La consommation d'alcool tue plus de femmes que jamais auparavant
Entre affaiblissement du système immunitaire et augmentation du risque de cancer du sein, l'alcool peut avoir de graves conséquences sur la santé des femmes, qui semblent pourtant en consommer de plus en plus chaque année.
Les autorités sanitaires françaises recommandent de limiter la consommation d'alcool à deux verres par jour, et pas tous les jours. Cependant, d'un point de vue sanitaire, il est préférable de boire encore moins, voire pas du tout.
Jasmine Charbonier a commencé à consommer beaucoup d’alcool lorsqu’elle était à l’université ; quand elle a atteint ses 30 ans, elle buvait jusqu’à huit cocktails à la tequila par jour, plusieurs jours par semaine. L’année dernière, plongée dans un état de manque après avoir essayé d’arrêter de boire, elle a été surprise de réaliser qu’elle avait un problème de dépendance.
Selon de nouvelles recherches, si les hommes sont toujours plus susceptibles de mourir d’une maladie liée à l’alcool que les femmes, l’écart tend désormais à se réduire, ces dernières consommant plus d’alcool que par le passé. Une enquête gouvernementale américaine a récemment révélé que 49 % des femmes avaient consommé de l’alcool dans les 30 derniers jours, contre 55 % chez les hommes. Plus marquant encore, les femmes dans la trentaine et la quarantaine boivent aujourd’hui plus que les hommes de la même tranche d’âge.
Contrairement aux drogues dures, l’alcool est généralement considéré comme une méthode plus saine de déstresser et de vaincre ses inhibitions, explique Dhruti Patel, spécialiste en psychiatrie de l’addiction à l’école de médecine Miller de l’Université de Miami. « L’alcool est légal, accessible facilement et il n’est pas si tabou dans la société ; c’est pourquoi les femmes s’inquiètent moins lorsqu’elles boivent. »
C’était certainement le cas de Mme Charbonier. « J’étais l’amie qui, quand elle était en vacances, buvait des mimosas à 8 heures du matin », confie la femme de 35 ans, spécialiste en collecte de fonds, entrepreneuse et blogueuse à Tampa, en Floride. Boire de l’alcool lui permettait de profiter davantage de ses soirées et de ses voyages, mais aussi de rencontrer de nouvelles personnes et de danser librement, sans inhibition. L’année dernière, elle a temporairement renoncé à l’alcool dans le but de perdre du poids et a été surprise par les symptômes de manque auxquels elle faisait soudainement face : des envies intenses d’alcool, une anxiété accrue et des tremblements dans ses mains. « J’étais complètement choquée. Jusqu’à ce moment-là, je ne pensais pas que j’avais une dépendance. »
LES RISQUES DE L’ALCOOL POUR LA SANTÉ
Malgré l’image légère que l’on donne souvent à l’alcool, le vin, la bière ou les cocktails représentent un danger important pour la santé, et ce quelle que soit la quantité. L’année dernière, la Fédération mondiale du cœur a remis en question l’idée largement répandue selon laquelle un verre de vin rouge par jour aurait des effets positifs pour notre santé. Selon l’organisation à but non lucratif, toute quantité d’alcool, qu’elle soit petite ou grande, entraîne une augmentation du risque de maladie cardiaque, d’accident vasculaire cérébral et d’anévrismes.
Pour une quantité équivalente, les femmes sont par ailleurs plus sensibles aux effets négatifs de l’alcool que les hommes. En effet, selon les spécialistes, le corps des femmes possède davantage de tissu adipeux et moins d’eau que celui des hommes pour un poids similaire ; la concentration d’alcool dans le sang est ainsi plus élevée et durable. Les enzymes utilisées pour métaboliser l’alcool sont également moins nombreuses, et les fluctuations hormonales auraient une influence sur la rapidité à laquelle l’alcool se décompose dans l’organisme.
En outre, les femmes qui boivent de l’alcool développent davantage de problèmes médicaux que les hommes, et ce pour des niveaux d’alcool consommé bien plus faibles. Selon une analyse publiée en mars, chez les femmes, consommer plus de deux verres par jour augmenterait le risque de décès.
Bien que les hommes soient toujours plus nombreux à mourir à cause de la consommation d’alcool, l’étude parue dans JAMA Network Open indique que l’écart tend bel et bien à se réduire. Aux États-Unis, les décès liés à l’alcool chaque année sont restés relativement stables pour les deux sexes jusqu’en 2007, après quoi ils ont augmenté pour les deux. Ces chiffres ont grimpé en flèche à partir de 2018 ; les décès de femmes ont alors commencé à augmenter de 15 % par an, contre « seulement » 12,5 % pour les hommes.
