Don du sang : va-t-on vers un allègement des restrictions pour les hommes gays et bisexuels aux États-Unis ?

Au sein de la communauté scientifique, certaines voix dénoncent depuis de nombreuses années le caractère discriminatoire et infondé des restrictions imposées aux donneurs de sang.

De Priyanka Runwal
Publication 22 déc. 2022, 10:15 CET
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Une personne donne son sang lors d’une collecte d’urgence de la Banque du sang du Texas-Sud le 25 mai 2022 à Uvalde, au Texas.

PHOTOGRAPHIE DE PHOTOGRAPHIE DE BRANDON BELL, GETTY IMAGES, Getty Images

Lukas Pietrzak a pour la première fois donné son sang en 2013 alors qu’il était encore au lycée. Cette cause lui importait, car c’est grâce à deux poches de sang donné que son père avait un jour pu survivre aux conséquences immédiates d’un accident de vélo. Les deux ont le même groupe sanguin et, au cas où il devait une nouvelle fois arriver quelque chose à son père ou même à quelqu’un d’autre, il voulait pouvoir sauver une vie également. Mais la seconde collecte de sang à laquelle Lukas Pietrzak a participé lors de la même année scolaire a été la dernière.

En 2014, alors qu’il patientait dans la salle d’attente d’un centre de collecte du sang de Virginia Beach, où il a grandi, Lukas Pietrzak se souvient avoir coché oui sur un formulaire qui demandait s’il avait déjà eu un rapport sexuel avec un autre homme. « J’explorais ma sexualité, comme le font les gens au lycée, et j’avais eu une relation avec un autre homme », raconte-t-il. Un clinicien a examiné son formulaire et a annoncé à Lukas Pietrzak qu’il n’avait plus le droit de donner son sang. À cette époque, le règlement de l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) interdisait aux hommes gays et bisexuels de donner leur sang, une mesure en vigueur depuis les années 1980. « Cela donnait l’impression que notre sang était sale, comme s’il n’était pas assez bon pour permettre de sauver une vie. »

Depuis des décennies, activistes et scientifiques militent pour une révision des règles encadrant le don du sang qui ont été instaurées par crainte du VIH. Aujourd’hui, la FDA se penche sur un potentiel assouplissement de ces restrictions.

En 2014, l’agence fédérale a mis à jour sa politique afin de permettre aux hommes gays et bisexuels de donner leur sang, mais uniquement s’ils n’avaient pas eu de rapports sexuels avec un autre homme pendant au moins une année. En 2020, en pleine pénurie de sang durant la pandémie, l’agence a réduit cette période à trois mois.

Selon des scientifiques comme Monica Hahn, spécialiste du VIH de l’Université de Californie à San Francisco, ces mesures sont discriminatoires, désuètes et scientifiquement infondées « au point qu’il n’y a absolument plus aucune raison médicale pour que cette interdiction ou ce délai restent en vigueur », fustige-t-elle. Selon elle, notre capacité à dépister le VIH dans des prélèvements sanguins a connu une vraie révolution.

Au fil du temps, Lukas Pietrzak s’est mis à éprouver de plus en plus de ressentiment vis-à-vis des règles de la FDA. « On excluait un groupe de volontaires qui seraient autrement éligibles et qui voulaient donner leur sang et on leur disait en gros : ‘À cause de qui vous êtes et de la personne avec qui vous êtes, nous ne voulons pas de votre sang’ », déplore-t-il.

Il a alors participé à une étude financée par la FDA qui a débuté l’an dernier et qui cherche à déterminer s’il est possible d’évaluer les donneurs sur leur statut virologique individuel plutôt que sur leur identité sexuelle.

 

QUELLE EST L’ORIGINE DE CES RESTRICTIONS ?

Au début des années 1980, les hommes gays et bisexuels étaient l’un des groupes les plus touchés par l’épidémie de VIH/SIDA. Aux États-Unis, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) avaient enregistrés des milliers de cas de transmission du VIH par transfusion sanguine. C’est ainsi qu’en 1985, la FDA a interdit aux hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes de donner leur sang parce que le virus n’avait pas encore été complètement caractérisé, qu’il n’existait pas de traitement efficace, que les techniques de diagnostic étaient limitées et que les dépistages sanguins n’étaient pas encore monnaie courante.

