Après 30 ans de déclin, la tuberculose fait son retour aux États-Unis

Après l'explosion de la pandémie de COVID-19, les autorités sanitaires américaines ont tourné leur attention vers la lutte contre le virus, ce qui, selon certains experts, aurait permis aux cas de tuberculose de discrètement augmenter dans le pays.

De Leah Worthington
Publication 31 mai 2024, 09:28 CEST
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Cette radiographie colorisée du thorax d'un patient montre des lésions tuberculeuses (en rose), des tissus morts infectés, provoquées par la tuberculose. Le traitement de cette maladie très contagieuse nécessite la prise systématique d'antibiotiques pendant plusieurs mois.

Après pas moins de trente années de déclin, depuis 2020, les taux de tuberculose connaissent une hausse progressive aux États-Unis, selon un nouveau rapport des Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC). Une tendance préoccupante, 1,5 million de personnes succombant chaque année à cette maladie infectieuse, considérée comme la plus mortelle du monde.

« Même si elles ne meurent pas, les personnes infectées se retrouvent hospitalisées et souffrent de nombreux problèmes à long terme », explique Priya Shete, professeure de médecine associée et codirectrice du Centre de lutte contre la tuberculose de l’Université de Californie à San Francisco. « Si nous laissons les taux de tuberculose continuer à augmenter à l’échelle mondiale, à terme, cela finira par nous affecter nous également. »

Aux États-Unis, le nombre de cas signalés en 2023 a été le plus élevé de ces dix dernières années. La majeure partie de ces cas ne sont pas de nouvelles transmissions, mais de soudaines activations d’infections latentes qui n’avaient pas été détectées ou qui n’avaient pas été traitées correctement.

Bien que la tuberculose touche des milliers de personnes dans le pays, et des millions à travers le monde, « la plupart des Américains ne risquent pas de développer la tuberculose », révèle Philip LoBue, directeur de la division chargée de l’élimination de la maladie aux CDC.

Par rapport à des pays qui présentent un taux d’incidence très élevé, comme l’Inde, la Chine et les Philippines, dans le cas des États-Unis, le risque d’infection compte parmi les plus faibles au monde. Ce récent bouleversement dans la tendance a cependant soulevé des questions, et lancé quelques sonnettes d’alarme chez les experts en maladies infectieuses et en santé publique. Voici ce qu’il faut savoir sur les causes et les implications de cette soudaine recrudescence.

 

CONTAGION, SYMPTÔMES ET TRAITEMENTS

La tuberculose est l’une des maladies les plus anciennes et les plus mortelles de l’histoire de l’humanité. Pendant des millénaires, elle a affligé les populations du monde entier, ce qui lui a valu divers inquiétants surnoms, tels que « la peste blanche » ou « la consomption ». Il y a seulement un siècle et demi, environ 80 % des infections actives étaient mortelles. Depuis, grâce au développement de nouveaux vaccins, diagnostics et traitements antibiotiques, les taux étaient en baisse partout dans le monde.

La tuberculose est causée par une infection bactérienne très contagieuse qui affecte principalement les poumons, mais peut également endommager les reins, le cœur, les os, les articulations et les vaisseaux sanguins. Si elle se propage, elle peut provoquer une méningite tuberculeuse, c’est-à-dire une inflammation de la moelle épinière et des tissus qui enveloppent le cerveau, ou une hépatite, une inflammation du foie.

La maladie se transmet par voie aérienne, par le biais d’une exposition prolongée à des particules infectieuses en suspension dans l’air, à la suite, par exemple, d’une toux ou d’un éternuement. Souvent, les personnes infectées par la tuberculose ne présentent aucun symptôme et ne savent pas qu’elles sont malades pendant plusieurs semaines, voire plusieurs années : l’infection est alors dite « latente ». Elle peut cependant devenir active et contagieuse à tout moment.

Même si la bactérie est détectée et qu’un antibiotique efficace est prescrit, le traitement doit être pris en continu plusieurs mois durant, ce qui rend l’observance thérapeutique du patient plus difficile.

« Pour permettre à la tuberculose de rester à l’état latent, la surveillance et la suppression doivent être constantes », explique Jeffrey Cox, professeur d’immunologie et de pathogénie à l’Université de Californie à Berkeley. « Si l’on arrête d’exercer cette pression, la bactérie peut recommencer à se développer. »

Bien qu’à la fois évitable et curable, la tuberculose demeure l’une des principales causes de mortalité due à une maladie infectieuse dans le monde, et fait plus d’un million de victimes chaque année. Elle touche des millions de personnes, tous pays et tranches d’âge confondus, mais frappe tout particulièrement les populations à faible ou moyen revenu.

 

POURQUOI LES CAS SONT-ILS EN HAUSSE AUX ÉTATS-UNIS ?

Du point de vue de la santé publique, il n’est pas surprenant que le nombre de cas de tuberculose connaisse une augmentation depuis 2020 aux États-Unis. Lorsque la pandémie de COVID-19 a frappé, le nombre de cas déclarés d’autres maladies transmissibles comme la tuberculose a chuté, car la majorité des ressources sanitaires étaient mises au service de la lutte contre le nouveau coronavirus.

« La plupart des pays ont connu une baisse [des cas déclarés] entre 2019 et 2020 », relate Cox. « Mais les cas de tuberculose n’ont pas diminué pour autant. »

En effet, il est possible que l’accent particulier mis sur le dépistage et le traitement du COVID-19 au plus fort de la pandémie aient permis aux infections tuberculeuses de se multiplier.

