Chicxulub, l'astéroïde qui a précipité l'extinction des dinosaures
La découverte de poissons fossilisés dans le Dakota du Nord renforce l'idée selon laquelle l'astéroïde aurait frappé la Terre au pire endroit et au pire moment possible.
Il y a 66 millions d'années, suite à l'impact d'un astéroïde de dix kilomètres d'envergure, de puissants séismes ont secoué une rivière dans l'actuel Dakota du Nord et ensseveli un groupe de poissons préhistoriques. À en croire les preuves conservées par ces poissons au fil des âges, l'impact aurait eu lieu pendant le printemps de l'hémisphère Nord.
L'impact qui a mis fin à l'âge des dinosaures il y a 66 millions d'années a fait vivre à la vie sur Terre le jour le plus funeste de son histoire. Lorsque Chicxulub, un astéroïde de dix kilomètres de diamètre au bas mot, s'est écrasé au large de l'actuel Mexique, il a déclenché une série d'événements qui a entraîné l'extinction de plus de 75 % des espèces occupant la planète à l'époque.
Des séismes d'une violence inouïe ont ébranlé la surface de notre planète. Des tsunamis dépassant les 50 mètres de hauteur ont balayé les rivages de l'Amérique du Nord. La chaleur écrasante dégagée par l'impact de l'astéroïde et la déferlante de débris ont déclenché des incendies à plusieurs milliers de kilomètres à la ronde.
Des centaines de sites à travers le monde portent encore les stigmates de ce cataclysme, mais sur l'un d'entre eux dans le Dakota du Nord, un fossile de poisson mort dans l'heure qui aurait suivi l'impact détient une information capitale : ce coup du sort aurait frappé la vie sur Terre par une triste journée de printemps.
Le profil de croissance des os fossilisés du poisson suggère un décès survenu dans le sillage d'une poussée de croissance induite par une abondance de nourriture, ce qui coïncide avec une mort au printemps. Ces résultats ont fait l'objet d'une étude publiée dans la revue Nature et renforcent l'idée selon laquelle l'astéroïde Chicxulub aurait percuté la Terre selon un véritable scénario catastrophe.
Dans le sillage de ce premier fléau, la vie a dû affronter un terrible « hiver nucléaire » qui a persisté pendant des mois, voire des années, et constitue la phase la plus meurtrière de l'extinction. Un nuage de gaz et de particules s'est installé à haute altitude en privant la surface de Soleil, ce qui a entraîné une chute des températures de 28 °C en moyenne, de quoi mettre à genou l'ensemble des écosystèmes du Mésozoïque.
Cela dit, si l'astéroïde a véritablement frappé l'hémisphère Nord au printemps, une foule de créatures n'a sans doute pas vécu assez longtemps pour vivre cette descente dans l'obscurité, le printemps étant la saison où animaux et végétaux sortent de leur hivernage pour trouver amour et nourriture. À la même période, les animaux de l'hémisphère Sud se préparaient à affronter l'automne et l'hiver, ce qui leur a possiblement donné un léger avantage dans la phase initiale du cataclysme.
« Si vous ne survivez pas à l'impact, vous ne pouvez pas tenter votre chance contre l'hiver nucléaire, » déclare Melanie During, auteure principale de l'étude et candidate au doctorat de l'université d'Uppsala en Suède. « Difficile de choisir une saison pire que le printemps. »
FIGÉS DANS LE TEMPS
L'étude est la dernière en date à examiner les remarquables fossiles du site de Tanis dans le Dakota du Nord, où esturgeons et polyodons ont été tués puis enterrés en masse. Les débris incrustés dans les branchies du poisson suggèrent un décès survenu plus ou moins dans l'heure qui a suivi l'impact. En 2019, un article du New Yorker évoquait le site et ses nombreux trésors fossilisés qui attendent encore de faire l'objet d'une publication scientifique.
Portant le nom de l'antique cité perdue égyptienne, le site de Tanis se trouve sur les terres privées d'un ranch au creux d'un petit affleurement de la vaste formation de Hell Creek, une série de strates rocheuses témoin des centaines de milliers d'années menant à la disparition des dinosaures. En 2017, alors que During était encore étudiant de second cycle à l'université libre d'Amsterdam, il s'est rendu à Tanis en compagnie de Jan Smit, paléontologue de la même université, et Robert DePalma, paléontologue et directeur des fouilles sur le site.
Selon Smit, il y a 66 millions d'années cette région nord-américaine était une vallée fluviale enfouie à plus de dix mètres de profondeur sous les plaines inondables environnantes. Suite à l'impact de Chicxulub, de violents séismes ont parcouru la croûte continentale pour atteindre Tanis 15 à 30 minutes plus tard. En chemin, les secousses ont généré des vagues qui ont remonté le fleuve depuis une mer intérieure et rapidement enseveli tout ce qui se trouvait dans l'eau à ce moment-là dans les environs du site.
Pendant ce temps, les débris soulevés par l'impact se sont élevés dans l'atmosphère où ils ont fusionné pour former de petites larmes de verre. Ces particules appelées tectites ont amorcé leur descente quinze minutes après l'impact. Sur le site de Tanis, les sédiments ont remarquablement conservé les cheminées creusées par la retombée des tectites. Ces fragments de roche fondue apparaissent dans les branchies des poissons, mais pas dans leur système digestif, ce qui implique que les poissons étaient morts lorsque les tectites ont commencé à pleuvoir dans le fleuve.
Les preuves de cette hécatombe se retrouvent partout sur le site. Dans une couche de sédiment, les poissons sont tous orientés vers la gauche ; dans la suivante, ils sont tous orientés vers la droite, comme s'ils avaient été ballottés puis enterrés par une succession de vagues montantes et descendantes. « Je compare souvent la situation à un énorme carambolage, figé sur place, » illustre During.
