Les biopsies liquides, une solution pour traiter le cancer plus facilement
Les biopsies liquides permettent de détecter des traces laissées par une maladie dans le sang d’un patient. Certains médecins pensent qu’elles sont l’avenir du dépistage du cancer. Voici comment elles fonctionnent.
Un échantillon sanguin standard comme celui-ci, pris en photo au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, peut révéler d’inestimables informations sur le cancer d’un patient et sur la façon de le traiter lorsque l’on y effectue une biopsie liquide.
Une biopsie traditionnelle effectuée sur un échantillon tissulaire présente des risques et quelques défis. La zone cible peut être difficile à atteindre et les saignements autant que la douleur peuvent se faire ressentir jusqu’à un mois après l’intervention. Les patients peuvent s’attendre à des frais médicaux élevés et doivent patienter jusqu’à quatre semaines pour obtenir leurs résultats, ce qui pose un problème évident quand un patient est atteint d’un cancer agressif.
Ces deux dernières décennies, des scientifiques ont œuvré à la conception d’une alternative : les biopsies liquides. De même que les biopsies ordinaires, celles-ci permettent de dépister des cancers, mais il suffit pour les réaliser de prélever des fluides corporels, généralement du sang. L’avantage du sang par rapport aux échantillons tissulaires est qu’il est possible de le prélever facilement et de manière répétée. D’après Jeffrey Campbell Thompson, maître de conférences en médecine de l’École de médecine Perelman, il suffit d’effectuer un prélèvement standard de 7,5 à 10 mL de « sang périphérique », en général sur le bras d’un patient atteint d’un cancer, et d’attendre une petite semaine que les résultats arrivent. Ce délai réduit peut permettre d’accélérer le calendrier de traitement.
Selon Amir Goldkorn, professeur de l’École de médecine Keck de l’Université de Californie du Sud (USC) et fondateur du Liquid Biopsy Core au Centre Norris de recherche sur le cancer de l’USC, les biopsies liquides ne sont pour le moment pas assez fiables pour détecter les nouveaux cancers, mais elles peuvent servir à surveiller les traitements en cours chez les patients diagnostiqués.
Néanmoins, des spécialistes affirment que les recherches pour mettre au point des biopsies liquides plus efficaces progressent rapidement, et ils ont bon espoir que cet outil permette prochainement d’identifier les cancers, et ce à n’importe quel stade.
UN UNIVERS DANS UNE FIOLE DE SANG
Pour comprendre le fonctionnement des biopsies liquides, il est important de savoir ce qui intéresse les médecins dans un échantillon sanguin et ce qu’ils peuvent faire des informations que cela leur fournit. Lorsque le sang est centrifugé, il se sépare en deux phases principales : un plasma peu dense et transparent principalement composé d’eau et une portion plus dense et rouge qui contient diverses cellules.
Chez un patient atteint de cancer, cette portion de sang plus dense peut également contenir des cellules cancéreuses actives circulant librement et provenant d’une tumeur (on les appelle « cellules tumorales circulantes » ou CTC). Selon Erica Carpenter, maître de conférences en médecine et directrice du Liquid Biopsy Laboratory de l’Université de Pennsylvanie, ce phénomène se produit lorsqu’une tumeur se développe au point de devoir expulser des cellules dans le flux sang.
Bien que la plupart des cellules cancéreuses meurent dans le sang, certaines peuvent aller planter une nouvelle tumeur ailleurs, un phénomène que l’on appelle métastase. Selon Amir Goldkorn, on identifie les CTC en extrayant et en analysant leur ADN ou bien en découvrant certaines protéines particulières à la surface des cellules. Ces marqueurs peuvent trahir l’endroit d’où provient la cellule. Lorsqu’elle est présente en quantités importantes, la protéine THBS2 peut par exemple indiquer un cancer du pancréas. Un taux élevé de THBS2 est associé à des chances de survie moindres.
L’ADN de tumeur circulante (ADNct) issu de cellules cancéreuses peut être présent dans la phase plasmique d’un échantillon sanguin. L’ADNct ne représente qu’un infime pourcentage de l’ADN total contenu dans un échantillon. Mais en séquençant l’ADNct et en le comparant avec l’ADN de cellules saines, les chercheurs savent identifier des mutations qui peuvent leur désigner un certain type de cancer plutôt qu’un autre.
QUEL USAGE POUR LES BIOPSIES LIQUIDES ACTUELLEMENT ?
