Les sels d’aluminium à nouveau soupçonnés de favoriser les cancers du sein
Une nouvelle étude scientifique évoque à nouveau le lien entre les sels d’aluminium et le développement du cancer du sein. Les chercheurs appellent à la prudence en recommandant de retirer cette substance du marché cosmétique.
Les sels d’aluminium sont-ils, oui ou non, à considérer comme nocifs pour la santé ? Le débat est ouvert depuis des années.
La communauté scientifique et les entreprises de beauté n’arrivent pas à se mettre d’accord. Les sels d’aluminium sont-ils, oui ou non, à considérer comme nocifs pour la santé ? Le débat est ouvert depuis des années.
Dans une nouvelle étude parue dans la revue scientifique International Journal of Molecular Sciences réalisée par un groupe de chercheurs suisses de la Fondation des Grangettes, du Centre d’oncologie et d’hématologie Hirslanden de la clinique des Grangettes et de l’Université d’Oxford, de nouveaux éléments viennent à nouveau pointer du doigt la nocivité des sels d’aluminiums.
L’objectif de l’étude était de vérifier si l’aluminium pénétrait réellement dans les cellules du corps. Les chercheurs ont également tenté de comprendre s’il existait un lien entre l’exposition à l’aluminium et l’instabilité chromosomique caractéristique du développement tumoral. L’étude a été réalisée in vitro sur environ 300 cellules V79 de hamsters. Ces cellules V79 sont un modèle établi pour l'évaluation des carcinogènes chimiques selon la toxicologie réglementaire. Il s’avère que l’aluminium a bel et bien pénétré les cellules et que 24 heures plus tard, des instabilités significatives ont pu être observées. Elles se caractérisent par une mutation du gène et du nombre de chromosomes.
En fait, comme le tabac et l’amiante, « les sels d’aluminium induisent des fractures et des désordres chromosomiques, dont on connaît les rôles dans la genèse des cancers » confirme la docteur gynécologue Véronique Cayol.
Cette étude fait suite à d’autres travaux menés par la même équipe de chercheurs sur des cellules de glandes mammaires de souris. Cultivées en présence d’aluminium à un niveau semblable à celui retrouvé « dans les glandes mammaires de femmes vivant dans des sociétés industrialisées » explique Stefano Mandriota, directeur de recherche du Laboratoire de cancérogenèse environnementale. Ces cellules finissaient par provoquer des tumeurs métastasiques « très agressives ».
« Nous faisons de la recherche et de la prévention, nous travaillons sans conflit d’intérêt. C’est important de rappeler que nous sommes au sein d’une fondation reconnue d’utilité publique en Suisse et sans but lucratif » précise M. Mandriota.
UNE TRANSFORMATION MALIGNE DES CELLULES MAMMAIRES
En 2018, selon les chiffres de l’Institut National du cancer (INCA), le cancer du sein représentait 33 % des cas de cancers chez les femmes. C'est le premier cancer féminin et la première cause de décès par cancer chez les femmes. Les facteurs de risques sont nombreux, incluant notamment l’hérédité. L’Institut Curie estime à « 120 000 le nombre de femmes en France qui pourraient être prédisposées à un cancer du sein » comme le souligne Elsa Champion, responsable adjointe des relations médias et de la visibilité internationale de l’Institut.
Afin d’identifier et de prendre en charge ces femmes à haut risque, l’INCA recommande une surveillance rapprochée avec deux examens clinique par ans à partir de 20 ans, auxquels s'ajoutent des examens d’imagerie annuelle dès 30 ans. En deuxième option, on peut aussi recommander à ces profils à haut risque une chirurgie préventive. Il s’agit d’une ablation avec reconstruction des seins. Aujourd’hui en France, 10 % de ces femmes choisissent cette option.
Les sels d’aluminium sont utilisés par l’industrie cosmétique et notamment au sein des anti-transpirants « en quantité importantes » selon l’expert. Mais pas que : une partie des crèmes solaires en vente sur le marché, des dentifrices, des rouges à lèvres et même certains masques de beauté contiennent eux aussi des sels d'aluminium.
Cassures chromosomiques. Métaphase représentative, colorée au Giemsa, de cellules V79 exposées pendant 24 h à 300µM d'AlCl3.
« Ce qui nous intéresse surtout, ce sont les compositions chroniques, ce qu'il se passe lors d’une exposition répétée et c’est ce qui arrive avec les anti-transpirants » précise Stefano Mandriota.
Pourquoi l’aluminium est-il autant utilisé alors qu'aucune fonction bénéfique pour le corps humain ne lui est attribuée ? L’industrie l’ajoute au sein de ses formules pour sa viscosité, sa fonction hydratante et pour son extraction abondante au coût peu élevé. L’effet le plus connu, c’est celui de l’anti-transpirant « Une fois qu’il est appliqué sur la peau, il bloque la transpiration. […] Il agit comme un bouchon qui bloque les pores et c’est la raison pour laquelle il fonctionne parfaitement ».
Le scientifique le reconnaît, « remplacer l’aluminium ne serait pas une tâche facile ». Mais pour ce groupe de chercheurs, il semble évident qu’il ne faut plus consommer d’aluminium. « Nous pouvons garantir par nos études que l’aluminium est un cancérigène » confirme le co-auteur de l’étude Stefano Mandriota. La fondation précise par voie de communiqué que l’aluminium altère l’adn des cellules. De la même manière que le font des substances cancérigènes reconnues « tels que l’arsénique, le nickel ou des radiations ionisantes » explique le scientifique.
QU'EN DIT L'INDUSTRIE ?
Aujourd’hui, de nombreuses enseignes de beauté et produits cosmétiques se réfèrent aux différentes études réalisées par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs, confirmant à plusieurs reprise la non toxicité de l’aluminium présent dans les cosmétiques. Trois études avaient été réalisées pour comprendre le devenir de l’aluminium dans le corps humain dans le cadre d’une utilisation quotidienne.
« Le problème de ces études, c’est qu’elles n’indiquent pas la quantité d’aluminium qui reste après dans les organes » explique Stefano Mandriota. L’aluminium, selon le scientifique, « s’accumule dans certains organes. Dans l’os, le foie, la glande mammaire. Ce sont des études qui testent sur une dose ou deux [d’aluminium], donc qui ne permettent pas de vérifier la nocivité d'une accumulation répétée ».
Ce n’est pas l’avis de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) qui affirme que l’étude suisse se base sur une injection directe de l’aluminium dans les tissus mammaires, ce qui serait « très éloignée des conditions d’usage des antis-transpirants dans la vie réelle ». La FEBEA rappelle par ailleurs que le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs avait mis en lumière le fait que l’aluminium n’était pas absorbé par la peau mais bien éliminé sur les vêtements « par desquamation naturelle ».
La marque Nivea, contactée par National Geographic, a choisi de répondre à l’inquiétude grandissante et réelle de ses consommateurs en adaptant et augmentant son choix de gammes de produits avec et sans aluminium. La marque utilise notamment des ingrédients actifs comme le magnésium comme alternative. Cependant, le groupe Beiersdorf considère que « les anti-transpirants contenant de l'aluminium peuvent être utilisés en toute sécurité », se basant sur des « contrôles de sécurité stricts et des analyses scientifiques ».
Aujourd’hui, les chercheurs suisses souhaitent alerter et prévenir. Ils insistent sur le fait que même sans interdiction, il n’est pas recommandé d’appliquer quotidiennement un produit potentiellement cancérigène sur sa peau.