Il y a-t-il un risque à se rendre chez le dentiste pendant la pandémie ?

Suite à la mise en place de nouveaux protocoles de sécurité, les dentistes encouragent leurs patients à reprendre leurs visites au cabinet. Voici ce qu'il faut savoir avant votre prochain rendez-vous.

De Maya Wei-Haas
Publication 9 sept. 2020, 12:15 CEST
Avec les bonnes précautions, les dentistes affirment que le risque de contracter la COVID-19 lors d'une ...

Avec les bonnes précautions, les dentistes affirment que le risque de contracter la COVID-19 lors d'une consultation dentaire est minime alors qu'une prise de retard dans les soins constitue une réelle préoccupation sanitaire.

PHOTOGRAPHIE DE Luca Santini, Contrasto, Redux

C'est ma langue qui la première a identifié le problème en glissant sur l'extrémité anormalement tranchante de l'une de mes dents : un morceau de ma molaire arrière droite avait disparu. Je ne sais pas comment c'est arrivé. Tout ce que je sais, c'est qu'après plusieurs mois passés à éviter la proximité physique avec des inconnus, j'allais devoir m'installer sur le fauteuil d'un dentiste.

Conséquence de la pandémie qui fait rage à travers les États-Unis, le cabinet auquel je me rendais à Alexandria, en Virginie, était bien différent de celui que j'avais visité quelques mois plus tôt. Deux pots à crayons trônaient sur le bureau de la réception, l'un pour les stylos « propres » et l'autre pour ceux qui venaient d'être utilisés. Une plaque de Plexiglas me séparait des employés et tout le monde, à commencer par moi-même, portait un masque.

Le soin dentaire offre un environnement particulièrement risqué pour la propagation du SARS-CoV-2, puisque les intervenants travaillent face à  la bouche grande ouverte de leurs patients pendant un temps relativement long. « Malheureusement, notre travail porte sur une zone à risque, » témoigne Mark Woff, doyen de l'école de médecine dentaire de l'université de Pennsylvanie.

Malgré tout, les dentistes soutiennent qu'en appliquant les précautions adéquates, le risque pour les patients de contracter la COVID-19 au cours de leur consultation reste minime alors que le report de soins dentaires constitue un réel problème sanitaire pouvant entraîner des complications en dehors de la bouche. Ainsi, une gencive malade est parfois associée à d'autres affections chroniques, comme une maladie cardiaque. Voici donc ce à quoi devrait ressembler votre prochaine visite chez le dentiste en temps de pandémie.

 

QUELS SONT LES RISQUES ?

Le SARS-CoV-2 se propage à travers les gouttelettes que nous expulsons à mesure que nous respirons, parlons, toussons ou plus encore. D'autres individus risquent alors d'inhaler ces gouttelettes ou de toucher les surfaces contaminées avant de se frotter les yeux, le nez ou la bouche. Il arrive que les outils de la panoplie du dentiste, tels que les fraises ou les nettoyeurs à ultrasons, génèrent de minuscules particules, les aérosols, capables de transporter une charge virale infectieuse de coronavirus et de stagner dans l'air pendant quelques minutes à plusieurs heures.

En mars 2020, alors que nos connaissances sur le SARS-CoV-2 en étaient à leurs balbutiements, l'Association dentaire américaine (ADA) avait appelé les professionnels du secteur à reporter les soins non urgents afin de limiter la possible propagation du virus. Cette décision a également permis de préserver des équipements de protection individuelle pour les travailleurs hospitaliers confrontés à une pénurie. En étroite collaboration avec les Centres américains pour le contrôle des maladies (CDC), l'ADA a constitué un comité d'experts chargé d'établir une stratégie de réouverture en toute sécurité et au mois de mai les soins dentaires de routine ont pu reprendre à travers le pays avec un nouveau protocole de sécurité. En France, les consultations ont également repris courant mai et sont encadrées par les directives de la Haute autorité de santé (HSA) en matière d'agencement des locaux, de situation personnelle des patients et de protocoles propres aux soins bucco-dentaires.