Pourtant, pour Ibraheem Karaye, professeur adjoint de santé publique à l’Université Hofstra à Hempstead et coauteur de l’étude, cette constatation n’est pas inattendue. « Les études montrent que l’écart de consommation entre les sexes se réduit et que les complications augmentent chez les femmes. Il est donc logique d’observer ces différences dans les décès liés à l’alcool. » Cette forte augmentation pourrait aussi être attribuée en partie à la crise des opioïdes, car bien souvent, les personnes qui souffrent d’addiction abusent de plus d’une substance à la fois.
Les décès dus à l’alcool, tels que les insuffisances cardiaques ou hépatiques suite à une intoxication alcoolique, mais aussi les accidents de voiture, les chutes et les noyades après une consommation excessive d’alcool, peuvent être soudains. Cependant, selon Karaye, la plupart des décès sont la conséquence d’une consommation d’alcool à long terme, notamment sur le foie, le pancréas ou le cœur.
L’alcool peut augmenter le risque de cancer du sein de 9 %, et ce même quand la consommation se limite à un seul verre par jour (chaque verre supplémentaire aggravant le risque), mais aussi engendrer des perturbations du système immunitaire, qui peuvent accroître les infections et diminuer la cicatrisation des plaies et la guérison après une opération. Des liens ont également été faits avec les problèmes de fertilité et la ménopause précoce et, bien sûr, boire pendant la grossesse expose les enfants à naître à des risques de troubles physiques, mentaux et comportementaux.
TROUVER DES ALTERNATIVES À L’ALCOOL
Selon les estimations, près de 1,5 million de personnes souffriraient d’alcoolodépendance en France, et 2,5 millions auraient une consommation à risque.
Les femmes concernées seraient toutefois moins susceptibles de demander de l’aide que les hommes. Selon Patel, cela pourrait s’expliquer par le fait que les femmes ne se rendent pas toujours compte de la quantité d’alcool qu’elles consomment, la taille des verres pouvant par exemple être inadaptée aux recommandations de consommation d’alcool.
En France, les recommandations des autorités de santé en la matière sont les suivantes : « maximum deux verres par jour, et pas tous les jours ». Cependant, du point de vue sanitaire, il est préférable d’en boire encore moins, voire pas du tout, suggère Patel ; l’Organisation mondiale de la santé soutient cette idée en rappelant qu’aucun niveau de consommation d’alcool n’est sans danger pour la santé, le risque étant présent « dès la première goutte ».
Pour réduire sa consommation, il est important de trouver une alternative à l’alcool dans sa vie sociale. Désormais, lorsque ses amis boivent de la tequila, Mme Charbonier choisit de boire de l’eau. Il est toujours possible, à l’heure de l’apéritif, de lever son verre avec ses amis avec de l’eau pétillante, une boisson non alcoolisée ou un mocktail. Par ailleurs, selon Patel, pour éviter tout risque ou malentendu, il est important d’informer ses amis et sa famille de sa décision de ne plus plus boire.
Le spécialiste conseille aux personnes qui lient l’alcool à la gestion du stress ou qui présentent les symptômes d’une consommation excessive (tels que la léthargie ou la confusion) d’aller en parler à leur médecin traitant. Ce dernier pourra leur recommander de consulter un psychothérapeute afin d’apprendre d’autres méthodes de gestion du stress ou de rejoindre un groupe de soutien tel que les Alcooliques anonymes.
Le médecin pourra également les orienter vers un psychiatre, habilité à prescrire des médicaments destinés à soulager l’état de manque. Cependant, comme le souligne l’étude de Karaye, ces médicaments (comme beaucoup d’autres) ont principalement été étudiés chez les hommes ; leur impact réel sur la santé ou la mortalité des femmes reste donc incertain.
Plusieurs nouveaux traitements pourraient bientôt voir le jour. Dans des essais cliniques, administrée à deux reprises en même temps qu’une psychothérapie, la psilocybine (principe actif de certains champignons hallucinogènes) a permis de réduire de manière significative le nombre de jours de consommation excessive d’alcool chez les personnes souffrant de tels troubles. En juin, des chercheurs ont rapporté que, dans le cadre d’un essai sur des rats, la sémaglutide (Wegovy), un médicament indiqué pour la perte de poids, avait permis de réduire l’envie de boire de l’alcool.
Mme Charbonier a réussi à arrêter toute seule, motivée par le meilleur état de santé physique et mentale qu’elle observait en ne buvant pas. Ses insomnies fréquentes se sont transformées en nuits de sommeil profond et réparateur, sa peau est plus claire, son humeur moins explosive, et sa vie professionnelle est plus épanouissante. « L’alcool étouffait ma créativité et contribuait à créer des croyances limitantes que je n’ai plus désormais », confie-t-elle.
À plus long terme, cette décision de renoncer à l’alcool pourrait également, comme le montre l’étude publiée dans le JAMA Network Open, lui sauver la vie.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.