Que se passe-t-il si vous contractez simultanément la grippe et le coronavirus ?
Deux experts en maladies infectieuses nous expliquent pourquoi il est nécessaire de ne pas faire l'impasse sur le vaccin contre la grippe cette année.
Enbal Sabag, infirmière, a enfilé ses équipements de protection individuelle pour un vaccin contre la grippe à Noel Janzen le 3 septembre 2020 à la MinuteClinic de Key Biscayne en Floride. D'après les professionnels de la santé, il est essentiel de recevoir le vaccin contre la grippe cette année car les dangers de contracter simultanément la COVID-19 et la grippe sont encore méconnus.
C'est un rituel d'automne familier : chaque pharmacie de quartier sort sa pancarte « Vaccin contre la grippe disponible ici » et les prestataires de soins inondent nos boîtes mail de rappels concernant nos vaccinations annuelles.
Cette année, c'est différent. Nous sommes face à une « double épidémie », la COVID-19 doublée de la grippe saisonnière, et une étude montre qu'il est possible de contracter les deux maladies respiratoires au même moment. Malheureusement, l'histoire démontre que la population n'a pas suffisamment pris la grippe au sérieux. En France l'an dernier, 10.6 millions de doses du vaccin ont été vendues d'octobre 2019 à décembre 2019, et ce, malgré l'important taux de mortalité des versions saisonnières de la grippe : les épidémies saisonnières annuelles touchent chaque année 2 à 8 millions de personnes en France, avec un excès de mortalité attribuable à la grippe de 10 000 à 15 000 décès, principalement chez les sujets fragiles. La présence simultanée des deux maladies menace de mettre à l'épreuve nos systèmes de santé et de faire courir un risque sans précédent à la vie humaine, sans parler de la possibilité existante pour une souche de grippe aviaire tapie dans les marchés avicoles de passer chez l'Homme et de déclencher une nouvelle pandémie.
National Geographic a interrogé deux experts des maladies infectieuses pour évaluer les risques que comporte cette double menace et comprendre pourquoi nous devrions tous nous recevoir le vaccin contre la grippe dès que possible. L'interview qui suit a été éditée par souci de longueur et de clarté.
La COVID-19 est bien plus grave que la grippe. Alors pourquoi les autorités sanitaires se préoccupent-elles soudainement des vaccins contre la grippe ?
Lisa Maragakis, directrice du service de prévention des infections au sein de l'école de médecine de l'université Johns-Hopkins à Baltimore, dans le Maryland :
Les symptômes de la grippe et de la COVID-19 se ressemblent tellement que l'un des défis auxquels nous sommes confrontés cette année est de diagnostiquer correctement et rapidement les patients. Même si vous avez des symptômes modérés, ne vous lancez pas seuls face à un virus et n'allez pas imaginer que la toux est l'unique indice d'une infection au coronavirus. Vous devez contacter votre médecin si vous avez des courbatures, de la fièvre, un mal de gorge ou des symptômes respiratoires afin d'être testé pour la COVID-19. La liste des signaux d'alarme pour le coronavirus ne cesse de s'allonger et inclut à présent la perte de goût ou d'odorat, les nausées, les diarrhées et même des rougeurs et gonflements au niveau des orteils.
Il est primordial de savoir quelle infection vous avez contractée. Avec la grippe, le médecin pourra vous prescrire des antiviraux si votre situation l'exige. Cependant, si c'est la COVID-19, votre médecin vous aidera à savoir s'il est nécessaire d'aller à l'hôpital en cas de symptômes sévères où vous seront prescrits des stéroïdes ou d'autres traitements expérimentaux. En outre, vous devrez vous isoler afin d'éviter de transmettre aux autres la maladie.
Vous ne considérez peut-être pas la grippe comme un réel problème si vous l'avez déjà contractée dans sa forme modérée ; vous vous sentez faible pendant quelques jours avant de voir vos symptômes disparaître d'eux-mêmes. Mais il suffit de poser la question à une personne ayant guéri d'une pneumonie virale provoquée par la grippe pour comprendre à quel point elle peut nous abattre. Elle aussi peut vous envoyer à l'hôpital. Je pense que la gravité de la maladie est souvent sous-estimée.
Compte tenu de la saison grippale dans l'hémisphère sud cette année, à quoi doit-on s'attendre dans l'hémisphère nord ?
Robert Webster, spécialiste des maladies infectieuses au St Jude Children’s Research Hospital de Memphis, dans le Tennessee :
Personne ne peut prédire la sévérité d'une épidémie saisonnière de grippe. Cela dit, les nouvelles en provenance des pays de l'hémisphère sud sont plutôt bonnes, notamment en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Chili où la saison touche à sa fin. Les taux de grippe saisonnière ont été étonnamment bas. La raison à cela est que les gouvernements de ces pays ont mis en place des stratégies si efficaces de lutte contre le coronavirus (distanciation, lavage des mains, port du masque) que la grippe n'a pas eu l'occasion de s'installer. La ville australienne de Melbourne est même entrée de nouveau en confinement.
