Coronavirus et grossesse : quand le COVID s'installe durablement

Une analyse de grande envergure explore la façon dont le coronavirus affecte les femmes enceintes, catégorie de la population à haut risque souvent négligée dans les études.

De Maya Wei-Haas
Publication 8 oct. 2020, 15:55 CEST
Une étude d'envergure sans précédent vient combler nos lacunes sur la persistance des symptômes de la ...

Une étude d'envergure sans précédent vient combler nos lacunes sur la persistance des symptômes de la COVID-19 chez les femmes enceintes.

PHOTOGRAPHIE DE Callaghan O'Hare, Reuters

En tant que gynécologue-obstétricienne au sein de l'université de Californie à San Francisco, Jacoby sait pertinemment que les femmes enceintes ont tendance à se porter bien plus mal que le grand public lors des épidémies de maladies infectieuses. Pendant la pandémie de H1N1 en 2009, 5 % des décès signalés étaient des femmes enceintes alors qu'elles ne représentent que 1 % de la population. En outre, au début de la pandémie de coronavirus, le peu d'information qui émergeait à propos du SARS-CoV-2 faisait largement l'impasse sur ce groupe à haut risque.

« Il y avait toutes ces questions pour lesquelles nous n'avions aucune réponse à transmettre à nos patientes lorsque l'épidémie a éclaté, » se souvient Jacoby. « Il nous fallait des réponses, et vite. »

À travers ce qui est à ce jour la plus grande analyse du genre, Jacoby et ses collègues sont venus combler certaines de ces lacunes. L'équipe de scientifiques a ainsi découvert que les symptômes de la COVID-19 persistaient chez un grand nombre de participantes à l'étude qui portait sur un échantillon de 594 femmes enceintes ou récemment enceintes, la plupart desquelles n'ont pas été hospitalisées.

Pour la moitié des participantes, la maladie était encore présente au bout de trois semaines, alors que 25 % d'entre elles étaient toujours en cours de guérison après deux mois ou plus. Rappelons que la durée typique des cas bénins se situe autour de deux semaines.

Selon l'étude, publiée le 7 octobre dans la revue Obstetrics & Gynecology, les symptômes des participantes se sont également manifestés différemment de ceux constatés au sein de la population non enceinte. Tout d'abord, alors que la fièvre est considérée comme l'un des principaux symptômes de la COVID-19, elle était peu fréquente chez les participantes : elle ne figurait dans les premiers symptômes que dans 12 % des cas, puis seulement 5 % après une semaine de maladie. D'autres signes de la maladie à coronavirus comme la toux, la perte d'odorat, la fatigue et l'essoufflement ont persisté jusqu'à deux mois chez une petite, mais significative partie des sujets.

De tels indices sur la progression de la COVID-19 pendant la grossesse peuvent aider les femmes enceintes et leur médecin à mieux anticiper les besoins d'assistance et les risques présentés par la maladie. Ils permettent également de mieux cerner le groupe grandissant des « Covid longs », les malades au long terme de la COVID-19 dont les symptômes étalés sur plusieurs mois décontenancent la communauté scientifique.

Jacoby précise que les résultats de cette étude qu'elle a co-dirigée avec trois autres chercheurs ne sont qu'un préambule. Ils espèrent pousser plus loin l'analyse de leurs sujets dans les mois à venir.

« Cette base de données va nous apporter beaucoup d'informations, » déclare Sarah Cross, professeure adjointe externe à l'étude au sein du département de médecine materno-fœtale de l'école médicale de l'université du Minnesota. « Je suis fascinée par leur travail. »

 

UNE MISSION URGENTE

Cette étude s'inscrit dans le cadre d'un ambitieux projet baptisé Pregnancy Coronavirus Outcomes Registry, ou PRIORITY, visant à constituer une base de données des femmes enceintes atteintes de la COVID-19 aux États-Unis et à suivre leur état, ainsi que celui de leurs bébés, jusqu'à un an après la fin de leur grossesse. Avec la montée en flèche des cas de coronavirus au début du printemps, la crainte de voir les hôpitaux surchargés et le risque de pénurie d'équipement de protection individuelle, Jacoby et ses collègues se sont lancés dans une course folle pour assembler de toutes pièces cette base de données.

« Le travail que l'on effectue habituellement en trois mois, nous l'avons fait en… deux semaines et demie, » témoigne Jacoby. « Nous en avons vraiment ressenti un besoin urgent. »

La grossesse modifie en profondeur le fonctionnement de l'organisme, en le rendant notamment plus vulnérable à certaines maladies infectieuses. Parmi les principaux changements figure notamment une légère suppression du système immunitaire. La raison à cela est simple et s'apparente à celle pour laquelle les patients greffés reçoivent des médicaments immunosuppresseurs afin d'éviter le rejet d'un organe transplanté, explique Cross. Le fœtus est à moitié constitué d'ADN paternel qui pourrait être considéré comme un intrus par le système immunitaire, le corps de la mère doit donc ajuster ses défenses pour permettre sa croissance.

