Les enfants aussi souffrent du COVID long
La recherche s'étant principalement concentrée sur les adultes touchés par le COVID long, personne ne sait exactement combien d'enfants sont concernés. Mais selon plusieurs études, ils pourraient être nombreux.
Juillet 2020 : un garçon passe un test PCR à la clinique mobile du St. John’s Well Child & Family Center, dans le sud de Los Angeles.
Dans le monde de l’avant COVID-19, Wednesday Lynch, 11 ans, adorait être pom-pom girl. Elle maîtrisait la roue sans les mains et les saltos arrières. Wednesday aimait sortir avec ses amis et faire du vélo dans les rues Dallas, en Caroline du Nord.
Tout a brutalement changé en septembre, lorsqu’elle a été exposée au COVID-19 pendant des cours à distance qu'elle suivait avec d’autres élèves, alors même qu'ils respectaient les distanciations sociales. « Une des jeunes dans la pièce ne savait pas qu’elle l’avait à l’époque », explique Melissa, sa mère. Wednesday a été testée positive peu après.
Elle a présenté de nombreux symptômes classiques de la maladie : grande fatigue, faible taux d’oxygène et perte de l’odorat. Melissa Lynch est restée à la maison pour prendre soin de sa fille. Après quelques semaines, le médecin de famille lui a annoncé qu’elle pouvait reprendre le cours de sa vie.
Mais près de dix mois plus tard, elle n’en est toujours pas capable. Régulièrement, Wednesday souffre de ce que sa mère appelle « une vague de maladie ». Elle dure entre trois et sept jours, pendant lesquels elle est tellement fatiguée qu’elle peut à peine s’assoir, son cœur s’emballe, sa tête semble se reserrer tel un étau et la fièvre l'accable. La dernière fois qu'elle a été malade, Wednesday a fait une crise d’épilepsie.
Melissa a emmené sa fille voir plusieurs médecins, sans grands résultats. Wednesday est désormais suivie dans une clinique spécialisée dans le rétablissement post-COVID de l’école de médecine de l’université de Caroline du Nord. Mais peu de traitements lui ont été proposés pour le moment. « C’est frustrant de se dire qu’il n’y a rien de vraiment disponible. Comme un médecin me l’a dit, nous sommes tous dans le même bateau », déclare Melissa.
Les symptômes post-COVID chez les adultes laissent déjà les médecins perplexes. Chez les enfants, il s’agit là d’un problème encore plus complexe. Cette condition physique, plus communément connue sous le nom de COVID long, se caractérise par une série de symptômes qui persistent après la maladie. Les malades se plaignent généralement d’un certains nombre de maux, de fatigue, de difficultés à respirer, de palpitations cardiaques, de maux de tête, de douleurs musculaires et articulatoires, de fièvre, de vertige, de brouillard mental, entre autres.
À l’instar des adultes, ce syndrome peut affecter les enfants même après un épisode de COVID léger ou asymptomatique. Il est différent du syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique (PIMS), une maladie rare, grave et parfois liée au COVID-19. En France, 520 cas ont déjà été recensés au 13 juin 2021, dont un décès. Deux tiers des enfants ont dû être placés en soins intensifs. Même si cette pathologie frappe également les malades plus tard, elle est différente du COVID long.
COMBIEN D’ENFANTS SOUFFRENT DU COVID LONG ?
Personne ne le sait exactement. Plusieurs études à petite échelle laissent penser qu’ils pourraient être nombreux.
Des chercheurs basés à Rome ont suivi 129 enfants dont la moyenne d’âge était de 11 ans, testés positifs au COVID-19. Plus de la moitié d’entre eux présentaient au moins un signe persistant de l’affection après leur supposé rétablissement. Pour ceux ayant récupéré depuis au moins quatre mois, quatorze enfants, soit plus de 10 % des enfants suivis, souffraient encore d’au moins trois symptômes gênants.
Des scientifiques australiens ont suivi 171 jeunes enfants testés positifs au COVID-19, dont l’âge moyen était de trois ans. Ils ont révélé que 8 % d’entre eux signalaient des manifestations post-COVID jusqu’à deux mois plus tard. Dans cette étude toutefois, tous les participants ont totalement guéri sous six mois.
Début juin, des chercheurs néerlandais ont mené une enquête auprès de plusieurs pédiatres ayant rapporté au total 89 jeunes patients souffrant de ce trouble. Pour plus d’un tiers de ces enfants, les symptômes étaient assez graves pour engendrer « de fortes restrictions dans leur vie quotidienne, la plupart du temps à cause d’une fatigue excessive, des problèmes de concentration et des difficultés respiratoires ».
Il s’agit du phénomène le plus troublant pour Caroline Brackel, coauteure de l’étude et pneumologue pédiatrique aux centres médicaux de l’université d’Amsterdam.