« Notre objectif est la sécurité de nos patients, » assure Chad Gehani, président de l'ADA. « Agir dans le meilleur intérêt du public reste notre priorité absolue. »

 

DOIS-JE ALLER CHEZ LE DENTISTE SI CE N'EST PAS UNE URGENCE ?

En général, oui, sous certaines conditions.

Le report des soins dentaires présente des risques considérables au long terme pour la santé, affirme Gehani. Tout d'abord, certains problèmes bénins, comme la perte d'un plombage, peuvent dramatiquement s'aggraver s'ils sont ignorés ; un simple détartrage peut également s'avérer crucial. Par exemple, comme l'affirme Gehani, il existe un « lien solide » entre santé des gencives et diabète, ainsi qu'une connexion avec les maladies cardiaques. Les détartrages permettent de stabiliser l'état des gencives.

Par ailleurs, la période de confinement est également souvent synonyme d'une dégradation de l'alimentation des patients, marquée par une consommation accrue d'aliments néfastes pour les dents, comme les sucreries ou les boissons gazeuses. Un phénomène qui n'a pas échappé à Jessica Hill, la dentiste qui a réparé ma dent cassée. « Évidemment, nous remarquons une différence, » m'a-t-elle confié. « La bouche des patients semble plus sale et il faut plus de temps pour la nettoyer. Mais pas de problème, nous sommes prêts à relever le défi tant que nous sommes autorisés à ouvrir nos portes et exercer notre métier. »

Selon Wolff, le risque pour les patients d'être contaminé est au plus haut sur le trajet du domicile au cabinet. La situation qui l'inquiète le plus est celle des patients contraints de prendre place à bord de bus ou de métros bondés où la transmission virale est élevée, particulièrement lorsqu'il s'agit de personnes à risques. En cas de doute, il recommande de s'entretenir directement avec son dentiste avant de se rendre au cabinet. Reporter un détartrage de quelques semaines ou d'un mois dans l'attente d'une baisse des taux de transmission du coronavirus ne pose probablement aucun problème, poursuit-il, mais un report de six mois ou plus reste préoccupant à ses yeux.

Avant d'ajouter : « C'est ma plus grande peur : sans savoir quand cette situation prendra fin, les patients vont continuer d'attendre et lorsqu'ils se présenteront au cabinet, ils auront encore plus de problèmes. »

 

À QUOI RESSEMBLE UNE CONSULTATION DENTAIRE EN TOUTE SÉCURITÉ ?

Puisque la transmission du coronavirus se fait également via les patients asymptomatiques, les dentistes doivent suivre une série de précautions, nous explique Wolff. Dans le cadre des suggestions faites par l'ADA ou les CDC aux États-Unis et la HAS pour la France, vous devriez remarquer des différences avant même votre arrivée au cabinet avec une première évaluation de votre demande à distance. Cette évaluation prendra la forme d'un questionnaire relatif à votre état de santé, notamment l'éventuelle présence d'une toux ou le contact potentiel avec des personnes ayant contracté la COVID-19.

Afin de limiter les risques à l'intérieur même du cabinet, les dentistes limitent le nombre de patients qu'ils reçoivent dans une même salle de soins et leur demandent de se présenter seuls, ce qui limite le nombre d'interactions potentielles. En France, la prise de température à votre arrivée au cabinet n'est pas recommandée par les autorités sanitaires. En ce qui concerne la salle d'attente, elle devrait comporter un nombre de sièges réduits, espacés d'un mètre au minimum, et être débarrassée de ses habituels magazines. Certains cabinets peuvent également privilégier une entrée directe dans la salle de soins, sans salle d'attente. Enfin, le port du masque est obligatoire pour tout le monde, personnel comme patients.

