Il y a 125 000 ans, l'Homme de Néandertal chassait l'éléphant en Allemagne

Selon une nouvelle étude, l'Homme de Néandertal se déplaçait en groupes suffisamment grands pour s’attaquer avec succès à des éléphants préhistoriques : une découverte qui vient changer notre perception de cette espèce humaine proche de la nôtre.

De Lou Chabani
Publication 22 févr. 2023, 09:30 CET, Mise à jour 13 oct. 2023, 09:17 CEST
Représentation de Palaeoloxodon antiquus en taille réelle, aux côtés de Sabine Gaudzinski-Windheuser, autrice de l'étude.

Représentation de Palaeoloxodon antiquus en taille réelle, aux côtés de Sabine Gaudzinski-Windheuser, autrice de l'étude.

Image fournie par Sabine Gaudzinski-Windheuser

Dans le cadre d’une étude parue récemment dans la revue Science Advances, une équipe internationale de chercheurs a eu la chance d’étudier de nombreux squelettes d’animaux chassés par l’Homme de Néandertal il y a de ça 125 000 ans. Le tableau de chasse comporte notamment plusieurs dizaines de squelettes d’éléphants adultes de l’espèce Palaeoloxodon antiquus.

Hauts de plus de 4 mètres et lourds de 13 tonnes, ces mastodontes étaient plus imposants encore que les spécimens les plus impressionnants de nos éléphants d’Afrique modernes et étaient dotés de défenses massives qui décourageraient même le plus aguerri des chasseurs.

Cependant, les squelettes retrouvés présentent tous des traces claires de découpage de la viande, ce qui indiquerait que l’Homme de Néandertal était tout à fait capable de s’attaquer à un tel goliath.

« Quand on ne trouve qu’un seul squelette, la présence de traces de coupures à tel ou tel endroit sur un os peut être un simple hasard », explique Sabine Gaudzinski-Windheuser, archéologue au centre de recherches archéologiques de Monrepos et autrice de l’étude. « Mais lorsque l’on en a autant que sur ce site, on ne peut que confirmer, encore et encore, que leur présence n’est pas le fruit du hasard. »

Pour rassembler ces preuves, les archéologues s’intéressent plus particulièrement aux restes d’animaux dont regorgent les lieux de vie des Néandertaliens. En étudiant la nature de ces os ainsi que les traces des éventuelles transformations, ils sont alors capables de déterminer de nombreux détails sur le type d’animaux chassés, mais également de déduire des informations sur les méthodes de chasse, et sur la structure et le fonctionnement des groupes.

 

COMMENT FAIRE TOMBER UN GÉANT

Retrouvés sur les sites de Neumark-Nord 1 et 2, en Allemagne, les squelettes étaient conservés dans des dépôts sédimentaires appartenant à un ancien lac. Le lieu, autrefois exploité comme une mine, a ensuite été reconverti en site de fouilles.

En plus des squelettes d’éléphants, les archéologues ont également retrouvé plusieurs dizaines de restes d’animaux différents, tels que des cerfs, des chevaux, ou encore des rhinocéros. Les cerfs présentaient de claires traces d’exploitation. La période de dépôt correspondant à celles des éléphants, les archéologues ont décidé de chercher de telles traces sur les squelettes de ces derniers.

« Dans le cas de Neumark-Nord 2, les os ou les carcasses furent déplacés à cet endroit après avoir été chassés aux alentours », explique Gaudzinski-Windheuser. « Pour Neumark-Nord 1, c’est complètement différent. Les animaux y étaient mis à mort et étaient laissés sur place, parce qu’il n’était pas possible de déplacer une carcasse de 13 tonnes. »

Si les méthodes de chasse utilisées par les Néandertaliens sont encore inconnues des archéologues, des recherches ethnographiques ont permis d’observer plusieurs parallèles.

