Vous pouvez littéralement "sentir" si quelqu'un est malade

Certaines personnes sont capables de détecter une maladie uniquement grâce à leur odorat. Cette étrange faculté nous rappelle que notre nez constitue notre première défense contre les maladies.

De Erika Engelhaupt
Publication 20 juil. 2021, 17:23 CEST
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Joy Milne (à droite) a été capable d’identifier avec succès quelles personnes étaient atteintes de la maladie de Parkinson en se basant uniquement sur leur odeur.

PHOTOGRAPHIE DE Rex Features, Ap

Lorsque l'on tombe malade, on remarque parfois que notre odeur n’est pas très agréable. Notre odeur corporelle peut sembler différente, aigre et peu familière.

Si vous avez déjà noté cet effet secondaire désagréable, rassurez-vous, vous n’êtes pas les premiers. Des scientifiques ont découvert que des dizaines de maladies dégageaient une odeur particulière. Le diabète peut donner à l’urine une odeur de pomme avariée et la fièvre typhoïde donne au corps une odeur de pain cuit. Pis encore, la fièvre jaune donnerait apparemment à la peau la même odeur que celle d’une boucherie.

Certains scientifiques estiment que si nous pouvions identifier certaines odeurs et les associer à des maladies, nous pourrions flairer des maladies difficiles à détecter, comme les cancers ou les lésions cérébrales. Il y a quelques années, une femme originaire d’Écosse a fait la une grâce à sa capacité à détecter la maladie de Parkinson en sentant le t-shirt d’une personne.

Un tel don est tout à fait surprenant mais toute personne disposant d’un odorat fonctionnel pourrait probablement apprendre à reconnaître diverses odeurs de maladies. Selon Valerie Curtis, chercheuse en santé publique à l’école d’hygiène et de médecine tropicale de Londres, les humains sont doués pour détecter les maladies. Elle a également publié un livre intitulé Don’t Look, Don’t Touch, Don’t Eat (Ne regardez pas, ne touchez pas, ne mangez pas) consacré au dégoût.

« Les signes des maladies font partie des choses qui dégoûtent le plus les gens », assure Mme Curtis. Prenez notamment l’exemple du mucus, du vomi ou du pus. Le dégoût est le phénomène par lequel nous évitons les choses qui pourraient nous blesser. « D’un point de vue évolutif, il semble logique que nous utilisions notre nez pour détecter les maladies. » Évidemment, il peut arriver que les gens apprécient les choses dégageant de mauvaises odeurs.

En premier lieu, la question est de savoir pourquoi les personnes malades ont une odeur différente des autres. La principale raison, c’est que nos organismes relâchent des substances volatiles dans l’air en permanence. Elles sont transportées par notre haleine et suintent littéralement de tous nos pores. Elles varient en fonction de l’âge, du régime alimentaire et de la présence ou non d’une maladie qui aurait déréglé notre système métabolique. Les microbes présents dans nos intestins et sur notre peau contribuent également à notre propre signature olfactive en décomposant les sous-produits de notre métabolisme en d’autres, plus petits.

Pour résumer, nous sommes des usines à odeurs ambulantes. Si vous commencez à prêter attention à tous ces effluves, vous pourriez remarquer les moments où quelque chose ne va pas.

 

NON, CE N’EST PAS DU PATCHOULI

Il y a quelques années, une femme a attiré l’attention autour de la possibilité de flairer les maladies. Elle était capable de sentir la maladie de Parkinson, particulièrement difficile à diagnostiquer. Généralement, lorsque les patients apprennent qu’ils en sont atteints, ils ont déjà perdu la moitié de leurs cellules cérébrales responsables de la production de dopamine, attaquées par cette affection. Pourtant, près de six ans avant que son mari, Les, soit diagnostiqué, Joy Milne a remarqué que son odeur était étrange.

Il dégageait une odeur « un peu boisée, musquée », a déclaré Mme Milne au Telegraph. Des années plus tard, dans une pièce où se trouvaient de nombreux patients atteints de la maladie de Parkinson, elle a réalisé que cette odeur n’était pas propre à Les. Toutes les personnes souffrant de la maladie sentaient cette même odeur.

Elle en a fait part à Tilo Kunath, chercheur sur la maladie de Parkinson, qui en a discuté avec sa collègue, Perdita Barran, chimiste analyste. Ils en ont conclu que Mme Milne, pleine de bonnes intentions, avait simplement noté les odeurs caractéristiques des personnes âgées. « Nous avons décidé de ne pas y croire », explique Mme Barran.

L’histoire aurait pu en rester là. Toutefois, un autre biochimiste a encouragé les deux scientifiques à retrouver Mme Milne pour lui faire passer un test à l’aveugle. Elle a dû flairer six t-shirts transpirants de patients diagnostiqués de la maladie de Parkinson et six autres témoins, de personnes en bonne santé. Elle a réussi à identifier quelles étaient les personnes malades mais elle a également déclaré que l’un des témoins souffrait de l’affection.

