L’autisme se présente différemment chez les jeunes filles et les femmes
L’autisme est de mieux en mieux compris. Rien qu’au cours de la dernière décennie, le nombre de diagnostics a augmenté de 175 %, les plus fortes hausses étant observées chez les jeunes filles et les femmes.
C’est chez les jeunes filles et les femmes que l’autisme est davantage diagnostiqué, ce qui, selon les chercheurs, s’explique en partie par une meilleure compréhension de son vécu expérientiel. Par exemple, les différences sensorielles pouvant conduire les personnes autistes à se sentir submergées traduisent également le fait qu’elles gèrent souvent les informations provenant du monde qui les entoure par plus petits fragments mais de manière beaucoup plus intense.
À l’âge de quarante-huit ans, Serenity Kiser a été diagnostiquée comme étant autiste. Ce diagnostic a été à la fois une surprise et une réponse aux questions qu’elle s’était toujours posées. Enfant, elle entendait sans cesse qu’elle était « trop » ceci ou cela : qu’elle riait trop fort, que ses gestes n’étaient pas appropriés ou encore qu’elle disait les mauvaises choses au mauvais moment. À onze ans, elle a été internée deux fois, et ce, pour des raisons qu’elle ne comprenait pas tout à fait.
Après avoir été diagnostiquée comme étant autiste, Serenity Kiser s’est replongée dans le passé et a consulté les documents administratifs relatifs à son internement. Elle s’est alors rendu compte que les traits qui lui avaient valu d’être internée relevaient « presque de l’autisme typique », rapporte-t-elle. Les médecins ont mis par écrit qu’elle refusait tout contact visuel, qu’elle parlait d’une voix monocorde et qu’elle remettait en question leur autorité.
Les diagnostics d’autisme sont en augmentation avec, uniquement au cours de la dernière décennie, un pic à hauteur de 175 %. Selon une étude publiée en octobre 2024, les hausses les plus importantes concernent les personnes âgées de vingt-quatre à trente-six ans, ainsi que les femmes et les jeunes filles.
Les experts attribuent en partie cet accroissement spectaculaire à une sensibilisation accrue à l’autisme, ainsi qu’à un élargissement de la définition clinique dans le but d’inclure des formes telles que le syndrome d’Asperger.
En outre, par rapport à la conception que l’on avait autrefois de l’autisme, on comprend désormais de mieux en mieux les différentes formes que celui-ci peut prendre.
« Le stéréotype qui persiste est que l’autisme correspond à une incapacité chez l’enfant qui enferme les personnes dans leur propre monde, qu’elles sont déconnectées de la société et de la communauté, qu’elles sont tristes et qu’elles souffrent », indique Monique Botha, psychologue spécialiste de l’autisme et chercheuse à l’université de Durham, dont les travaux portent sur les biais présents dans la recherche sur ce domaine. « [C’est très loin] de ce qu’est la réalité de l’autisme. »
JEUNES FILLES : L’AUTISME SE PRÉSENTE DIFFÉREMMENT
Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental qui se caractérise par des différences en matière de communication, d’apprentissage et de comportement.
Les personnes présentant un TSA manifestent souvent des intérêts restreints et des comportements répétitifs, comme une obsession pour les trains, la mémorisation de statistiques sportives ou encore une routine quotidienne très prévisible. Souvent, elles présentent également des difficultés en matière de communication, telle que l’écholalie, soit la répétition de mots ou de phrases prononcés par quelqu’un d’autre, ou le mutisme sélectif, l’incapacité de parler dans des situations spécifiques.
Bien que les chercheurs et les médecins parviennent de mieux en mieux à reconnaître les nombreuses formes que peut prendre l’autisme, quantité d’entre elles restent encore négligées.
« Nous constatons que les jeunes filles et les femmes mettent, en moyenne, plus de temps à être diagnostiquées », explique Laura Hull, chercheuse à l’université de Bristol, dont les travaux portent sur la santé mentale et le bien-être des adolescents et des adultes autistes. « Elles ont tendance à être diagnostiquées lorsqu’elles sont plus âgées et à passer par un plus grand nombre de séries d’évaluation. »
Comme le fait remarquer Laura Hull, il est possible que le cas des jeunes filles et des femmes puisse être négligé pour l’une des raisons suivantes : celles-ci peuvent faire montre de meilleures aptitudes sociales de base, comme tenir de brèves conversations ou maintenir un contact visuel limité, ne rencontrant des difficultés que dans des situations sociales plus complexes, qui consistent par exemple à lier et entretenir des amitiés. Elles peuvent également développer des intérêts spécifiques qui ne sont pas associés de manière stéréotypée à l’autisme, comme être obnubilées par les poneys ou la mode plutôt que par les trains et les ordinateurs.