Les changements devraient vous sauter aux yeux une fois dans le cabinet dentaire ; ils vous indiquent que votre dentiste prend au sérieux les recommandations sanitaires. Il en va de même pour la France et les directives des différents organismes de santé publique.

Le dentiste devrait également porter divers équipements de protection individuelle, comme un masque FFP2. En plus de réduire les aérosols qu'ils pourraient inhaler pendant la procédure, ces masques limitent également les particules expulsées de leur propre bouche. Gehani précise qu'il n'est plus aussi bavard qu'à l'accoutumée pendant les visites afin de minimiser ces émissions. Le dentiste portera une protection oculaire sous la forme de lunettes ou d'un écran facial visant à empêcher toute projection de salive ou de sang d'entrer en contact avec ses yeux, une pratique que Hill souhaite conserver bien après la fin de la pandémie.

« Après chaque patient, je nettoie mon écran facial et je me dis, "Mon Dieu, avant tout ça était sur mon visage" », ajoute-t-elle.

 

QUELLES ÉVOLUTIONS POUR LES PROCÉDURES DENTAIRES ?

Ce ne sera pas la première fois qu'une pandémie fait évoluer les soins dentaires. Comme le rappelle Gehani, de nombreuses mesures, telles que l'utilisation constante de gants ou de masques, ont été mises en place pendant l'épidémie de VIH/SIDA dans les années 1980. À présent, face aux préoccupations inhérentes à l'actuelle pandémie, « nous redoublons d'efforts pour garantir le respect des directives de protection contre les infections, » explique-t-il.

Avant le soin, certains dentistes réalisent un bain de bouche à base de povidone iodée ou de peroxyde d'hydrogène, deux substances connues pour leur activité virucide, afin d'éliminer la ménagerie microbienne installée dans votre bouche et la partie supérieure de votre pharynx. L'objectif d'un tel protocole est de réduire la potentielle charge virale de SARS-CoV-2 dans les aérosols générés lors de votre visite. Il n'existe aucune preuve scientifique à l'heure actuelle de son efficacité dans la lutte contre la transmission de la COVID-19, indique Gehani, mais « ce n'est pas une mauvaise habitude pour autant. »

L'Ordre national des chirurgiens-dentistes recommande par ailleurs de limiter l'éventail des instruments utilisés. Wolff nous informe à cet égard de la décision prise par son école de restreindre l'utilisation des instruments ultrasoniques pour nettoyer les dents. Ces outils vibrent avec une rapidité extrême, ce qui est « presque la méthode idéale pour aérosoliser un virus, » indique-t-il.

Au cours de certaines procédures, les dentistes pourront être amenés à utiliser une digue, une fine bande de latex qui recouvre l'essentiel de la bouche du patient pour ne laisser visible que la dent traitée. En bloquant la salive dans la bouche, la digue peut réduire le risque de création de projections et d'aérosols contenant une charge virale. Elles ne sont toutefois pas faciles à utiliser : « Il faut lutter avec le patient pour l'installer, » témoigne Hill. Elle ajoute qu'un assistant utilisant une aspiration puissante peut également limiter les projections pendant la procédure.

« Sachez également qu'un certain nombre de mesures sont prises en coulisses et restent invisibles aux yeux du patient, » observe Hill. Par exemple, son cabinet organise une rotation des salles de soins, ce qui permet aux aérosols de retomber avant l'entrée d'un nouveau patient. D'autres cabinets ont augmenté leur ventilation, ajoute Wolff, ce qui empêche la formation de poches d'air stagnantes pouvant contenir le virus.

Dans l'ensemble, les efforts fournis semblent fructueux, même si l'Organisation mondiale de la santé et l'ADA sont actuellement en désaccord au sujet des visites non essentielles dans les zones où la transmission du SARS-CoV-2 est importante.

« À ce stade, nous exerçons depuis début mai et aucun cas de transmission du virus d'un praticien dentaire vers un patient n'a été signalé, » conclut Hill. « Il semblerait donc que les dentistes fassent les choses correctement. »

 

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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