« Un grand nombre d’activités moins prioritaires liées aux soins de santé, comme l’entretien et la prévention, ont été remises à plus tard », détaille Shete. « Nous ne parvenions pas à prioriser la prévention de la tuberculose. »

Selon Cox, il s’agit d’une sorte d’effet boule de neige : si les malades ne se font pas dépister ou ne signalent pas leurs infections, ils ne reçoivent pas le traitement dont ils ont besoin et peuvent ainsi transmettre l’infection à d’autres personnes. La diminution du port du masque et l’augmentation des voyages ont également pu exacerber la propagation de la maladie par la suite.

En comparaison aux cas observés précédemment, les nouveaux patients atteints de tuberculose sont « souvent plus malades au moment où ils sont diagnostiqués », explique Shete. Pendant la pandémie, certains médecins ont pu mal identifier ou ne pas prendre les symptômes de leurs patients suffisamment au sérieux. « La maladie peut être très lente : les personnes infectées commencent à perdre du poids, à se sentir mal, à avoir une toux chronique, et peuvent ne pas chercher à se faire soigner suffisamment rapidement. »

LoBue partage cet avis. Selon lui, « la similitude entre la tuberculose pulmonaire et les symptômes du COVID-19 », ainsi que l’accès perturbé aux soins de santé au début de la pandémie, ont été des facteurs clés de la chute initiale, puis de l’augmentation, du nombre de cas.

Tout comme avant la pandémie, la plupart des cas récents, soit pas moins de 80 %, sont dus à des infections latentes non traitées qui, par conséquent, sont devenues actives avec le temps. D’après LoBue, les personnes qui présentent un système immunitaire affaibli, notamment dû à des maladies comme le VIH ou par certains médicaments immunosuppresseurs, sont les plus touchées. À l’inverse, un système immunitaire sain peut réussir à repousser l’infection indéfiniment.

 

QUELLES SONT LES POPULATIONS LES PLUS TOUCHÉES ?

Aux États-Unis, les personnes les plus exposées à la tuberculose sont celles qui sont nées dans des pays où la maladie est fréquente, ou qui s’y rendent régulièrement, mais aussi celles qui travaillent ou vivent dans des environnements à risque, tels que les écoles et des zones à habitation dense, ou encore celles qui présentent un système immunitaire plus faible, révèle Shete.

« D’une manière générale, la tuberculose est souvent qualifiée de "maladie de la pauvreté". » Les personnes souffrant d’insécurité alimentaire, d’un accès insuffisant aux services de santé de base et de conditions de vie inadéquates, ou qui vivent dans des environnements surpeuplés, courent un risque plus élevé d’infection et manquent souvent de ressources pour se faire dépister ou traiter.

Dans le cas des personnes nées aux États-Unis, les taux de tuberculose sont plus élevés chez celles « qui, historiquement, ont été minorisées ou marginalisées sur le plan socio-économique, racial ou ethnique », explique Shete, notamment les populations noires et latino-américaines. Selon le dernier rapport des CDC, les populations afro-américaines sont les plus touchées, représentant 33 % des cas de tuberculose chez les personnes nées aux États-Unis, et sont suivies par les populations hispaniques et blanches.

Cox souligne toutefois que ces chiffres « ne sont rien » par rapport à la situation dans le reste du monde. En outre, il reste à voir si l’augmentation du nombre de cas n’est qu’un « accident de parcours » ou si cette tendance se poursuivra à l’avenir. « Tant que nous n’aurons pas plus d’années de données, nous ne pourrons pas le savoir avec certitude », reconnaît LoBue.

 

MESURES ET RECOMMANDATIONS

Les experts invitent la population à s’informer sur la tuberculose, sans pour autant s’alarmer inutilement. Selon Shete, il est important de se rappeler que cette maladie peut être évitée, diagnostiquée et traitée.

De manière générale, les personnes n’appartenant pas à des groupes à haut risque n’ont pas de raison de s’inquiéter, à moins qu’elles ne remarquent des symptômes ou qu’elles n’aient été exposées à une personne atteinte d’une infection active. Cela étant dit, Shete ajoute : « J’hésite à sous-estimer l’importance de la tuberculose pour la majeure partie de la population, car il suffit qu’une seule personne soit infectée dans votre communauté. »

La charge la plus lourde incombe aux professionnels de la santé et au système de santé publique. Les médecins devraient procéder à des dépistages réguliers de la tuberculose, en particulier dans les populations à haut risque, suggère Shete. En outre, ces mesures préventives devraient être couvertes par l’assurance-maladie, ce qui n’est pas toujours le cas aux États-Unis. L’année dernière, le groupe de travail américain sur les services préventifs (U.S. Preventive Services Task Force) a émis, pour la première fois depuis 2016, une recommandation relative au dépistage des adultes asymptomatiques présentant un risque accru d’infection tuberculeuse latente.

Pour gérer les cas de tuberculose à long terme, des investissements continus dans la recherche clinique et le développement de diagnostics et d’antibiotiques plus efficaces seront nécessaires, indique Cox.

« Ce type d’infrastructure, une surveillance constante et des financements du gouvernement sont indispensables pour permettre à ces programmes de perdurer », ajoute-t-il.

Bien que le risque de tuberculose reste faible pour les résidents américains, une lutte à l’échelle mondiale est essentielle pour assurer une gestion efficace de la maladie. Les États-Unis ont donc pris la décision d’en faire une priorité, grâce à des programmes internationaux tels que la Global Tuberculosis Strategy 2023–2030 de l’USAID et la division des CDC chargée de la lutte mondiale contre le VIH et la tuberculose, qui s’efforce de combattre les deux épidémies simultanément.

Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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