Brésil : pourquoi la campagne de vaccination contre la COVID-19 est-elle si laborieuse ?

Dans ce pays reconnu pour ses efforts passés en matière de santé publique, les cas de coronavirus ne cessent d’augmenter, la vaccination prend du retard et les jeunes représentent désormais une part non négligeable des patients hospitalisés.

De Jill Langlois
Publication 28 avr. 2021, 14:42 CEST
vaccine

Le 22 mars 2021, à Brasilia, au Brésil, une personne âgée reçoit une dose d’un vaccin chinois contre la COVID-19. Le Brésil est le deuxième pays le plus durement touché par le virus dans le monde après les États-Unis, que ce soit en nombre de morts ou de cas.

PHOTOGRAPHIE DE Lucio Tavora, Xinhua, via Redux

Alors que l’épidémie a fait plus de 378 000 morts dans le pays et que le nombre de cas de COVID-19 continue d’augmenter, la vaccination des 200 millions de Brésiliens est la priorité aux yeux des spécialistes.

Le Brésil aurait cependant dû avoir une longueur d’avance dans la lutte contre le coronavirus. Encensé dans le monde entier pour son Programme de vaccination national, le pays a précédemment mené d’une main de maître des campagnes de vaccination, parfaits exemples d’une logistique réglée comme du papier à musique. Au cours de certaines d’entre elles, des millions de citoyens ont même été vaccinés sur une seule journée. Mais, alors qu’il est confronté à une succession de vagues de contaminations, le Brésil pâtit d’une planification incohérente, d’un président niant la gravité du virus et d’un mouvement anti-vaccins auquel adhèrent de nombreuses personnes.

La nation sud-américaine est le deuxième pays le plus endeuillé au monde après les États-Unis. Selon Our World in Data, elle se classe au premier rang dans les Amériques, avec 1 756 morts par million d’habitants. Le pays a enregistré plus de 4 000 morts le 6 avril dernier, bilan journalier le plus élevé depuis le début de l’épidémie. Une situation qui s’est reproduite deux jours plus tard.

À l’heure actuelle, ce sont les Brésiliens les plus jeunes qui sont les plus durement touchés. Les spécialistes soupçonnent le variant P.1, identifié pour la première fois à Manaus, d’être en partie responsable de la situation. Selon l’Association brésilienne de médecine intensive (Amib), 52 % des lits en réanimation du pays étaient occupés par des patients âgés de 40 ans ou moins en mars. Cela représente une augmentation de 16,5 % par rapport à la période décembre 2020-février 2021.

« La situation a subitement changé. La hausse des cas et des décès était effrayante, en particulier à cause de l’évolution du profil des patients présentant des formes graves. Ils sont désormais jeunes », explique Carla Berger, médecin dans une unité de soins primaires à Porto Alegre, une ville du sud du Brésil. « J’ai peur que mes enfants, qui ont 22 et 23 ans, me contaminent ou contaminent mon mari, qui est également médecin ».

À São Paulo, ville la plus peuplée du Brésil, la plupart des personnes ayant contracté la COVID-19 en 2021 ont entre 20 et 54 ans. Lors de la première vague, la municipalité avait indiqué que plus de 80 % des lits en réanimation étaient occupés par des personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques.

Mais, maintenant que les Brésiliens de 65 ans et plus se font vacciner, 60 % de ces lits sont occupés par des patients âgés de 30 à 50 ans. Ils ne présentent pas, dans leur grande majorité, d’antécédents médicaux.

 

UN PAYS POURTANT EXEMPLAIRE EN MATIÈRE DE VACCINATION

C’est en 1973, sous la dictature militaire (1964 - 1985), qu’a été créé le Programme de vaccination national (PNI) au terme d’une campagne de vaccination réussie contre la variole. Longue de plusieurs années et née du désir du pays à devenir autosuffisant et à produire tout ce dont ses citoyens avaient besoin pour cesser les importations, notamment de médicaments, celle-ci a permis l’éradication de la maladie au Brésil.

Qu'est-ce qu'un virus ?

Un « processus d’urbanisation très violent » a alors eu lieu au Brésil, explique Gonzalo Vecina Neto, professeur à la faculté de santé publique de l’université de São Paulo, ancien secrétaire à la Santé de l’État de São Paulo et président d’ANVISA, un organisme de réglementation sanitaire qui supervise les autorisations de mise sur le marché de vaccins et de médicaments dans le pays. Cette urbanisation a eu pour corollaire la recherche de solutions visant à « réduire le terrible taux de mortalité du pays, en particulier la mortalité infantile », ajoute-t-il.

