Pourquoi le variant Delta inquiète-t-il autant ?

Des études démontrent que le variant Delta se reproduit plus rapidement et génère davantage de particules virales que les autres variants. Les vaccins protègent néanmoins toujours des formes graves.

De Sanjay Mishra
Publication 19 août 2021, 12:41 CEST
Sur ce cliché pris le vendredi 30 juillet 2021 à Torrance, en Californie, des infirmières s’occupent de 20 patients atteints ...

Sur ce cliché pris le vendredi 30 juillet 2021 à Torrance, en Californie, des infirmières s’occupent de 20 patients atteints de la COVID-19 au Little Company of Mary Medical Center. La majorité des patients ne sont pas vaccinés.

PHOTOGRAPHIE DE Francine Orr, Los Angeles Times, via Getty

Alors que les États-Unis sont confrontés à une quatrième vague de COVID-19, les scientifiques gagnent en connaissance sur le variant Delta, détecté pour la première fois en Inde en mars dernier. Ils savent désormais que celui-ci est l’un des virus respiratoires les plus contagieux, qu’il cause des formes plus graves de COVID-19 que les autres variants et qu’il est plus susceptible de résister aux anticorps.

Le variant Delta a causé une forte augmentation du nombre de cas, d’hospitalisations et de décès liés à la COVID-19 dans le monde entier. Profitant d’un assouplissement du port du masque et des mesures de distanciation, d’une faible vaccination dans certains États américains ou de la pénurie de vaccins dans d’autres, il est rapidement devenu le principal variant aux États-Unis. Selon les Centers for Disease Control and Prevention (Centres américains de contrôle et de prévention des maladies, ou CDC), le variant Delta est responsable de plus de 93 % des nouvelles contaminations. Il est également présent dans plus de 135 pays selon l’Organisation mondiale de la santé.

Le secret de la réussite du variant Delta réside dans la facilité avec laquelle il se transmet. Selon les CDC, il est aussi contagieux que la varicelle, mais légèrement moins que la rougeole, considérée comme l’un des virus les plus contagieux. Le variant Delta progresse très rapidement dans le sud des États-Unis, notamment en Louisiane. Dans cet État où le taux de vaccination est l’un des plus faibles du pays, seuls 37 % de la population est complètement vacciné, contre 50 % à l’échelle nationale. Depuis la mi-juin, le nombre de cas journaliers aux États-Unis a été multiplié par neuf et avoisine désormais les 100 000.

« Il est surprenant de voir à quel point ce variant est contagieux et avec quelle facilité il peut ensuite se reproduire dans les voies respiratoires supérieures. Rien que la contagiosité accrue du variant Delta a multiplié nos inquiétudes par rapport au variant Alpha, qui lui-même était plus contagieux comparé au virus d’origine », explique Mehul Suthar, virologue à l’université Emory.

En raison de la plus grande contagiosité du variant Delta par rapport aux précédents variants, les CDC ont publié de nouvelles directives le 27 juillet dernier, dans lesquelles ils recommandent « le port du masque en intérieur dans les lieux publics là où la transmission est substantielle ou élevée », même après la vaccination.

 

UN VIRUS BIEN PLUS CONTAGIEUX

Pour déterminer la facilité avec une maladie infectieuse comme la COVID-19 se transmet, les épidémiologistes utilisent une métrique appelée nombre de reproduction de base, ou R0. R0 correspond au nombre moyen de personnes susceptibles d’être infectées par chaque personne infectée. Bien qu’il soit difficile de connaître le R0 de pandémies passées, les scientifiques savent que celui de la pandémie de grippe espagnole en 1918 était compris entre 2,0 et 3,0 (une personne infectée transmettait alors la maladie à deux ou trois personnes). La première épidémie de coronavirus SARS en 2002 avait un R0 de 3 ; il était compris entre 0,69 et 1,3 pour la seconde épidémie de coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), identifié pour la première fois en 2012.

Selon les CDC, les personnes infectées par le variant Delta transmettent actuellement le virus à entre 5 et 9,5 personnes. C’est plus que le virus d’origine identifié à Wuhan, en Chine, dont le R0 était compris entre 2,3 et 2,7, mais aussi que le variant Alpha, son R0 étant compris entre 4 et 5. Le variant Delta peut être aussi contagieux que la varicelle, dont le R0 se situe entre 9 et 10.