Actuellement, les biopsies liquides servent majoritairement à établir le traitement que vont suivre les patients à qui l’on a déjà diagnostiqué un cancer. D’après Jeffrey Campbell Thompson, dans son hôpital, les patients subissent une biopsie liquide dès leur toute première consultation d’oncologie. Ce dépistage peut fournir des informations cruciales en l’espace d’une semaine seulement. Toutefois, aucune information concrète concernant le cancer dont ils sont atteints n’est garantie.
Les biopsies liquides fonctionnent particulièrement bien en ce qui concernent les cancers du poumon (le type de cancer sur lequel elles sont le plus utilisées, selon Erica Carpenter), du pancréas, du système digestif, du rein et du sein. Comme elles sont faciles à réaliser, les patients atteints d’un cancer peuvent en outre être surveillés de près tout au long de leur traitement pour savoir si ce dernier est efficace.
Cependant, selon les spécialistes, trouver des traces de cancer dans le sang revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Les cellules tumorales circulantes sont excessivement rares par rapport à tous les autres types de cellules présentes dans le sang. « Un échantillon sanguin standard de 7,5 mL peut contenir 40 milliards de globules rouges. Le nombre moyen de CTC qui y sont présentes est peut-être de cinq », relativise Amir Goldkorn. En général, plus il y a de CTC dans le sang, moins les chances de survie sont élevées.
Puisque les CTC sont des cellules intactes, des biomarqueurs tels que les récepteurs d’hormones peuvent encore être présent à leur surface. Par exemple, si les CTC d’une patiente atteinte d’un cancer du sein se présentent avec des récepteurs d’œstrogène mais qu’elles sont dépourvues de récepteurs de progestérone, cela peut indiquer que le cancer se sert des œstrogènes pour se propager. Ainsi, un médecin peut prescrire un traitement faisant baisser le taux d’œstrogène ou inhibant l’action de cette hormone sur les cellules cancéreuse.
Selon Erica Carpenter, les médecins peuvent également se servir de l’ADNct pour choisir entre une immunothérapie (l’activation du système immunitaire pour combattre le cancer) et un traitement ciblé limitant les dégâts subis par les cellules normales.
Selon Erica Carpenter, si une mutation du gène du récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR) est détectée dans l’ADNct, les médecins sauront que le patient a peu de chances de réagir à l’immunothérapie mais qu’il pourrait être candidat à un traitement ciblé comme l’erlotinib, qui inhibera l’activité de la protéine EGFR et ralentira ou mettra fin à la croissance du cancer.
Selon Jeffrey Campbell Thompson, il est particulièrement important d’effectuer un séquençage ADN à temps, car le fait de mettre un patient sous immunothérapie après l’avoir diagnostiqué puis de le faire passer à un traitement ciblé ensuite si une mutation spécifique venait à être découverte peut être toxique et nuire à certaines parties du corps en bonne santé.
QUELS USAGES POUR LES BIOPSIES LIQUIDES À L’AVENIR ?
Pour le moment, la principale limite des biopsies liquides est leur faible sensibilité en ce qui concerne le dépistage des cancers. En effet, comme l’explique Amir Goldkorn, si l’on divise la chronologie d’un cancer en trois phases (diagnostic, traitement et post-traitement), les biopsies liquides interviennent actuellement surtout dans la phase du milieu, où les indices laissés par le cancer sont le plus présents.
Les chercheurs s’échinent à aiguiser cette sensibilité. À l’avenir, les biopsies liquides pourraient nous permettre de dépister le cancer lors de prises de sang de routine, avant même qu’un patient ne tombe malade. Elles pourraient également permettre aux médecins de surveiller les dernières traces d’un cancer subsistant chez un patient.
Erica Carpenter espère également que nous mettrons au point des biopsies liquides capables de détecter les cancers du cerveau, car ceux-ci semblent échapper aux dépistages traditionnels par biopsie liquide.
Elle ajoute qu’il y a moins de dix ans, les chercheurs se trouvaient dans une situation similaire : ils cherchaient alors à appliquer l’usage des biopsies liquides au seul cancer du poumon ; plusieurs institutions s’en servent désormais au quotidien pour fournir des soins avancés aux patients qui en sont atteints. Elle formule un souhait : que les efforts faits pour accroître la sensibilité des biopsies liquides permettent à cette forme de diagnostic d’être utilisée partout, et ce de notre vivant.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.