Selon Alicia Johnston, pédiatre spécialiste des maladies infectieuses à l’hôpital pour enfants de Boston, les recherches se sont d’abord concentrées sur les adultes, les plus susceptibles d’être hospitalisés ou de mourir. « Nous sommes partis du principe que le COVID n’affectait pas gravement les enfants mais nous réalisons désormais qu’ils peuvent souffrir de ces symptômes persistants. »
Au cours de la deuxième semaine de juillet en France, le taux d’incidence du COVID-19 chez les 0-9 ans est estimé à 13 cas pour 100 000 habitants et à 62 chez les 10-19 ans, un taux supérieur à toutes les autres classes d’âge excepté les 20-29 ans. Il est donc clair que la situation pourrait devenir très problématique pour les enfants, les familles, les écoles et la société.
QUAND LES PARENTS S’UNISSENT
En l’absence de recherches approfondies ou de réponses satisfaisantes, les parents de ces jeunes patients se sont unis pour partager leurs expériences.
En Angleterre, Sammie McFarland était à bout de forces lorsqu’elle a enfin réussi à obtenir un rendez-vous médical pour sa fille de 15 ans. Au final, tout le monde a négligé ses plaintes. Après son combat contre le COVID-19, Kitty était passée d’une adolescente vive et pleine d’énergie à une jeune fille à peine capable de s’assoir ou de manger. Une infirmière lui a assuré que c’était à cause de l’anxiété et que « tout irait mieux lorsque le confinement se terminerait », se remémore Sammie.
Bien qu’elle aussi souffrait de symptômes similaires et qu’elle éprouvait des difficultés à se lever de son canapé, elle a jugé qu’elle devait agir. Il y a de cela huit mois, elle a créé un groupe Facebook appelé Long Covid Kids (Les enfants du COVID long). Il est destiné aux parents et rassemble aujourd’hui près de 3 000 membres. En France, ils existent plusieurs groupes Facebook, dont #AprèsJ20 qui s’adresse aux parents dont les enfants souffrent du COVID long. Il en existe également d'autres où se rassemblent les malades du COVID long, tous âges confondus.
De nombreux parents se sont sentis délaissés par la communauté médicale. Ils ont souvent été accusés d’inventer des maladies à leur enfant ou d’être des parents trop anxieux. « Si nous n’étions pas là les uns pour les autres, nous n’aurions rien », assure Sammie. Ces derniers mois, l’état de santé de Kitty s’est amélioré, mais elle n’a pas retrouvé sa forme habituelle.
Le groupe a lancé une enquête anonyme pour attirer l’attention du grand public. Des centaines de parents y ont répondu. Selon l’analyse des résultats par des scientifiques en Italie et au Royaume-Uni, la majorité d’entre eux a indiqué que leur enfant souffrait d’au moins quatre symptômes de la maladie des mois après leur infection. Une prépublication est déjà disponible en ligne. Dans la moitié des cas, les troubles disparaissent temporairement avant de refaire leur apparition. À peine 10 % des 510 enfants ont retrouvé leur niveau d’activité initial.
« Les parents sont apeurés et frustrés », explique Mme Johnston. « Ils veulent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour soulager leur enfant. »
Une partie du problème, pour les enfants comme pour les adultes, c’est que ce syndrome passe généralement inaperçu d'un point de vue médical. « La plupart des analyses montrent des résultats normaux », indique Marcos Mestre médecin en chef au Nicklaus Children’s Hospital de Miami. À titre d’exemple, la fatigue, le brouillard mental, les vertiges et de nombreux autres symptômes ne sont pas révélés par des analyses sanguines ou des scanners. C’est l’une des raisons pour lesquelles certains médecins pensent que les parents exagèrent.
En ce qui concerne les enfants les plus jeunes, comprendre ce qui leur arrive est encore compliqué, assure Carlos Oliveira, pédiatre spécialiste des maladies infectieuses qui fait partie d’un nouveau programme, le Children’s Post-COVID Comprehensive Care Program, géré par Yale Medicine et le Yale New Haven Children’s Hospital. « Les adolescents sont capables de verbaliser le fait qu’ils ont des maux de tête ou des difficultés à respirer mais les plus jeunes enfants en sont généralement incapables. » Même la fatigue peut être difficile à déceler puisqu’elle peut souvent se traduire par une hyperactivité chez les jeunes enfants plutôt que par une somnolence.
Les experts ne savent pas encore pourquoi certaines personnes sont touchées par ces symptômes post-infection. Parmi les différentes théories formulées, on peut citer une inflammation chronique déclenchée par des protéines virales inactivées ou une quantité de virus inactif persistante mais faible. Il pourrait éventuellement s’agir d’un traumatisme corporel que le COVID-19 peut engendrer, en particulier dans les cas graves.
