Ces fossiles de chauves-souris préhistoriques sont les plus anciens jamais découverts

La découverte d'une nouvelle espèce de chauves-souris préhistoriques vieille de 52 millions d'années pose de nouvelles questions sur les origines génétiques de ces petits mammifères, et sur leur capacité à utiliser l'écholocalisation.

De Jay Bennett
Publication 13 avr. 2023, 17:15 CEST
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Squelette de la nouvelle espèce de chauve-souris, Icaronycteris gunnelli, découvert sur un site du sud-ouest du Wyoming et désormais conservé au Musée royal de l'Ontario à Toronto.

PHOTOGRAPHIE DE Royal Ontario Museum

Les plus anciens squelettes de chauves-souris au monde ont été identifiés comme appartenant à une nouvelle espèce, une aide précieuse pour les scientifiques qui cherchent à compléter les archives fossiles incomplètes de ces mammifères et leur évolution. Les squelettes ont été retrouvés dans le lit d’un ancien lac du sud-ouest de l’État du Wyoming, un site qui abrite tout un écosystème lacustre subtropical et la forêt environnante, qui datent tous deux d’il y a environ 52 millions d’années.

La chauve-souris, baptisée Icaronycteris gunnelli, ne pesait que 25 grammes environ. L’évolution lui avait déjà conféré la capacité de voler, et probablement celle d’utiliser l’écholocalisation. Elle vivait sans doute dans les arbres qui entouraient le lac, et survolait l’eau pour chasser les insectes, explique Tim Rietbergen, biologiste évolutionniste au Naturalis Biodiversity Center aux Pays-Bas et auteur principal de l’étude qui a décrit l’espèce, publiée dans la revue PLOS ONE.

Aujourd’hui, les chauves-souris comptent parmi les animaux les plus prospères : avec plus de 1 400 espèces, elles représentent un cinquième de toutes les espèces de mammifères de la planète. On les retrouve sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, et elles sont souvent essentielles à la stabilité écologique de leur milieu grâce aux fonctions clés qu’elles assurent, telles que la pollinisation, la dispersion des graines et le contrôle des populations d’insectes.

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Des escaliers mènent à la roche préservée d'un ancien lit de lac au Fossil Butte National Monument du Wyoming. Les fossiles de chauve-souris décrits récemment ont été découverts tout près de ce parc, sur un terrain privé.

PHOTOGRAPHIE DE National Park Service

Malgré leur omniprésence, les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre sur les origines des chauves-souris. Les squelettes de Fossil Lake, nom donné au site sur lequel ils ont été retrouvés, datent du début de l’Éocène. Les températures mondiales étaient en hausse à cette époque, et les mammifères, les insectes et les plantes à fleurs se répandaient et se diversifiaient rapidement. Ces spécimens présentent une ressemblance remarquable avec les chauves-souris modernes, notamment du fait de leurs doigts allongés, destinés à tenir les membranes des ailes.

« On pense que les chauves-souris descendent de petits mammifères insectivores et probablement arboricoles », explique Matthew Jones, paléontologue à l’Université d’État d’Arizona et co-auteur de l’étude. « Mais ces animaux sont nombreux », et nous ne savons pas lesquels peuvent être apparentés aux chauves-souris. « La plupart d’entre eux ne sont connus que par les quelques dents et fragments de mâchoires que nous avons retrouvés. »

Après leur apparition dans les archives fossiles, les chauves-souris se sont rapidement répandues dans le monde entier. À ce jour, les dents et les os de mâchoire les plus anciens jamais découverts datent d’environ 55 millions d’années. Des spécimens incomplets provenant du Portugal et de Chine précèdent de quelques millions d’années les squelettes décrits dans le nouvel article. Les scientifiques ne savent pas dans quelle région du monde les chauves-souris sont apparues pour la première fois, mais il est probable que ce soit en Europe, en Asie ou en Amérique du Nord, après quoi elles se seraient répandues dans l’hémisphère sud.

« C’est une sorte de mystère », affirme Alexa Sadier, biologiste de l’évolution à l’Université de Californie à Los Angeles, qui n’était pas impliquée dans la nouvelle étude. « Nous ne disposons pas de formes transitionnelles. »

 

« VRAIMENT INATTENDU ET VRAIMENT ÉTRANGE »

La première fois que Rietbergen a vu l’un des squelettes d’Icaronycteris gunnelli, c’était sur Facebook, en 2017. « Je me suis fait la remarque qu’ils étaient un peu différents », se rappelle-t-il.

Après avoir demandé quelques mesures du fossile, qui avait été trouvé dans une carrière privée et était mis en vente, il a contacté Nancy Simmons, spécialiste des chauves-souris à l’American Museum of Natural History (AMNH). Cette dernière a confirmé la théorie du biologiste : il s’agissait bel et bien d’une nouvelle espèce. L’AMNH a acheté le fossile pour l’ajouter à ses collections.

En plus d’analyser ce nouveau fossile, l’équipe de recherche a réexaminé des squelettes de chauves-souris déjà enregistrés dans des collections muséales. Ils ont ainsi trouvé un autre fossile d’Icaronycteris gunnelli qui avait été acquis par le Musée royal de l’Ontario en 2002 et qui avait été relié à l’espèce apparentée Icaronycteris index.

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    Gauche: Supérieur:

    Une raie mâle, Asterotrygon maloneyi, provenant de Fossil Lake dans le Wyoming. L'ancien lac abritait un écosystème florissant de poissons et d'autres formes de vie aquatique, et la forêt environnante était peuplée d'insectes, de reptiles, de mammifères et d'oiseaux.

