins de santé comportementale et physique et les services sociaux.

    Pour améliorer la santé des femmes, Barbara Jones affirme que la confiance et l’investissement en dehors du cabinet médical sont de mise. Jones est médecin de famille au Northside Peachtree Corners Primary Care en Géorgie. Selon elle, la dynamique du foyer est l’un des indicateurs essentiels pour l’amélioration de la santé. Les patients ont du mal à traiter leur hypertension artérielle ou diabète lorsque leurs conditions de vie sont source de stress au quotidien. Le rapport du Commonwealth Fund plaide également en faveur de visites personnalisées qui ne tiennent pas uniquement compte des antécédents médicaux des patients mais également de leurs besoins socio-économiques comme le logement, l’accès à la nourriture et la protection contre la violence.

    Il faudrait former une équipe de travailleurs sociaux et d’agents de santé communautaires pour prendre en charge les besoins des patients. Dans le cabinet de Keesara à Oakland en Californie, des personnes s’occupent du suivi téléphonique et, au besoin, mettent les patients en contact avec les entités sociales spécifiques comme les centres du traitement de la toxicomanie et les centres d’information sur les logements.

    Selon le rapport, les soins de santé primaires devraient être axés sur la prévention et non seulement le traitement des maladies. Pour Zephyrin, les soins de santé pour les femmes sont une relation continue avec une transition en douceur vers les spécialistes si le besoin s’impose. Il s’agit d’un modèle de soins intégré à la communauté et conçu par les femmes qui en font partie.

    Malgré ces changements systémiques, Devon Anderson ne retournera chez son médecin traitant que lorsque la médecine valorisera la voix des femmes et leur montrera qu’elles ne sont pas seules. Pour le moment, c’est son gynécologue qui continuera de lui servir de médecin traitant.

    « Je changerais peut-être d’avis le jour où je ne me sentirai plus comme un fardeau chez mon médecin traitant. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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