ARÊTES PRÉHISTORIQUES
During et Smit sont rentrés aux Pays-Bas avec divers esturgeons et poissons-spatules récupérés sur le site de Tanis. Ils ont ensuite procédé à l'analyse de leurs squelettes. Chez ces poissons, certains os poussent en couches successives, comme les anneaux d'un arbre. En analysant ces couches, l'objectif de l'équipe était de déterminer la saison à laquelle les poissons avaient trouvé la mort.
L'alimentation par filtration des spatulaires conserve l'évolution des propriétés chimiques de leurs aliments. Le plancton photosynthétique dont ils se nourrissent est plus productif au printemps et à l'été qu'à l'automne ou à l'hiver. Lors de ces pics de productivité, le plancton enregistre également une augmentation de sa teneur en carbone 13, un isotope du carbone légèrement plus lourd que le carbone 12, la version la plus répandue.
En analysant la composition chimique des différentes strates osseuses d'un poisson-spatule, During et son équipe ont déterminé que lors de sa mort, la quantité de carbone 13 était à la hausse mais n'avait pas encore atteint son maximum, premier signe d'une disparition au printemps.
Les chercheurs ont également analysé le profil de croissance osseuse à l'aide de l'Installation Européenne de Rayonnement Synchrotron, basée à Grenoble. Grâce à cet instrument capable de produire des rayons X cent milliards de fois plus brillants que les rayons traditionnels, During et ses collègues ont pu scanner les os du poisson avec un seul objectif en tête : analyser en détail l'évolution de leur microstructure au fil des saisons.
Au printemps et à l'été, lorsque la nourriture est abondante, le poisson connaît une croissance rapide, l'os généré pendant ces périodes est donc plus poreux et spongieux. À l'inverse, à l'automne et en hiver, lorsque la nourriture se fait plus rare, la croissance du poisson ralentit et produit des stries osseuses compactes appelées « lignes d'arrêt de croissance » ou lignes de Harris. L'équipe de During a mesuré cette évolution de l'intérieur des os à leur couche extérieure la plus jeune. Résultat : à la mort des poissons, leur rythme de croissance augmentait mais n'avait pas atteint son maximum, nouveau signe d'un décès printanier.
Avec deux axes de preuve pointant dans la même direction, les chercheurs voient leurs doutes se dissiper quant à leurs conclusions. « C'est pourquoi je pense que notre étude fait un travail exceptionnel en ciblant une seule saison, » déclare Dennis Voeten, coauteur de l'étude et chercheur à l'université d'Uppsala.
NORD ET SUD
Cette nouvelle étude sur les poissons de Tanis n'est pas la seule du genre : en décembre 2021, sous la direction du paléontologue Robert DePalma, une autre équipe a publié son analyse de la saison immortalisée à Tanis dans la revue Scientific Reports. Les deux articles s'appuient sur des fossiles différents et emploient des techniques distinctes, mais ils tirent des conclusions similaires. D'après DePalma et son équipe, Chixculub aurait percuté la Terre au printemps ou à l'été, alors que During cible plus particulièrement le printemps.
« Nous saluons le travail de recherche et les analyses indépendantes ; nous sommes ravis de voir ces projets se compléter pour enrichir notre compréhension du monde préhistorique, » déclarait par e-mail DePalma, professeur au sein de la Florida Atlantic University et candidat au doctorat de l'université de Manchester.
Les auteurs de la nouvelle étude espèrent que ces données viendront alimenter d'autres analyses du déroulement de l'extinction massive qui a marqué la fin du Crétacé. Ainsi, à en croire certains signes timides décelés au sud de l'équateur, il semblerait que l'hémisphère Sud se soit rétabli deux fois plus rapidement que l'hémisphère Nord dans le sillage de la catastrophe. Quel rôle a bien pu jouer la saison de l'impact dans ce phénomène ?
Contrairement à l'hémisphère Nord où les fouilles sont très répandues, la chronique fossile de l'hémisphère Sud pourrait encore nous cacher bien des secrets. « Je pense qu'on pourrait y trouver un réel trésor, si nous parvenons à diriger plus de financements vers les pays qui manquent de données, » déclare Durin. « La lacune est énorme. »
Pour Kirk Johnson, directeur du musée national d'histoire naturelle des États-Unis, même si les poissons de Tanis présentent indiscutablement une évolution saisonnière, à cette époque les variations entre les saisons étaient bien moins radicales. Il y a 66 millions d'années, la Terre ne possédait pas de calotte glaciaire permanente et les forêts de feuillus s'étalaient jusqu'aux pôles. C'est pourquoi il s'interroge quant à l'existence d'un avantage pour la faune et la flore de l'hémisphère Sud dans la survie aux conséquences immédiates de la collision.
« Lorsque la bombe tombe, mieux vaut être dans son abri plutôt que dehors en train de réparer le toit, c'est un peu le principe, » résume Johnson, paléontologue spécialiste de la formation de Hell Creek. « À mes yeux, ceux qui reprennent cet argument oublient à quel point la saisonnalité était faible durant le Crétacé — c'était donc moins important, mais ça l'était sans doute un peu quand même. »
Johnson ajoute que de futures études pourraient mettre cette idée au banc d'essais. Avec Tanis pour référence, Johnson et les autres s'efforcent actuellement de réexaminer d'autres sites de la formation de Hell Creek à la recherche de dépôts similaires qui auraient eux aussi préservé dans ses moindres détails le jour où les dinosaures se sont éteints.
« Nous ne pouvons que nous réjouir de la découverte de Tanis, car ce site est différent, » conclut Johnson. « Il a ouvert une nouvelle fenêtre que personne n'avait envisagée. »
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.