Puisque les enfants sont généralement les plus grands vecteurs de transmission de la grippe, les fermetures d'écoles contribuent à ralentir la propagation. Néanmoins, prenez garde au faux sentiment de sécurité, même si vous respectez les directives locales en matière de santé. En tant qu'être humain responsable, vous aurez besoin du vaccin contre la grippe, car vous pourriez transmettre la maladie à une personne plus vulnérable qui pourrait en mourir.
Certains pensent que le vaccin contre la grippe n'est pas très efficace et ne vaut pas la peine. Quel message souhaitez-vous leur transmettre ?
Maragakis : Le vaccin contre la grippe n'est jamais efficace à 100 % et le niveau de protection qu'il offre varie d'année en année. Il est produit plusieurs mois à l'avance et se compose de quatre souches différentes qui devraient circuler pendant la saison grippale selon les prévisions.
Le vaccin contre la grippe n'est pas parfait, mais c'est la meilleure prévention dont nous disposons et nous devrions en profiter. Même si vous contractez la grippe après avoir été vacciné, il est plus probable que ce soit une forme moins sévère suivie d'une guérison rapide.
Où se rendre pour se faire vacciner en toute sécurité ? Le risque vaut-il la peine d'être pris pour les personnes vulnérables à COVID-19 ?
Maragakis : Aux États-Unis, le vaccin contre la grippe est disponible dans les cliniques, les pharmacies et même les supermarchés, le choix est donc large pour qui souhaite le recevoir. Si le fait de faire la queue vous inquiète en raison de l'exposition à la COVID-19, il peut être judicieux de contacter votre pharmacie ou votre prestataire de soins afin de convenir d'un rendez-vous. De nombreux centres médicaux ont pris leurs précautions pour assurer la sécurité des patients en exigeant par exemple le port du masque et la distanciation ou en effectuant des nettoyages plus poussés. Malgré le mythe du vaccin qui rend malade, le vaccin contre la grippe ne provoque pas la grippe, même chez les patients immunodéprimés.
Que se passe-t-il si l'on contracte simultanément la grippe et la COVID-19 ? Est-il plus grave de contracter l'une avant l'autre ?
Maragakis : Nous savons qu'il est possible de contracter deux maladies virales en même temps, et qu'il est plus difficile pour votre système immunitaire de les combattre en parallèle. Vous risquez de graves lésions pulmonaires, un prolongement de la maladie, des complications et même la mort.
Nous ne savons pas encore si la COVID-19 augmente le risque de contracter la grippe, et vice-versa. Mais une chose est sûre, vous êtes plus vulnérables, car les infections virales affectent les tissus de vos voies respiratoires, il vous sera donc plus difficile de lutter contre des infections successives. Une inflammation des poumons, causée par l'une ou l'autre de ces deux maladies, offre également une porte d'entrée aux bactéries.
Pourquoi se faire vacciner le plus tôt possible contre la grippe ?
Maragakis : J'encourage la population à se faire vacciner contre la grippe avant la fin du mois d'octobre. Il faut compter 10 à 14 jours entre l'injection et le développement d'une immunité ; se faire vacciner tôt offre donc une meilleure protection avant que la saison de la grippe ne batte réellement son plein. Plus vous attendez, plus vous risquez de contracter la grippe.
Pensez-vous que le vaccin universel contre la grippe sera un jour une réalité ?
Webster : C'est mon rêve. L'avantage d'un vaccin universel réside dans son efficacité contre différentes souches grippales, ce qui voudrait dire que les patients n'auraient plus à se faire vacciner chaque année. Il éliminerait également le besoin pour les chercheurs d'essayer de deviner quelles souches circuleront d'une année à l'autre. Enfin, il offrirait une protection plus complète, notamment contre les menaces émergentes.
Les études sont prometteuses et je pense que nous pouvons espérer le voir devenir une réalité d'ici cinq ans. Il y a plusieurs candidats vaccins universels en troisième phase des essais cliniques à l'heure actuelle. Ils produisent des anticorps efficaces qui ciblent la « tige » de l'hémagglutinine, une partie commune à 18 sous-types de la grippe.
Sommes-nous mieux préparés cette année pour une nouvelle pandémie de souche grippale ?
Webster : Les pandémies sont imprévisibles et nous n'avons aucun moyen de savoir comme une grippe aviaire ou porcine développe la capacité de se transmettre à l'Homme. C'est une combinaison de mutations génétiques aléatoires et de la façon dont le virus interagit avec le système immunitaire humain. À l'heure actuelle, deux types virus présents dans les marchés avicoles asiatiques m'inquiètent quant à leur capacité à réaliser un saut d'espèce vers l'Homme.
Néanmoins, la COVID-19 nous a poussés à renforcer notre capacité de production des vaccins et à explorer de nouvelles méthodes de mise au point. Plus de 150 entreprises travaillent sur un vaccin contre la COVID-19. Ces infrastructures associées à la culture de pensée créatrice qui s'installe nous seront d'une aide précieuse, car nous pourrons appliquer les leçons tirées de cette pandémie à la prochaine.
Il y aura d'autres épidémies à l'avenir, c'est inévitable. Mais nous serons mieux préparés et cela me donne de l'espoir.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.