L'accès accru aux vaccins et leur distribution égale par l’intermédiaire du PNI figuraient parmi les solutions.

Trois ans après sa création, le programme a été officiellement mis en œuvre par le gouvernement fédéral en vertu du décret 78.231. Ses lignes directrices étaient l’inclusion sociale et l’offre d’une assistance aux citoyens des quatre coins du pays, notamment dans les zones rurales et reculées. Le programme évoquait également les points clés devant être traités, comme l’amélioration de la surveillance épidémiologique, la formation du personnel de laboratoire pour aider aux diagnostics et la création d’au moins un laboratoire national dédié au contrôle de la qualité des vaccins.

Outre le fait que le programme constituait la première étape vers un accès universel aux soins de santé au Brésil, il était également un précurseur du SUS, le système de santé publique brésilien, créé en 1988. C’est d’ailleurs le SUS qui a permis à tous les Brésiliens de bénéficier du PNI, grâce à sa gestion décentralisée sous la coordination du ministère de la Santé et le partage des responsabilités entre les gouvernements municipaux et d’État.

Depuis, le PNI a mené avec succès plusieurs campagnes de vaccination, perfectionnant au fil du temps la planification, l’organisation et la promotion de la vaccination de millions de personnes sur une courte période.

La campagne de vaccination menée par le pays contre la polio au début des années 1980 est considérée comme l’une des plus efficaces. Au cours de celle-ci, plus de 10 millions d’enfants ont été vaccinés sur une seule journée.

« Cette réussite a découlé de la détermination du ministère de la Santé à pratiquer la vaccination de masse », souligne Gonzalo Vecina Neto.

Chaque unité de soins du Brésil a bénéficié du programme de vaccination national, qu’elles ont utilisé comme feuille de route pour la mise en œuvre de programmes spécifiques à la région où elles étaient implantées et à la population locale. Outre la promotion de la vaccination, le programme encourageait aussi les parents à faire vacciner leurs enfants en expliquant l’importance de ce geste et en proposant des consultations le samedi, lorsque la plupart des adultes ne travaillaient pas. Enfin, pour percevoir le Salário Família, une allocation versée par le gouvernement pour les enfants âgés de 0 à 14 ans, les familles devaient prouver que ces derniers étaient bien vaccinés.

Des stratégies similaires ont été employées pour vacciner la population de manière rapide et efficace lors de campagnes de vaccination annuelles contre la grippe, ou celles plus périodiques contre la méningite, la fièvre jaune et la souche de grippe H1N1.

Mais aujourd’hui, alors que le pays est confronté à la pandémie de COVID-19, les Brésiliens pâtissent du manque d’organisation du gouvernement.

Contacté à plusieurs reprises par National Geographic, le ministère de la Santé brésilien nous a proposé plusieurs rendez-vous, avant de nous faire savoir que l’emploi du temps du ministre ne lui  permettrait finalement pas de répondre à nos questions.

 

UN IMPORTANT MANQUE DE PLANIFICATION

Depuis le retrait des données liées à la COVID-19 des voies de communication du gouvernement fédéral en juin 2020, un consortium de médias locaux collecte les données des États. Et selon eux, 23,8 millions de Brésiliens, soit un peu plus de 11 % de la population, avaient au moins reçu la première dose du vaccin CoronaVac ou Oxford-AstraZeneca en date du 12 avril 2021.

Seuls 7,39 millions de citoyens (3,49 % de la population) se sont vu administrer les deux doses de l’un des vaccins disponibles dans le pays. Certains spécialistes avancent que quatre années pourraient être nécessaires pour vacciner toute la population si la campagne de vaccination se poursuit au rythme actuel. La semaine dernière, le ministère de la Santé a annoncé qu’en raison de la pénurie de vaccins et des retards de livraison des doses, la vaccination des populations prioritaires s’achèverait en septembre. Elle était initialement prévue en mai.

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    « Le Brésil a réussi plusieurs campagnes de vaccination, mais nous avons l’impression que les centres logistiques et de recherche que nous possédons sont mal utilisés », estime Natercia Santa Cruz, responsable technique en radiologie à l’hôpital Beneficência Portuguesa de São Caetano do Sul, dans l’État de São Paulo.

