Comment expliquer que de parfaits inconnus puissent être des sosies ?

Les scientifiques ont découvert des similarités génétiques qui seraient responsables de la ressemblance frappante qui peut exister entre deux personnes sans lien de parenté.

De Allegra Rosenberg
Publication 4 nov. 2024, 16:42 CET

Portrait réalisé dans le cadre du projet « I’m not a look-alike! » (Je ne suis pas un sosie !), qui permet aux chercheurs d’étudier les raisons pour lesquelles deux parfaits inconnus affichent une ressemblance frappante.

PHOTOGRAPHIE DE François Brunelle, @francoisbrunelle.doubles

Des milliers de personnes se sont réunies le dimanche 27 octobre dernier à Washington Square Park, à New York, pour participer à un concours de sosies de Timothée Chalamet. Les nombreuses vidéos sur les réseaux sociaux ont montré que celui-ci s’était terminé dans le chaos après l’apparition de l’acteur lui-même et l’intervention de la police. Quant aux résultats du concours, ils ont également fait débat.

Pourquoi autant de gens ressemblent-ils à l’acteur Timothée Chalamet ? Selon certaines études, ses sosies les plus convaincants partageraient les mêmes traits génétiques que lui, bien qu’ils n’aient aucun lien de parenté. Les scientifiques ont ainsi découvert que nous pourrions tous avoir un sosie.

Il est certes bien beau de ressembler à l’acteur des films Dune et Wonka, mais ses doubles ont-ils la même présence sur scène et le même flegme ?

Âgé de 18 ans, Dempsey Bobbitt a participé au concours de sosie de Timothée Chalamet le 27 octobre 2024 à New York, comme des dizaines d’autres personnes.

PHOTOGRAPHIE DE Jeenah Moon pour le Washington Post via Getty Images

Manel Esteller, généticien moléculaire à l’Institut de recherche des leucémies Carreras, situé en Espagne, a analysé les similarités génétiques de sosies ayant pris part au fascinant projet du photographe franco-canadien François Brunelle, intitulé « I’m not a look-alike! » (Je ne suis pas un sosie !), qui existe depuis 1999.

« Il est plutôt rare que les artistes reçoivent des appels de la part de scientifiques ; il m’a pris pour un fou », se souvient le généticien. Le photographe a mis en relation Manel Esteller avec les « jumeaux étrangers » du monde entier qui apparaissent sur ses photographies, qui ont envoyé aux chercheurs des prélèvements génétiques par écouvillon buccal. Le généticien moléculaire et son équipe ont ensuite passé quatre ans à collecter et corréler les données génétiques, avant de publier leurs résultats en 2022.

Dans un premier temps, ils ont identifié quels sosies se ressemblaient le plus.

« Ce processus était très objectif, explique Manel Esteller. Nous avons appliqué trois algorithmes faciaux, les mêmes que ceux utilisés par la police et dans les aéroports, aux personnes photographiées » afin de sélectionner celles qui étaient impossibles à différencier de manière algorithmique de leurs « jumeaux » pour la suite de l’étude.

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    Portraits réalisés dans le cadre du projet « I’m not a look-alike! » (Je ne suis pas un sosie !), qui permet aux chercheurs d’étudier les raisons pour lesquelles deux parfaits inconnus affichent une ressemblance frappante.

    Droite: Fond:

    Portraits réalisés dans le cadre du projet « I’m not a look-alike! » (Je ne suis pas un sosie !), qui permet aux chercheurs d’étudier les raisons pour lesquelles deux parfaits inconnus affichent une ressemblance frappante.

    Photographies de François Brunelle, @francoisbrunelle.doubles

    Les génomes de cette sélection de sosies ont été comparés directement, tout comme leurs épigénomes (les changements chimiques de l’ADN qui affectent la manière dont celui-ci est exprimé) et leurs microbiomes.

    Manel Esteller a alors conclu que, bien que leurs épigénomes et microbiomes soient totalement différents, les sosies qui n’ont aucun lien de parenté partagent en fait des parties distinctes de leur constitution génétique. D’après lui, les séquences génétiques qui contrôlent des caractéristiques comme la structure osseuse, la pigmentation de la peau et la rétention d’eau, affectent toutes l’apparence de notre visage. Pour ce qui est du génome humain, ces séquences incluent les sites polymorphes, au niveau desquels une seule paire de bases d’ADN présente différents variants parmi la population. Et il s’avère que les sosies présentent les mêmes variations.