    Droite: Fond:

    Ancienne fronde de palmier provenant de Fossil Lake. La présence de palmiers indique qu'il y a 52 millions d'années, la région avait un climat beaucoup plus chaud et humide, semblable à la côte du Golfe des États-Unis aujourd'hui. Le spécimen mesure environ 2 mètres de long et est exposé au Mesalands Dinosaur Museum, au Nouveau-Mexique.

    Photographies de National Park Service

    Les deux squelettes ressemblent aux chauves-souris modernes, mais présentent des différences subtiles. « L’une des caractéristiques qui m’ont le plus frappé, c’est la robustesse des os, tout particulièrement ceux des membres postérieurs », révèle Rietbergen.

    La plupart des chauves-souris actuelles ont des os fins et légers qui les rendent plus aptes au vol. Les membres plus épais d’Icaronycteris gunnelli pourraient indiquer que l’espèce avait conservé certaines caractéristiques de ses prédécesseurs évolutifs, telles que des pattes plus fortes pour grimper aux arbres.

    Elle possédait également une griffe sur son index et sur son pouce, alors que la plupart des chauves-souris modernes n’en ont que sur leur pouce, qui leur permet de s’accrocher pendant leur sommeil : un autre indice que cette espèce pourrait représenter les dernières phases de la transition de l’animal, passé de grimpeur à spécialiste du vol.

    Les choses se compliquent avec le cas d’une espèce de chauve-souris plus grande, appartenant à un genre différent, qui vivait également à Fossil Lake à la même époque : Onychonycteris finneyi. Cette dernière présentait une griffe à chaque doigt et des ailes relativement courtes, ce qui suggère qu’elle se déplaçait en grimpant, mais aussi en battant des ailes. D’après la taille et la forme de son oreille interne, Onychonycteris finneyi ne pouvait probablement pas écholocaliser, contrairement à Icaronycteris gunnelli et Icaronycteris index. Les scientifiques pensaient que Onychonycteris finneyi constituait la preuve que le vol était arrivé avant l’écholocalisation dans l’évolution des chauves-souris.

    Une analyse des relations évolutives entre ces trois espèces, ainsi que d’autres chauves-souris fossiles et vivantes, a toutefois révélé qu’Icaronycteris gunnelli et Icaronycteris index sont plus étroitement liées à Onychonycteris finneyi qu’aux autres espèces dotées d’écholocalisation. C’est « vraiment inattendu et vraiment étrange », confie Jones.

    « Nous avons dans nos archives fossiles une chauve-souris qui n’écholocalise pas, mais dont les parents les plus proches sont des espèces qui, elles, peuvent écholocaliser. » Le paléontologue note cependant que la même situation peut être observée chez les renards volants (du genre Pteropus), un groupe de grandes chauves-souris frugivores qui n’utilisent pas l’écholocalisation, mais qui sont très proches d’un groupe qui en est capable. « Il est possible que l’écholocalisation ait plusieurs origines, ou que des chauves-souris encore plus anciennes aient perdu leur écholocalisation, ce qui est vraiment, vraiment bizarre. »

     

    DES DÉCOUVERTES ÉTONNANTES

    Il est rare de trouver des squelettes complets de chauves-souris datant de l’Éocène ; Fossil Lake est l’un des seuls endroits où des spécimens ont été découverts. En effet, les forêts chaudes et humides dans lesquelles vivaient les chauves-souris étaient des environnements peu propices à la conservation de leurs petits os. Ce n’est que lorsqu’elles étaient rapidement enterrées (lorsqu’elles coulaient au fond d’un lac profond, par exemple) que leurs squelettes entiers pouvaient être préservés.

    Quelques millions d’années après l’apparition des chauves-souris dans le sud-ouest du Wyoming, plusieurs espèces vivaient près d’un écosystème lacustre similaire en Allemagne. Ces individus ressemblaient encore plus aux espèces modernes.

    Selon les scientifiques, ce sont des avantages tels que le vol et l’écholocalisation qui auraient permis aux chauves-souris de se répandre et de se diversifier aussi rapidement. Il est possible qu’elles se soient adaptées à la vie nocturne pour éviter la concurrence ou la prédation des oiseaux, mais nous ne savons pas encore quand a eu lieu cette transition.

    La recherche génétique n’a pas permis d’identifier les ancêtres directs des chauves-souris. Les études ADN ont révélé qu’elles appartenaient à un super-ordre de mammifères appelé Laurasiatheria, qui comprend d’autres insectivores tels que les poules et les taupes, mais aussi des animaux qui semblent n’avoir aucun lien avec les chauves-souris. On trouve par exemple les baleines, les ongulés comme les chevaux, les rhinocéros et les hippopotames, et l’ordre des Carnivores, qui comprend notamment les chats, les chiens et les ours. Étonnamment, tous ces animaux sont plus étroitement liés aux chauves-souris que les rongeurs.

    « Si l’on examine l’ADN, on constate que les animaux ongulés sont leurs parents les plus proches, ce qui est dingue », révèle Rietbergen.

    Les scientifiques espèrent trouver d’autres squelettes pour combler les lacunes dans leurs connaissances, et peut-être même identifier l’ancêtre immédiat des chauves-souris.

    « Plus nous en trouverons, mieux nous comprendrons combien d’espèces de chauves-souris existaient à cette époque, si elles étaient très différentes, et si elles étaient très diversifiées », explique Sadier. Et peut-être qu’en cherchant plus loin dans le temps, nous trouverons même les « formes transitionnelles que nous espérons tous trouver un jour ».

    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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