« La collaboration de plusieurs personnes et l’utilisation d’un piège sont nécessaires. C’est une opération très dangereuse, mais ce n’est pas impossible. Ce sont surtout les individus mâles, qui ne sont pas membres de grandes hardes. Ils sont solitaires et très gros, ce sont les proies les plus imposantes que l’on pouvait abattre à l’époque. »

D’autres sites ont également donné lieu à la découverte de certaines armes qui auraient pu être utilisées pour cette chasse. Une lance de bois logée entre les côtes d’un squelette de Palaeoloxon antiquus a par exemple été retrouvée sur le site archéologique de Lehringen.

« Jusqu’à la publication de cette étude, il y avait toujours des débats pour savoir si les éléphants et les mammouths étaient réellement chassés, ou si les hominidés tiraient parti d’animaux déjà morts ou mourants. »

 

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    Les os de Palaeoloxodon antiquus ont été retrouvés dans les sédiments d'un ancien lac, ce qui a permis leur excellente conservation.

    PHOTOGRAPHIE DE Sabine Gaudzinski-Windheuser

    UNE EUROPE CENTRALE AU CLIMAT BIEN PLUS CHAUD

    Plus grand et plus imposant que le mammouth laineux, Palaeoloxodon antiquus, ou éléphant à défenses droites, vivait également dans un environnement très différent. Comme ses futurs cousins, les éléphants d’Afrique et d’Asie, il vivait en effet dans des conditions climatiques proches de celles que l’on retrouve dans des régions tropicales.

    Selon les chercheurs, les dernières études de paléoécologie suggèrent que, au cours de la dernière période interglaciaire, l’Europe centrale affichait un climat beaucoup plus clément. Les principaux indices utilisés sont les traces des différentes forêts qui se sont succédé dans la zone.

    En étudiant les pollens et les éventuels fossiles des plantes qui poussaient à cette époque, les archéologues sont capables de reconstituer la nature des écosystèmes anciens.

    « Les populations d’espèces végétales présentes nous donnent de nombreux indices sur la température et les précipitations de l’époque », explique Lutz Kindler, archéologue du centre de recherches archéologiques de Monrepos et co-auteur de l’étude. « [La période interglaciaire de] l’Éémien était plus chaude de 2 °C par rapport [aux températures] actuelles […], et les averses étaient considérablement plus importantes. »

    Les traces des forêts suggèrent également le maintien d’un paysage ouvert par la présence des Hommes de Néandertal. Si leur impact sur l’écosystème était bien moindre que celui de l’être humain moderne, ils participèrent néanmoins à la transformation de l’environnement par leur simple présence, et par l’utilisation du feu.

    Ce niveau de modification du paysage vient également étayer la théorie soulevée par les nouvelles découvertes de l’équipe de Gaudzinski-Windheuser, selon laquelle l’Homme de Néandertal aurait été présent en groupes plus larges que ce que pensaient auparavant les spécialistes. Si c’était bien le cas, il aurait en effet eu besoin d’exploiter plus de bois pour divers usages.

    Grâce aux traces de coupures présentes sur tous les squelettes, les archéologues ont pu théoriser l'existence ...

    Grâce aux traces de coupures présentes sur tous les squelettes, les archéologues ont pu théoriser l'existence d'une vraie méthode de chasse, contredisant l'hypothèse d'une consommation occasionnelle.

    PHOTOGRAPHIE DE Sabine Gaudzinski-Windheuser

     

    DES FLEURS POUR NÉANDERTAL

    L’image de l’Homme de Néandertal, qui a longtemps été présenté comme un cousin moins raffiné d’Homo sapiens, s’est souvent limitée à celle d’un homme des cavernes ignare, aux outils moins perfectionnés.

    Depuis quelques dizaines d’années, les recherches sur le cousin d’Homo sapiens ont cependant peu à peu rectifié cette image. Les premiers éléments remontés sur ses pratiques de chasse dans les années 1970 et 1980 l’ont d’abord présenté comme un opportuniste, mais le développement de l’étude de la dégradation des os par taphonomie dans les années 1990 a rapidement rectifié ces croyances.