Malgré cette erreur, Mme Barran était intriguée. Étonnement, huit mois plus tard, le témoin supposé en bonne santé pourtant identifié comme malade par Mme Milne a été diagnostiqué : il était atteint de la maladie de Parkinson.

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    LA MISE EN PLACE D’UN TEST D’ODEUR

    Le test du t-shirt était surprenant mais il a fallu le rendre plus scientifique. Après tout, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles plusieurs personnes pourraient partager la même odeur.

    Par exemple, des chercheurs étaient convaincus que la schizophrénie était associée à une odeur particulière. Selon eux, c’était dû à un composé chimique particulier, appelé TMHA, censé sentir la chèvre. Il a été identifié et décrit dans la prestigieuse revue Science. Certains espéraient même qu’il s’agisse de la cause de la schizophrénie, ce qui aurait ouvert la voie à de nouveaux traitements.

    Toutefois, après des années de tests de suivi, les résultats n’ont pas pu être confirmés

    Mme Barran travaille désormais au Manchester Institute of Biotechnology, où elle procède à des expériences en suivant minutieusement les méthodes de la chimie pour déterminer si l’odeur de la maladie de Parkison existe bel et bien. Elle et ses collègues espèrent mettre au point un test d’odeur, une méthode plus rigoureuse et plus pratique que de demander à Mme Milne de sentir tous nos t-shirts.

    En premier lieu, l’équipe doit tenter d’identifier les molécules impliquées, un processus bien plus complexe que ce que l’on peut voir dans Les Experts. Sur les milliers de composés volatils connus, nombre d’entre eux ne sont pas bien documentés. À défaut, les données disponibles ne s’appliquent qu’à la parfumerie.

    Grâce à des financements de la part l’association caritative Parkinson’s UK et de la fondation Michael J. Fox, l’équipe de Mme Barran a d’ores et déjà collecté plus de huit-cents échantillons de sébum, une substance huileuse sécrétée par la peau, prélevés sur le dos de plusieurs volontaires. Lors des tests préliminaires, ils ont noté que certaines molécules étaient présentes en grand nombre chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. Ensemble, ces molécules pourraient générer une empreinte caractéristique permettant de diagnostiquer la maladie.

    Par la suite, l’équipe doit confirmer avec fiabilité que lesdites molécules sont en nombre élevé chez les patients atteints de Parkinson. Reste ensuite à déterminer s’il est possible de détecter cette odeur avant que les symptômes de la maladie apparaissent. Idéalement, les chercheurs aimeraient comprendre comment cette affection déclenche la production de ces molécules dans l’organisme.

    Mme Barran se dit prête à affronter ce défi alors même que son propre odorat a été endommagé par un accident et qu’elle ne peut pas détecter l’odeur de la maladie de Parkinson.

    « Joy [Milne] a un odorat très développé mais elle n’est pas la seule à pouvoir le sentir. Ce qui était spécial, c’est la force avec laquelle elle a persisté pour [nous faire comprendre] que c’était une faculté qui pouvait être utilisée. »

     

    L’ODEUR D’UN PATIENT

    Si les chiens ont l’odorat le plus réputé et ont été sollicités pour détecter les cancers, plusieurs études suggèrent que les Hommes seraient tout aussi bons pour détecter de nombreuses odeurs.

    À en juger par le nombre de bulbes olfactifs présents dans notre cerveau, les Hommes pourraient faire de meilleurs renifleurs que les rats et les souris, en restant dans la moyenne des mammifères. La plus grande barrière au plein développement de nos capacités réside peut-être dans le fait que nous ne prêtons pas assez attention aux odeurs et que nous manquons de termes pour les décrire.

    « Nous sommes moins capables de décrire les odeurs », déclare Mme Curtis. Elle se souvient de la fois où elle a utilisé un savon acheté en Inde. « La notion de “l’Inde” m’est venue à l’esprit bien avant que je réalise que c’était l’odeur [du savon]. »

    Pareillement, il est possible que nous ne notions pas un changement d’odeur chez nous ou chez un proche, potentiellement synonyme d’un souci de santé.

    Certains indices laissent toutefois penser que nous pourrions être de bons détecteurs de maladies si nous y prêtions attention. Lors d’une étude en double aveugle à petite échelle publiée en 2017 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, des participants ont réussi à identifier quelles personnes étaient malades parmi des personnes en bonne santé grâce à leur odeur corporelle et à des photographies, et ce, quelques heures après que leur système immunitaire a été activé par une toxine simulant une infection.

    Tant que nous ne disposons pas d’une sorte d’éthylotest pour les maladies, nous devrions peut-être suivre ce que nous indiquent nos nez.

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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