L’archéologie des odeurs, une discipline pleine de promesses
Des scientifiques allemands utilisent la biochimie pour recréer les odeurs du passé.
La chercheuse Barbara Huber travaille à reconstituer les odeurs du passé
Retrouver l’odeur de l’embaumement des momies d’Egypte ancienne, recréer l’ambiance olfactive des maisons d'il y a 4000 ans ou encore savoir quel était l’encens à la mode dans les temples de Babylone...Voilà quelques uns des objectifs ambitieux d'une équipe de scientifiques allemands, qui s’attèle à ressusciter les odeurs du passé. Leurs armes ? Celles de chimistes. Avec leurs blouses blanches et leurs gants en latex bleu, ils usent notamment de la chromatographie en phase gazeuse ou liquide, une technique qui permet d'isoler des molécules. Utilisée depuis les années 1970 par les archéologues pour affiner les connaissances sur la fonction d’objets du passé, cette méthode est aujourd’hui employée pour reconstituer les odeurs. Barbara Huber, archéologue de l’institut Max Planck, est l’une des pionnières. Elle s’est spécialisé dans la recherche des odeurs d’avant notre ère. En 2022, elle a publié l’étude « Comment utiliser la science moderne pour reconstituer les odeurs anciennes » au sein de la revue Nature Human Behaviour. Entretien.
Comment retrouvez-vous les odeurs du passé ?
Cela implique de contourner un certain nombre de contraintes ! Nous travaillons sur des éléments volatiles. Quand les archéologues débarquent avec leurs truelles, il n’y a évidemment plus de traces de ces derniers. Ainsi, nous cherchons les traces les plus infimes des substances odorantes, qui seraient resté « incrustées » dans les recoins d’une marmite en céramique ou à l’intérieur d’un brûleur d’encens. La combustion aide à « fixer » ces substances. Autre option : dans les endroits très bien abrités des aléas climatiques, nous pouvons par exemple retrouver les substances mélangées pour faire des médicaments par exemple. Le tarte dentaire est une autre mine de renseignement, puisqu’il piège aisément des molécules ! On peut y retrouver certains composants d’épices par exemple, ou bien des molécules qui témoignent d’une maladie dentaire, comme la gingivite, et donc d’une mauvaise haleine.
Quelle est la deuxième étape, en laboratoire ?
Nous extrayons les molécules de leurs matrices solides (la casserole ou le flacon de parfum, par exemple). Puis nous faisons appel à la technique dite de la chromatographie en phase gazeuse (ou liquide) couplée à la spectrométrie de masse. Cela permet notamment de séparer puis d’identifier les molécules en mesurant leurs masses. Nous pouvons donc lister les molécules présentes dans nos échantillons. Nous sommes ensuite en mesure de savoir : ces molécules appartenaient-elle à une seule plante, une seule résine ? Ou bien sommes nous en présence d’un mélange ?
Quelles odeurs avez-vous déjà étudiées ?
Nous avons travaillé sur les brûleurs d’encens retrouvés dans l’oasis de Tayma, en Arabie Saoudite. C’était une étape importante sur la route de la myrrhe et de l’encens qui va du sud de l’Arabie jusqu’à la Méditerranée. D’après nos analyses, les plus anciens brûleurs ne révèlent que de la résine locale, tandis que ceux plus récents (datant du premier millénaire avant notre ère) démontrent plutôt l’usage de la myrrhe, dans les cimetières, et du « frankincense », la résine d’arbres de la famille des Burseracées, dans les maisons individuelles. Cela démontre d’une part que les habitants adaptaient l’encens au lieu et à l’occasion. D’autre part, que de nombreuses caravanes chargées de ces résines passaient par l’oasis de Tayma afin de satisfaire l’appétit de l’Empire romain pour ces produits. Elles rendaient la myrrhe et le « frankincense » plus disponible en chemin.
L’étape finale sera de recréer les odeurs. Pour cela, il existe deux méthodes. La première : mélanger les substances trouvées et recréer ainsi le parfum. L’autre, plus précise, consiste à utiliser la technique de la chromatographie en phase gazeuse couplée à l'olfactométrie. Avec celle-ci, nous pouvons isoler chaque molécule puis les sentir grâce à un appareil conçu à cet effet. Nous sommes ainsi en mesure de sentir directement les molécules d'époque !
La chromatographie en phase gazeuse est utilisée depuis les années 1970 par les archéologues. Pourquoi est-elle appliquée à l'archéologie des odeurs depuis peu ?
Les archéologues s’en servaient surtout pour connaître les habitudes alimentaires de l’époque ou la couleur des objets. Ce n’est que très récemment qu’ils se sont penchés sur la question des odeurs en usant la biochimie : les premières études ont moins de dix ans. Les odeurs sont globalement très sous-estimées dans l'Histoire : il n'y a qu'à voir les musées ! Nous pensons au passé en se demandant seulement ce que l'on pouvait y voir. Mais c'est en train de changer. C’est encourageant, car l'historienne de l’art Caro Verbeek, au travers de ses expérimentations, a montré que les gens se souviennent beaucoup mieux d’une histoire si elle est évoquée avec des odeurs.
Des musées des parfums existent déjà. Ils se basent notamment sur les textes pour reproduire les fragrances du passé, comme par exemple l'eau de Cologne de l'empereur Napoléon Ier. Qu’apporte l’approche biochimique de plus ?
Pour les époques très anciennes, nous n’avons pas de textes. Et parfois, dans les textes cunéiformes, datant d’avant notre ère, ou ceux de l’Egypte ancienne, les noms des plantes sont extrêmement difficiles à identifier et à traduire. C’est pour cela que l’approche moléculaire est intéressante. Dans le meilleur des cas, nous pouvons combiner l’analyse des textes avec celle des substances.
Comment envisagez vous l’avenir de l’archéologie des odeurs ?
D’une certaine manière, la pandémie de coronavirus, en privant toute une partie de la population de son odorat, a permis de montrer l’importance de ce sens ! J’espère que l’archéologie des odeurs continuera de se développer jusqu’à devenir un moyen phare d’envisager le passé. Et, plus personnellement, je travaille à recréer l’odeur de l’embaumement des corps d’Egypte ancienne. L’étude devrait aboutir au cours de l'année 2023.