    « Au début, les archéologues trouvaient essentiellement les dents et les pieds des proies dans les lieux de vie [de Néandertal] », explique Britt Starkovich, archéologue de l’université de Tübingen. « Mais grâce à la taphonomie, nous avons compris qu’il s’y passait bien plus de choses […], et nous avons fini par nous rendre compte que Néandertal était en réalité un excellent chasseur. »

    La découverte de plus en plus de sites a ensuite permis de prouver cette capacité à chasser et à obtenir d’excellents résultats. Malgré cela, la perception du public a mis plusieurs années à le séparer de son image de sous-Homme des cavernes.

    « Chaque découverte d’un site qui présente des preuves indiquant que Néandertal était capable de chasser est toujours présentée comme une découverte exceptionnelle, comme si Néandertal en était incapable », décrit Starkovich. « Mais pour beaucoup de chercheurs, cela n’a rien de surprenant. […] Il s’agit plus de déterminer ce qu’ils avaient à chasser pour pourvoir à leurs besoins. L’Homme de Néandertal semblait chasser de grosses proies dès qu’elles étaient disponibles. […] Celles-ci sont beaucoup plus avantageuses en termes de quantité de nourriture pour l’effort fourni. »

    Outre leurs capacités de chasses, de nombreuses questions sont également soulevées sur la nature et la structure des groupes sociaux des Néandertaliens. Parmi elles, la problématique de la conservation d’une quantité de viande aussi importante dans un climat proche de celui d’une zone tropicale.

    « Chasser et consommer toute cette viande nous fait penser que l’Homme de Néandertal se déplaçait en groupes beaucoup plus grands que ce que nous pensions à l’origine », poursuit Gaudzinski-Windheuser. « Il ne faisait pas assez froid pour compter sur le permafrost, mais nous pensons qu’ils mangeaient une bonne partie très vite, peut-être en célébration, et pouvait avoir recours à d’autres techniques de conservation […] comme le séchage ou la conservation dans l’eau. »

    « Nous avons longtemps pensé que les Hommes de Néandertal vivaient en petits groupes isolés, mais un éléphant aurait été une proie beaucoup trop compliquée à attraper pour ce genre de communauté », ajoute Kindler. « Ils n’auraient pas pu gérer des techniques de chasse et n’auraient de toute façon pas eu besoin de chasser des éléphants. […] Cependant, s’ils se rassemblaient en groupes plus grands, même périodiquement, ils auraient pu mettre en place de telles techniques et être assez nombreux pour manger toute la viande. »

    Grâce aux recherches les plus récentes, un portrait bien plus humain de l’Homme de Néandertal commence à se dessiner. La présence de près de 3 % d’ADN suggère également la production d’une descendance assez large et viable pour avoir laissé une trace durable dans notre code génétique. Ainsi, malgré l’absence de squelettes hybrides, cet héritage suggère une cohabitation suffisamment proche pour permettre un métissage.

    Selon Starkovich, bien que rares, plusieurs trouvailles indiquent la présence d’ébauches d’expression artistiques. Des coquillages percés ont été retrouvés le long du bassin méditerranéen, potentiellement pour en faire des bijoux. Certains auraient même été colorés à l’ocre afin de maintenir la coloration rouge de l’animal vivant.

    « L’Homme de Néandertal était clairement différent, mais il n’était en aucun cas inférieur. [Par exemple], il n’y a pas beaucoup de traces d’activités artistiques de sa part […] mais, occasionnellement, nous trouvons des ornements ou des pigments. Et cette différence nous fait nous demander s’ils pratiquaient des formes d’art qui ne laissaient tout simplement pas de traces, comme le chant ou la danse. Malheureusement, nous n’aurons jamais de moyen de le savoir », conclut la spécialiste.

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