Découverte : l’Homme n’est pas la seule espèce de primates à vivre une ménopause

De nouvelles preuves viennent de démontrer que les femelles chimpanzés subissent elles aussi des changements hormonaux, signes de la présence d’une ménopause.

De Jason Bittel
Publication 30 oct. 2023, 17:55 CET
Les femelles chimpanzés ont rejoint la courte liste des espèces vivant au-delà de leur âge de procréation.

Les femelles chimpanzés ont rejoint la courte liste des espèces vivant au-delà de leur âge de procréation

PHOTOGRAPHIE DE Kevin Langergraber, ARIZONA STATE UNIVERSITY

Mamie, grand-mère, mémé… Quel que soit le surnom, les humains font partie des quelques espèces chez lesquelles les femelles vivent très longtemps après leurs années reproductrices, et deviennent éventuellement grands-mères.

C’est une situation si rare que l’on peut compter sur les doigts d’une main le nombre d’espèces qui connaissent la ménopause et y survivent. On cite les orques (Orcinus orca), les globicéphales tropicaux (Globicephala macrorhynchus), les narvals (Monodon monoceros), les bélugas (Delphinapterus leucas) et les fausses orques (Pseudorca crassidens). 

Toutefois, une nouvelle étude sans précédent confirme qu’au moins une population de chimpanzés (Pan troglodytes) peut désormais être ajoutée à la liste des élites.

Cette découverte est le fruit de 21 années d’observation de la communauté de chimpanzés sauvages de Ngogo, dans le parc national de Kibale, en Ouganda. Pour y parvenir, les chercheurs ont dû collecter une immense quantité d’urine des primates, perchés sur la cime des arbres.

« Pour ce faire, nous coupons un jeune arbre qui se termine en forme de “Y”. Ensuite, nous plaçons un sac plastique très fin par-dessus », explique Kevin Langergraber, primatologue à l’université d’État de l’Arizona et auteur principal de l’étude publiée le 26 octobre dans la revue Science.

« Ensuite, il faut juste espérer ne pas être trop éclaboussé », termine-t-il en riant. 

Si ces circonstances peuvent paraître risibles, l’étude de l’urine de 66 femelles de la population de Ngogo, âgées de 14 à 67 ans, a révélé que leurs niveaux d’hormone changeaient passé 50 ans, ce qui confirme qu’elles vivent une ménopause. Curieusement, 50 ans est également l’âge auquel de nombreuses personnes connaissent le début de leur ménopause.

M. Langengraber et d’autres chercheurs spécialistes des primates se sont longtemps demandé pourquoi les humains connaissent une ménopause quand aucun de nos cousins de l’évolution ne la vit.

« C’est vraiment génial de trouver enfin cette pièce du puzzle », témoigne Catherine Hobaiter, primatologue à l’université de St Andrews en Écosse, qui elle aussi étudie les chimpanzés à la Budongo Central Forest Reserve en Ouganda, mais qui n’a pas participé à l’étude.

Bagarres amicales entre bébés chimpanzés

 

LES CONDITIONS PRÉALABLES À LA MÉNOPAUSE

Pourquoi la ménopause n’a-t-elle été découverte que maintenant chez les chimpanzés ? Pour faire simple, il est extrêmement difficile d’étudier le fonctionnement interne de grands animaux sauvages sans les blesser.

L’étude des chimpanzés compte également de nombreux autres défis, notamment leur espérance de vie très longue, particulièrement en captivité. Une femelle, connue sous le nom de Little Mama, devait avoir presque 80 ans lorsqu’elle est décédée dans un parc safari de Floride en 2017. De fait, les scientifiques ne disposent tout simplement pas d’assez de données pour suivre de nombreux groupes d’Afrique centrale et occidentale.

Néanmoins, la durée du Ngogo Chimpanzee Project, qui a commencé en 1993, et la technique non invasive de collecte d’urine ont permis aux scientifiques de faire cette découverte.

Plus précisément, l’équipe a constaté que les femelles âgées subissent les mêmes changements endocrinologiques qu’une femme d’âge moyen : les taux d’œstrogènes et de progestatifs diminuent, tandis que ceux des hormones folliculo-stimulantes et lutéinisantes augmentent.

Cependant, M. Langergraber met en garde : la population de Ngogo pourrait être une exception par rapport au reste de l’espèce.

En effet, la communauté de Ngogo vit dans une sorte d’éden pour les chimpanzés : le parc national de Kibale. Il est riche en ressources, bien protégé et ne compte pas non plus de léopards, le principal prédateur de ces primates. Étant donné que la communauté de Ngogo se trouve au cœur du parc, ses seuls voisins sont d’autres chimpanzés, et non des humains susceptibles d'exposer les chimpanzés à des agents pathogènes qui ont déjà dévasté d’autres communautés.

La théorie opposée pourrait tout aussi bien être vraie. Toutes les populations de chimpanzés ont autrefois vécu dans la prospérité relative dont jouissent aujourd’hui les chimpanzés de Ngogo, mais les Hommes ont exercé une telle pression sur les animaux que les femelles ne vivent généralement plus assez longtemps pour être ménopausées.

Bien sûr, un entre-deux pourrait également être envisagé, assure le chercheur.

 

LES CHIMPANZÉS VALORISENT-ILS LEURS GRANDS-MÈRES ?

Autre question intrigante : les grands-mères chimpanzés jouent-elles un rôle dans l’évolution ?

En effet, les chercheurs ont montré chez les humains que la présence d’une grand-mère vivante peut transmettre des avantages aux petits-enfants, par exemple en leur fournissant de la nourriture et des soins supplémentaires. Les scientifiques ont également observé des preuves de ce comportement gériatrique chez les éléphants d’Asie (Elephas maximus) et les orques.  

La réponse n’est pas claire, notamment car les sociétés de chimpanzés sont très différentes des humaines, comme l’explique Brian Wood, responsable de l’étude et anthropologue de l’évolution à l’université de Californie à Los Angeles.

Par exemple, les mâles et les femelles chimpanzés s’accouplent dans la promiscuité plutôt que de former des relations à long terme. Les mères s’occupent seules de leur progéniture. Lorsqu’elles atteignent la maturité, les femelles partent à la recherche de nouvelles communautés, tandis que les mâles restent dans la région où ils sont nés. Tous ces éléments signifient que les grands-mères chimpanzés ne savent probablement pas qui sont leurs petits-enfants, à l’inverse des humains ou même des orques.

« Cela ne signifie pas qu’aucune action de ces femelles plus âgées n’a de conséquences », poursuit M. Wood. « Mais il s’agit là d’un domaine à étudier plus tard. » 

Dans la population qu’elle étudie à Budongo, Mme Hobaiter a vu les femelles plus âgées se retirer des rivalités quotidiennes qui font partie de la vie des chimpanzés.

Elles semblent néanmoins jouir d’un certain prestige et respect. L’une d’entre elles, Nambi, vit à Budongo depuis probablement 60 ans, voire même plus. Mme Hobaiter a observé des moments où elle semblait diriger et prendre des décisions pour le groupe.

« Ce qu’elle a vu dans cette forêt, les différentes saisons qu’elle a connues, les différentes régions de la forêt, les interactions avec les voisins, c’est là l’incroyable héritage de son savoir. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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