Bien que, d’un point de vue historique, en termes d’autisme, le ratio garçons/filles soit de quatre pour un, un certain nombre d’études suggèrent que les femmes et jeunes filles autistes pourraient être plus nombreuses qu’on ne le pense. Beaucoup attribuent cela au fait que l’autisme a depuis toujours été étudié chez les garçons.
Lorsque Serenity Kiser était enfant, elle s’est vu graviter autour du garçon autiste de sa classe, dont les gestes, tels que battre des mains ou sautiller sur place, ressemblaient beaucoup aux siens. Elle s’entendait toutefois dire par le corps enseignant qu’il ne lui était pas permis d’agir de la sorte car il était autiste et elle non.
« Pendant toute mon enfance, seuls les garçons étaient diagnostiqués », précise Serenity Kiser. « Je m’agitais beaucoup, je sautillais et je battais des [mains et des bras] constamment. On m’a très rapidement [corrigée]. »
VÉCU EXPÉRIENTIEL DE L’AUTISME : UNE MEILLEURE COMPRÉHENSION
Bien que l’autisme soit classé comme un trouble de la communication sociale, la recherche commence à aller plus loin et à montrer que ces difficultés sont davantage liées à des différences dans la manière de communiquer qu’à une incapacité.
« Le stéréotype veut que les personnes autistes manquent d’empathie et de théorie de l’esprit », c’est-à-dire qu’elles ne disposent pas de la capacité de comprendre ce que peuvent penser les autres, détaille Joel Schwartz, psychologue chez Total Spectrum Counseling, structure qui offre des conseils et une prise en charge psychologique à tous et surtout aux personnes neurodivergentes, dont la spécialité consiste à travailler avec ce type de profil.
En 2012, toutefois, le sociologue britannique Damian Milton a soumis le « problème de la double empathie », selon lequel les difficultés de communication résulteraient de vécus expérientiels différents. Les personnes qui expérimenteraient le monde qui les entoure de la même manière seraient plus susceptibles d’interagir avec succès.
En effet, « si l’on réunit des personnes autistes et qu’on les fait travailler sur quelque chose [...], il se trouve qu’elles collaborent et se comprennent en fait très bien, et qu’elles font preuve de beaucoup d’empathie les unes envers les autres », expose Joel Schwartz.
Cette compréhension nouvelle a permis d’élargir notre notion, au moment du diagnostic, de ce à quoi peut ressembler l’autisme, tout en donnant un meilleur éclairage sur les types de soutien pouvant être apportés.
On pense que cette différence dans la manière de communiquer provient des différences sensorielles, aspect essentiel de l’autisme. La façon dont nous expérimentons le monde dépend de la manière dont le cerveau traite et interprète des stimuli tels que le bruit ou la douleur. Chez les personnes autistes, cela peut se traduire par une tolérance à la douleur extraordinairement élevée ou une sensibilité inhabituelle au son ou à la lumière.
Les personnes autistes peuvent rapidement être submergées par un trop grand nombre de stimuli, ce qui les amène à se renfermer sur elles-mêmes ou bien à rencontrer des difficultés quant à la régulation de leurs émotions. Cela peut conduire à des comportements autistiques et stéréotypés, tels que se balancer, tournoyer, se taper la tête ou battre des mains. Néanmoins, plutôt que de détourner les personnes autistes de ces comportements répétitifs, désignés comme de l’autostimulation, la recherche montre qu’ils aident à la régulation émotionnelle.
« Il y a tellement d’[informations] qui arrivent et qui doivent être traitées », explique Karissa Burnett, psychologue spécialiste de l’autisme et fondatrice de Divergent Pathways, structure notamment spécialisée dans la neurodiversité, qui elle-même travaille avec des patients neurodivergents. « Cela prend un peu plus de temps et peut nous submerger, surtout si on ne nous a pas appris à réguler nos émotions. »
Si l’on prend une autre perspective, ces différences sensorielles offrent justement aux personnes autistes un point de vue différent sur le monde. Ne pouvant traiter qu’une quantité limitée d’informations sensorielles à la fois, les personnes autistes gèrent souvent ces dernières provenant du monde qui les entoure par plus petits fragments mais de manière beaucoup plus intense.
« Cette profondeur d’expérience est ce qui peut aussi leur donner la capacité de se connecter avec intensité à ce qui les entoure, d’éprouver une joie extrême, de voir les choses avec une grande clarté », explique Joel Schwartz.
Ce dernier, dont la femme est autiste, déclare : « En apprenant à voir le monde à travers ses yeux, ne serait-ce qu’un peu, j’ai approfondi mon expérience. J’ai trouvé plus de joie dans des choses sur lesquelles je ne me serais autrement pas attardé, simplement en étant capable d’en faire l’expérience à travers elle, de percevoir les choses à sa manière, et c’est vraiment génial. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.