Lorsque cet indicateur est supérieur à 1, cela signifie que le nombre de personnes infectées augmentera de manière exponentielle jusqu’à ce que l’ensemble des personnes exposées meurent ou se rétablissent, et que l’immunité collective est atteinte. Si le R0 est inférieur à 1, l’épidémie s’essouffle normalement toute seule.

L’immunité collective pouvait être atteinte pour la souche d’origine du SARS-CoV-2 avec 67 % de la population immunisée, soit par le biais d’une infection naturelle, soit par la vaccination. « Pour le variant Delta, nous estimons que ce seuil se situe bien au-dessus de 80 %, voire frôle les 90 % », a fait savoir Ricardo Franco, professeur adjoint de médecine à l’université de l’Alabama aux États-Unis, lors d’une conférence de presse organisée par l’Infectious Diseases Society of America (Société américaine des maladies infectieuses).

 

UNE CHARGE VIRALE PLUS ÉLEVÉE

En plus d’être plus contagieux que les précédents variants de SARS-CoV-2, le variant Delta peut également causer des formes plus graves de la maladie. Chez les personnes infectées par ce variant, le nombre de particules virales (ou « charge virale ») est environ 1 000 fois plus élevé que chez les personnes infectées par une autre souche. « C’est une hausse énorme », confie Eric Topol, fondateur et directeur du Scripps Research Translational Institute (Institut de recherche de transfert Scripps) qui n’a pas pris part à l’étude.

Cela s’explique notamment par le fait que le variant Delta se reproduit plus rapidement dans le nez. D’après une étude qui n’a pas été revue par des pairs, le variant Delta met en moyenne quatre jours à atteindre des niveaux détectables après exposition à une personne malade, contre environ six jours pour le virus d’origine identifié à Wuhan.

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    Même après la vaccination, la charge virale chez les personnes infectées par le variant Delta est 10 fois supérieure à celle chez les personnes touchées par un autre variant. Plusieurs nouvelles études, qui doivent être revues par des pairs, démontrent même que les personnes vaccinées ont une charge virale équivalente à celle des personnes non vaccinées. « Nous voyons les chiffres des infections ainsi qu’un grand nombre de personnes infectées par un seul cas. C’est inquiétant. Cela signifie que le virus est fortement contagieux et qu’il est capable d’échapper à l’immunité induite par la vaccination », indique Ravindra Gupta, microbiologiste clinique à l’université de Cambridge qui a mené une étude devant être revue.

    Le variant Delta détruit également plus facilement les cellules en raison d’une mutation en position 681 de la protéine Spike du virus. Celle-ci, nommée P681R, devient rapidement courante chez les autres variants dans le monde entier et est considérée comme un changement évolutif d’envergure. La mutation facilite l’entrée des variants Delta et Kappa dans la cellule hôte grâce à la fusion des cellules infectées, qui se transforment alors en structures appelées syncytium, une façon d’accélérer l’infection. D’autres virus forment également des syncytiums, comme le VIH. « Nous avons découvert lors d’expériences sur des cultures cellulaires que les syncytiums formés par le variant Delta sont plus gros que ceux du SARS-CoV-2 », explique Kei Sato, virologue à l’université de Tokyo, au Japon.

    Le variant Delta a également subi plusieurs mutations au sein de sa protéine Spike, ce qui semble améliorer la capacité du virus à se fixer au récepteur ACE2 et à échapper à la réponse immunitaire.

     

    VERS DES RAPPELS VACCINAUX ?

    Il y a néanmoins une bonne nouvelle : une vaccination complète avec l’un des vaccins contre la COVID-19 actuellement autorisés reste efficace contre le variant. « Tous les vaccins protègent très bien », déclare Jeff Kwong. Cet épidémiologiste spécialiste des maladies infectieuses à l’université de Toronto a démontré l’efficacité des vaccins Pfizer, Moderna et AstraZeneca contre les infections asymptomatiques, les hospitalisations ou les décès entre décembre 2020 et mai 2021 dans une étude devant être revue par des pairs. « Les vaccins protégeaient davantage contre les formes graves que les infections asymptomatiques », ajoute-t-il.