Afin de mieux cerner les causes, les National Institutes of Health, des institutions gouvernementales américaines qui s'occupent de la recherche médicale et biomédicale, ont annoncé en mars le lancement d’une nouvelle étude, nommée CARING for Children with COVID, afin de mieux comprendre comment le COVID-19 touchait les jeunes. Bien que la recherche vise principalement à révéler les causes et trouver des traitements du PIMS, les pédiatres espèrent qu’elle apportera aussi des informations sur le COVID long.
En France, une étude de surveillance nationale des cas de syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique est en cours depuis le 1er mars 2020. Depuis cette date et jusqu’au 13 juin 2021, 595 cas de PIMS ont été détectés. Pour 3 % des cas, un lien avec le virus du COVID-19 a été confirmé et il est estimé comme possible pour 5 % des cas. Pour conclure, l’incidence cumulée des cas de PIMS en lien avec la COVID-19 sur cette période a été estimée à environ 36 cas pour un million d’habitants chez les moins de 18 ans.
LES OPTIONS DE TRAITEMENT À L’HEURE ACTUELLE
Face à ce manque d’informations, les médecins se tournent vers d’autres infections post-virales connues pour obtenir des éléments de réponse. Ils ont remarqué que les enfants souffraient souvent pendant des mois après avoir été infectés par la mononucléose ou la maladie de Lyme par exemple.
Il est donc question de minimiser les symptômes en premier lieu plutôt que de s’attaquer à la racine du problème. « Il n’y a aucun remède. Mais plus on réduit rapidement les symptômes, meilleure sera la situation de l’enfant à long terme. Par exemple, il ne faudrait pas que la fatigue l'empêche d'aller à l'école pendant plusieurs mois », explique M. Oliveira.
« J’aimerais beaucoup qu’il existe une pilule miracle pour inverser le cours des choses mais généralement il faut faire appel à plusieurs professionnels de santé pour dispenser des soins de soutien », confie Mme Johnston. Si l’enfant souffre de douleurs corporelles, les médecins des hôpitaux pour enfants leur administreront sûrement des médicaments et pourront compléter le traitement par un rétrocontrôle cognitif et comportemental ou de la méditation de pleine conscience. Ces thérapies permettent d’apaiser toute douleur amplifiée.
Des cliniques pluridisciplinaires spécialisées commencent à émerger dans quelques hôpitaux pour enfants et centres de soins. Les parents qui y emmènent leurs enfants bénéficient de différents soins prodigués par divers praticiens, notamment des neurologues, des gastroentérologues, des cardiologues et des physiothérapeutes.
Les parents n’ayant pas la possibilité de se rendre dans de tels centres devraient tout de même choisir une approche pluri-disciplinaire, conseille M. Mestre. « Commencez par aller voir un ou une pédiatre mais consultez également d’autres spécialistes, autant que nécessaire. »
Il est important de garder à l’esprit que parfois, certains symptômes disparaissent avec le temps. « On a remarqué que dans le cas d’autres conditions post-infection, les symptômes perduraient pendant des mois mais que l’enfant se rétablissait par la suite », souligne Mme Johnston.
Les parents dont les enfants n’ont pas contracté le COVID-19 devraient tout faire pour éviter une telle situation. « La meilleure solution pour éviter le syndrome post-COVID, c’est d’éviter d’attraper le COVID », soutient M. Oliveira.
Les jeunes enfants de moins de 12 ans n’ayant pas encore accès à la vaccination bénéficient tout de même d’une protection si leurs parents et leurs proches sont vaccinés. Les adultes doivent également poursuivre l’application d’autres mesures de sécurité sanitaire, notamment de faire porter le masque à leurs enfants et de respecter la distanciation sociale dans les environnements à risque.
Les enfants de plus de 12 ans, éligibles à la vaccination en France, devraient se faire vacciner dès que possible. « J’ai entendu des parents dire que les enfants survivaient au COVID mais il n’est pas question uniquement de survie. L’analyse des bénéfices-risques de la vaccination pour votre enfant doit tout prendre en considération, y compris le fait qu’ils peuvent souffrir de COVID long », déclare M. Mestre.
Wednesday Lynch a été vaccinée, ce qui a permis à sa famille de ne pas s’inquiéter d’une possible réinfection. Sa mère a annulé toutes les activités prévues pour cet été afin que sa fille puisse se reposer et obtenir les soins nécessaires fournis par la clinique spécialisée dans le COVID. Elle espère qu’à la rentrée, sa fille sera redevenue elle-même et qu’elle pourra de nouveau s’amuser à faire la roue comme elle aimait tant le faire.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.