La gestation d'un enfant peut également affecter les poumons de deux façons. À mesure que l'utérus grossit, il appuie sur le diaphragme, le muscle plat qui contrôle le volume d'air dans les poumons. Cette pression réduit la capacité respiratoire de la femme. Parallèlement, la croissance du fœtus augmente également les besoins en oxygène de l'organisme. Ces deux phénomènes rendent les poumons des femmes enceintes « un peu plus fragiles, » indique Cross.

 

LES ALÉAS DE LA COVID-19

L'équipe du projet PRIORITY a lancé le recrutement de ses sujets le 22 mars et sa base de données recense aujourd'hui 1 333 participantes à travers les États-Unis. La nouvelle étude s'intéresse à la première vague de sujets, près de 600 femmes enceintes atteintes de la COVID-19, recrutées avant le 10 juillet.

Dès le départ, la diversité ethnique a été un aspect central du recrutement, indique Jacoby. Bien avant l'apparition de la COVID-19, le racisme systémique a donné lieu à de fortes disparités dans les soins de santé et les opportunités socioéconomiques, autant de disparités que l'on retrouve dans le dénouement des grossesses. Aux États-Unis, le risque pour une femme noire de mourir de complications pendant la grossesse est six fois plus élevé que pour une femme blanche.

La pandémie exacerbe ces inégalités. Les patients issus des communautés afro-américaines et hispano-américaines sont près de cinq fois plus nombreux à être hospitalisés que les patients blancs. La constitution d'un échantillon diversifié pour l'étude PRIORITY devait permettre aux chercheurs d'aborder les questions relatives à la maladie avec une approche spécifique à ces communautés vulnérables. Les Afro-Américains, les Natifs, les Hispano-Américains et les Asiatiques représentent 41 % de l'échantillon. En outre, près de 15 % des sujets ont complété le formulaire de recrutement dans une langue autre que l'anglais.

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    « Comme chacun le sait, la langue ne représente en aucun cas une barrière à l'infection du virus, » déclare Jacoby.

    Qui plus est, la plupart des études sur la COVID-19 et la grossesse ont été réalisées avec des échantillons principalement composés de sujets hospitalisés, atteints d'une forme modérée à sévère de la maladie. Le groupe d'étude de PRIORITY comprend 95 % de malades à domicile, comme la grande majorité des personnes atteintes de la maladie aux États-Unis. Le but était de donner un aperçu représentatif de la progression de la maladie non seulement chez les femmes enceintes, mais également au sein des différentes communautés à travers les États-Unis.

    « Ce sont vos amis, vos voisins ou votre famille qui vivent avec la COVID-19 sans que leur état justifie une hospitalisation, » explique-t-elle.

    Dans l'ensemble, les résultats suggèrent que de nombreuses femmes enceintes souffrent de symptômes prolongés de la maladie à coronavirus, mais les doutes subsistent quant aux raisons de cette prolongation. L'équipe s'efforce actuellement de démêler les facteurs sous-jacents à l'œuvre et compte bien établir des statistiques plus exhaustives maintenant que le recrutement de l'étude PRIORITY est au complet.

    De façon plus générale, le « Covid long » reste un mystère. Personne ne sait vraiment pourquoi ces patients ne voient pas leurs symptômes se résorber au bout de deux semaines, comme les cas bénins classiques, ni à quelle fréquence ils existent dans la population générale. À ce stade, la présence de légères différences entre les échantillons recrutés par les études sur le Covid long rendent difficile la comparaison directe, explique Cross. Elle évoque notamment une étude menée par un hôpital français selon laquelle deux tiers des adultes atteints d'une forme bénigne de la COVID-19 présentaient encore des symptômes jusqu'à deux mois après être tombés malades. D'un autre côté, une enquête téléphonique menée par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) aux États-Unis a montré que 35 % des sondés souffraient de symptômes persistants deux à trois semaines après avoir été testés.

    Comme toute autre étude, le projet PRIORITY a également ses limites. D'après Jorge Salinas, épidémiologiste au Carver College of Medicine de l'université de l'Iowa, les participants à l'étude tendraient à être plus riches et plus éduqués que la population générale, avec 41 % des sujets ayant déclaré un revenu supérieur à 100 000 dollars par an (85 000 €). Cela est en partie dû au fait que le groupe d'étude se compose d'un tiers de professionnelles de la santé enceintes.

    « Depuis son apparition, la COVID nous a surpris toutes les semaines, » déclare Salinas, rappelant au passage que les premiers signalements de la maladie en Chine ne remontent même pas à un an. « Nous allons encore en apprendre plus sur les conséquences au long terme de la COVID-19 dans les années et les décennies à venir. »

    Cross reconnaît que le biais de l'étude vers les milieux sociaux plus aisés pourrait se traduire par un portrait global légèrement « plus rose » que la réalité à l'échelle d'un pays comme les États-Unis.

    « Nous entrons dans une nouvelle phase de la pandémie, et c'est une chance d'avoir des personnes qui mènent ces recherches très importantes, » conclut Cross. « Nous avons des données sur lesquelles nous appuyer, ce qui nous permet d'être un peu plus à l'aise pour conseiller les patients et prendre des décisions managériales. »

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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