La première génération de tests pour dépister le VIH est arrivée sur le marché au milieu des années 1980. Mais ceux-ci ne pouvaient détecter le virus qu’à partir de dix semaines après l’infection. « Si quelqu’un était infecté par le VIH, il fallait plusieurs mois avant que sa prise de sang ne soit positive », explique Monica Hahn. Pour ne rien arranger à ces limitations, une homophobie certaine alimentait le débat sur l’interdiction faite à certaines personnes de donner leur sang.

Au fil des années, le laps de temps entre l’exposition au virus et le dépistage dans le sang a diminué. « Le dépistage contre le VIH que nous avons aujourd’hui est à des années-lumière des méthodes de test que nous avions dans les années 1980 et 1990 », indique Monica Hahn.

Si les tests qui détectent les anticorps contre le VIH ont encore une fenêtre de 23 à 90 jours, des tests PCR détectant l’information génétique du virus peuvent repérer le VIH 10 à 33 jours après l’exposition. Les CDC exigent que l’on teste la présence du VIH et de matériel génétique viral dans chaque échantillon de sang donné.

Malgré ces contrôles, en 2015, la FDA a décidé d’autoriser les homme gays et bisexuels s’étant abstenus d’avoir des rapports sexuels avec d’autres hommes pendant un an, et seulement eux, à donner leur sang. L’Institut Whitman-Walker de Washington milite pour un changement de politique depuis des années. « Notre argument était que cette fenêtre n’est pas d’un an mais qu’elle est bien plus courte », commente Daniel Bruner, conseiller juridique au sein de l’institut. « Tout le monde ne prend pas part, de par le simple fait d’être un homme gay ou bisexuel, à des activités sexuelles à risque », ajoute-t-il. La règle de la FDA n’exclue par exemple pas les hommes gays monogames, ceux qui ont des rapports sexuels protégés ou qui sont négatifs au VIH.

Selon Keith Sigel, infectiologue de l’École de médecine Icahn de Mount Sinai, à New York, même si l’agence fédérale a réduit la fenêtre d’abstinence à trois mois en 2020 (le pays connaissait alors une grave pénurie de sang), celle-ci n’en reste pas moins une restriction. En avril 2020, plus de 500 professionnels de santé ont écrit une lettre ouverte pour faire savoir à la FDA que cette nouvelle période d’abstinence n’allait pas assez loin dans la révocation de cette interdiction scientifiquement infondée.

L’an dernier, l’agence a financé une étude pour savoir s’il était possible d’utiliser un questionnaire en lieu et place d’une restriction temporelle générale afin de connaître les risques de transmission du VIH chez les hommes gays et bisexuels voulant donner leur sang. D’autres pays comme le Canada, la France et la Grèce emploient désormais des questionnaires similaires pour mesurer les risques et déterminer l’éligibilité.

 

L’ÉTUDE « ADVANCE »

Dans le cadre de l’étude « ADVANCE », près de 2 000 hommes gays et bisexuels de huit villes différentes se sont portés volontaires pour donner des échantillons de sang qui ont été dépistés et pour répondre à des questions sur leur activité sexuelle. On a par exemple demandé à ces hommes âgés de 18 à 39 ans combien ils avaient eu de partenaires sexuels au cours du dernier mois, des trois derniers mois et des douze derniers mois, s’ils avaient pratiqué une fellation ou avaient eu des rapports anaux, et s’ils s’étaient servis de préservatifs ou de digues buccales.

L’idée est de mettre ces réponses en rapport avec les résultats du dépistage contre le VIH et à terme d’établir quels paramètres en particulier sont susceptibles de caractériser un individu à haut risque.

Selon Keith Sigel, les scientifiques dépisteront également dans les prélèvements sanguins la PrEP ou d’autres prophylactiques utilisés pour empêcher une infection au HIV, car ces médicaments peuvent masquer la détection du virus.

Lukas Pietrzak, qui prend la PrEP quotidiennement, a participé à l’étude et a bon espoir que les résultats aideront à mettre fin à l’interdiction faites aux hommes gays et bisexuels de donner leur sang. « Je comprends, reconnaît-il toutefois, que la science et la sécurité du sang doivent entrer en ligne de compte. » 

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