    Des comparaisons génétiques ont permis de s’assurer que les sosies étudiés n’avaient aucun lien de parenté et que leurs ressemblances physiques et génomiques n’étaient dues qu’au hasard. Pour Manel Esteller, de nombreux paramètres entrent en action pour créer un visage humain.

    « Nous sommes tellement nombreux sur la planète qu’il est inévitable que certaines personnes partagent de plus en plus de variants [génétiques] », explique-t-il.

    En prouvant que les personnes qui se ressemblent partagent certains gènes, le généticien espère faire avancer la science du diagnostic en utilisant la reconnaissance faciale pour dépister plus tôt les maladies génétiques rares chez l’enfant.

     

    LES BASES GÉNÉTIQUES DE LA PERSONNALITÉ

    Le projet photographique de François Brunelle a aussi servi de base à l’étude scientifique de Nancy Segal, professeure de psychologie à l’université de Californie à Fullerton, où elle est directrice et fondatrice du Twin Study Center (Centre d’études des jumeaux). La chercheuse se spécialise d’ordinaire principalement sur les jumeaux, mais a trouvé en le projet du photographe une occasion de régler un important débat scientifique.

    « Certains [scientifiques] pensent que les jumeaux ont des personnalités assez similaires parce qu’ils sont traités de la même manière en raison de leur ressemblance, et non pas parce qu’ils ont des gènes en commun », explique Nancy Segal. Si cela est vrai, « les personnes qui se ressemblent alors qu’elles n’ont aucun lien de parenté devraient avoir une personnalité aussi similaire que des jumeaux qui n’ont pas été élevés ensemble ».

    La chercheuse a donc recruté des sosies photographiés par François Brunelle, ainsi que d’autres qu’elle a rencontrés dans la vraie vie, que ce soit à l’université ou lors de conférences, et leur a demandé de remplir un questionnaire de personnalité qui mesurait l’ouverture d’esprit, la conscience, l’extraversion, l’agréabilité et le névrosisme (connus comme les « Big Fives de la personnalité »). Les scores obtenus ont été comparés aux différents groupes de jumeaux, y compris ceux élevés séparément.

    À sa grande satisfaction, Nancy Segal a constaté que les sosies n’avaient aucune chance de partager des traits de personnalité comparé aux jumeaux.

    Les sosies ne se ressemblaient également pas lorsque la scientifique a mesuré leur estime de soi. « Ils sont très, très différents », conclut-elle.

     

    UNE FASCINATION POUR LA RESSEMBLANCE

    Si Nancy Segal a démontré que les sosies avaient des personnalités bien plus différentes que les jumeaux, l’étude de Manel Esteller sur les « jumeaux étrangers » a révélé que ces derniers partageaient bien plus qu’une ressemblance physique. Grâce aux gènes qui contrôlent la longueur de leurs os, ils pourraient ainsi avoir des démarches semblables.

    « Si l’un est un fumeur, il a des chances pour que l’autre le soit aussi » et inversement, confie le généticien moléculaire, qui explique ce phénomène par le fait que les personnalités addictives sont un trait génétique, au même titre que la préférence manuelle ou la myopie.

    Un sosie de Timothée Chalamet peut ainsi ressembler à l’acteur par sa démarche et sa voix, sans pour autant avoir son talent et son charisme.

    Si vous faites partie des gens qui aimeraient trouver leur sosie, Nancy Segel et Manel Esteller vous conseillent de vous rendre sur des plateformes en ligne comme twinstrangers.net et /r/Doppelgangers de Reddit. Nancy Segel met toutefois en garde : « De nombreuses personnes vont être déçues, car ce n’est pas parce que quelqu’un vous ressemble qu’il est comme vous ».

    Bien qu’ils se soient rencontrés lors des séances photo de François Brunelle, les sosies qui ont participé aux études de Nancy Segel et Manel Esteller l’ont fait à distance, et leurs relations n’ont pas été étudiées.

    Mais les humains ont tendance en général à être attirés par les personnes qui leur ressemblent. « Cela nous dit de la nature humaine que nous éprouvons tous un besoin de similarité, observe la professeure de psychologie. Nous cherchons tous quelque chose qui nous ressemble. Lorsque des enfants ont des amis imaginaires, ils leur ressemblent toujours ».

    Manel Esteller a ainsi appris que deux des sosies photographiés par François Brunelle s’étaient mariés.

    À défaut d’avoir remporté le prix de 50 dollars offert par l’organisateur du concours, certains des sosies de Timothée Chalamet ont peut-être gagné quelque chose de plus précieux encore : des amis.

    Cet article a initialement paru en langue anglaise sur le site nationalgeographic.com.

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