    Plusieurs études ont également démontré que les vaccins Moderna et Pfizer protègent contre le variant Delta, quoique moins bien que contre de précédents variants. Aux États-Unis, les personnes non vaccinées représentent plus de 90 % des nouveaux cas confirmés dans les États qui assurent un suivi des données relatives au nombre de cas conjointement avec le statut vaccinal.

    « [Les vaccins] réduisent de manière substantielle le risque d’issues graves telles que l’hospitalisation », indique Aziz Sheikh. Ce spécialiste en soins primaires à l’université écossaise d’Édimbourg, au Royaume-Uni, a démontré que le variant Delta causait deux fois plus d’hospitalisations que le variant Alpha, lui-même plus virulent que la souche d’origine du SARS-CoV-2. « Dans l’ensemble, les vaccins fonctionnent », ajoute-t-il.

    Les CDC estiment que la vaccination contre la COVID-19 réduit le risque d’infection au SARS-CoV-2 par huit et le risque de tomber malade, d’être hospitalisé ou de décéder par 25.

    Il est impossible de connaître la véritable ampleur de la propagation des variants Delta et autres aux États-Unis, la faute à une campagne de test inadéquate à l’échelle nationale. Lorsque le taux de contagiosité est élevé au sein d’une population, même les personnes complètement vaccinées sont vulnérables face aux « infections post-vaccinales ». Celles-ci sont définies par les CDC comme la détection de matériel génétique ou de protéine du SARS-CoV-2 dans l’écouvillon nasal plus de 14 jours après que la personne a reçu la dose recommandée d’un vaccin contre la COVID-19 autorisé par la FDA.

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    Deux doses des vaccins AstraZeneca et Pfizer sont respectivement efficaces à 60 et 88 % contre la maladie symptomatique causée par le variant Delta. La majorité des vaccins administrés aux États-Unis (Moderna et Pfizer) nécessitent deux doses pour une protection maximale. Ces vaccins sont bien moins efficaces contre le variant Delta après une seule dose, souligne Oliver Schwartz, chef de l’unité de virologie et d’immunologie à l’Institut Pasteur de Paris et auteur d’une étude ayant démontré qu’une seule dose des vaccins AstraZeneca et Pfizer ou le fait d'avoir contracté la COVID-19 protègent peu contre le variant Delta.

    Suite aux données relatives à l’efficacité réduite des vaccins contre les nouveaux variants comme le Delta, Pfizer espère obtenir une autorisation pour administrer une dose de rappel de ses vaccins. Moderna mène actuellement des essais pour une dose de rappel de son vaccin à ARNm. L’U.S. Food and Drug Administration (FDA) prévoit de finaliser prochainement son plan de rappel des vaccins contre la COVID-19.

    Si la dose unique du vaccin J&J est efficace contre le variant Delta, une étude devant être revue par des pairs démontre que même si tous les vaccins déclenchent le développement d’anticorps qui sont moins efficaces contre le variant Delta, la réduction est bien plus importante pour le vaccin J&J que les vaccins à ARNm. Cette étude concorde avec d’autres recherches réalisées chez des singes et des personnes où l’administration de deux doses du vaccin J&J s’est avérée plus efficace que celle d’une seule injection.

    Pour compenser l’efficacité plus faible du vaccin J&J contre le variant Delta, les habitants déjà vaccinés de San Francisco peuvent désormais demander à recevoir une « dose complémentaire » d’un vaccin à ARNm. L’Allemagne commencera à proposer des doses de rappel de vaccin à ARNm dès septembre aux personnes à risques. La demande de rappels vaccinaux amplifie néanmoins les inégalités en matière de disponibilité des vaccins contre la COVID-19 entre les pays riches et les pays pauvres. « L’OMS demande la tenue d’un moratoire sur les piqûres de rappel d’ici la fin septembre pour permettre la vaccination d’au moins 10 % de la population de chaque pays », a indiqué Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS lors d’une conférence de presse.

    En Israël, des données préliminaires suggèrent que l’efficacité du vaccin Pfizer est susceptible de décliner au bout de six mois. Cela n’est pas étonnant, puisque les fabricants de vaccin savaient qu’il serait difficile d’obtenir une production d’anticorps durable. Les anticorps contre les premiers virus SARS et MERS ont décliné après un à deux ans. Pour les coronavirus responsables du rhume, la protection varie entre trois et six mois, et n’excède presque jamais un an.