    Le manque de planification de la part du gouvernement a contraint les États et les municipalités à élaborer leurs propres programmes de vaccination et à gérer l’achat des vaccins nécessaires, au risque d’accroître l’attente pour les pans les plus vulnérables de la population.

    Selon Sofia Mendonça, médecin spécialiste en santé publique et coordinatrice du projet Xingu de l’université fédérale de São Paulo, environ 70 % des indigènes du pays ont reçu la première dose du vaccin contre la COVID-19. Néanmoins, seuls 50 % sont totalement vaccinés, alors qu’ils sont considérés comme prioritaires.

    En général, le PNI dispense des soins efficaces aux habitants de la région de Xingu, une zone traversée par le fleuve Xingu, qui coule dans les États amazoniens de Pará et du Mato Grosso. Mais, le manque de planification relatif à l’acheminement des vaccins contre la COVID-19 dans la région et la propagation d’informations erronées à leurs sujets, entre autres, ont changé la donne.

    « Si les autorités et les coordinateurs étaient réellement impliqués et responsables de l’acheminement des vaccins dans les villages, et qu’ils accordaient de l’importance aux vaccins, la situation serait différente », indique-t-elle.

    Ce manque de planification a également conduit à la rupture complète du système de soins de Manaus. Klinger Falcão, infirmier à domicile, s’occupait de six patients lorsque l’un d’eux a été testé positif à la COVID-19. Inquiet pour cette dame âgée de 72 ans qui souffrait déjà de problèmes de santé, il a appelé l’hôpital couvert par sa mutuelle pour savoir si un lit en réanimation était disponible. L’hôpital l’a informé que cela serait bientôt le cas, mais qu’il était confronté à une pénurie d’oxygène, comme tous les hôpitaux de la ville et des municipalités voisines.

    La famille a décidé qu’il serait mieux pour la patiente qu’elle reste chez elle. L’infirmier a fait tout son possible pour qu’elle se sente bien, fabriquant même un appareil respiratoire de fortune avec une bouteille en plastique de deux litres et un respirateur artificiel pour soulager sa douleur. « Je savais que cela ne suffirait pas. Mais vous n’avez pas d’autre choix lorsque vous voyez quelqu’un dans cette situation. Je ne pouvais rien faire d’autre, à part faire en sorte qu’elle se sente bien pour qu’elle n’ait pas trop à souffrir lorsqu’elle ne parvenait pas à respirer », confie-t-il.

    Au total, 31 personnes sont décédées à Manaus les 14 et 15 janvier derniers lors de la pénurie d’oxygène. Désormais, la plupart des villes brésiliennes sont confrontées à une pénurie de kits d’intubation. Marcelo Queiroga, le nouveau ministre de la Santé, a indiqué que l’Organisation panaméricaine de la Santé aiderait le gouvernement à en acheter davantage. De son côté, le gouvernement espagnol a déclaré qu’il ferait don de kits fin avril.

    Qualifiant la COVID-19 de « grippette », le président Jair Bolsonaro participe lui à de grands rassemblements sans masque. Il a également fait la promotion de médicaments comme l’hydroxychloroquine, considérée comme dangereuse pour les personnes atteintes de la COVID-19 et dont l’utilisation comme traitement contre le virus a été écartée. Ses déclarations, notamment celle dans laquelle il affirmait que le vaccin contre le coronavirus transformait les humains en alligators, ont donné naissance à un mouvement anti-vaccins particulièrement véhément. Elles ont aussi alimenté les manifestations sans masque. Ce comportement, qui porte préjudice au travail entrepris par les autres gouvernements et les professionnels de santé du pays, fait douter un grand nombre de personnes quant à l’existence du virus et l’importance du vaccin.

    « Tout ne dépend pas uniquement du vaccin. Cela dépend aussi des autres mesures de prévention », explique Sofia Mendonça en faisant référence au port du masque, au lavage des mains et à la distanciation sociale. « Pour que la campagne de vaccination soit une réussite, les citoyens doivent suivre ces mesures ».

    Pour l’heure, le refus des hauts dirigeants du pays de changer d’approche ou de trouver une solution met le Brésil dans une posture délicate. Les États, les municipalités et les professionnels de santé font de leur mieux, mais sans plan national, c’est chacun pour soi.

     

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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