    Une étude américaine a démontré qu’après injection de la seconde dose du vaccin de Moderna, le nombre d’anticorps neutralisants dans le sang reste élevé pendant six mois. « Ces anticorps sont bien présents dans l’ensemble et neutralisent la plupart des variants [y compris le variant Delta]. Mais leur production diminue avec le temps », précise Mehul Suthar de l’université d’Emory, qui a dirigé cette étude.

     

    DES MILLIONS D’INFECTIONS ÉVITÉES

    Selon les modèles informatiques de The Commonwealth Fund, la vaccination aurait sauvé environ 279 000 vies aux États-Unis et évité jusqu’à 1,25 million d’hospitalisations à la fin juin 2021. En Angleterre, les vaccins auraient sauvé environ 30 300 vies et évité 46 300 hospitalisations et 8,15 millions d’infections. En Israël, grâce à une solide campagne de vaccination, le nombre de cas a chuté de 77 % et celui des hospitalisations de 68 % par rapport au pic de la pandémie survenu en janvier 2021.

    Pourtant, malgré l’efficacité et la gratuité des vaccins contre la COVID-19 aux États-Unis, seuls 50,2 % de la population (soit un peu plus de 166 millions d’habitants) est complètement vacciné en date du 9 août 2021. Les taux de vaccination varient grandement à l’échelle nationale : dans de nombreux comtés des États du Sud, comme en Louisiane, en Floride, en Arkansas, dans le Mississippi et en Alabama, les taux de vaccination sont faibles et le nombre de personnes infectées par le variant Delta augmente.

    Depuis le début de la campagne de vaccination le 14 décembre 2020, plus de 347 millions de doses de vaccins contre la COVID-19 ont été injectées aux États-Unis. Environ 93 millions d’Américains âgés de 12 ans ou plus et éligibles à la vaccination n’ont pas encore reçu une seule dose. 48 millions d’enfants âgés de moins de 12 ans sont non vaccinés, car la vaccination n’est pas encore ouverte pour eux. C’est pour cela qu’il est difficile de prédire combien de temps la vague actuelle va continuer.

     

    AUCUN VACCIN N’EST EFFICACE À 100 %

    Avec un peu moins de la moitié de la population incomplètement vaccinée, le variant Delta peut continuer à infecter des personnes et à évoluer. Cela peut se traduire par une recrudescence à un niveau inattendu des infections post-vaccinales et éventuellement favoriser l’apparition de nouveaux variants infectieux.

    De plus en plus d’éléments viennent démontrer que les personnes infectées par le variant Delta après avoir été vaccinées sont aussi contagieuses que les individus non vaccinés. « Les vaccins protègent, mais beaucoup de personnes vaccinées y sont aussi exposées, par l’intermédiaire de personnes non vaccinées et vaccinées. Cela met donc à rude épreuve l’efficacité du vaccin », indique Eric Topol.

    La plupart des infections post-vaccinales touchent moins de 1 % des personnes complètement vaccinées et ne causent que de légers symptômes, voire aucun. Au 2 août 2021, sur les 164 millions de personnes complètement vaccinées aux États-Unis, seuls 7 525 patients souffrant d’une infection post-vaccinale ont été hospitalisés ou sont décédés.

    Les infections post-vaccinales touchent le plus souvent les soignants en contact fréquent avec les patients malades, les personnes âgées vaccinées et celles ayant un système immunitaire affaibli, comme les personnes souffrant de cancer ou nécessitant une greffe d’organe. Elles sont également plus susceptibles de survenir à la suite de contacts rapprochés, comme lors de grands rassemblements et de soirées en extérieur et intérieur, au restaurant et dans les espaces de travail exigus.

    La vaccination peut ralentir efficacement la pandémie en augmentant l’immunité collective. Couplée aux mesures de prévention comme la distanciation sociale et le port du masque dont l’efficacité n’est plus à démontrer, elle permet de lutter contre la propagation du virus. « Les personnes vaccinées peuvent toujours être infectées et peuvent transmettre le virus à d’autres. Cela signifie que les variants ont plus de chances de muter ou d’évoluer. C’est pourquoi il est important de ne pas donner [cette] chance au virus », ajoute Kei Sato.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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