Comment le coronavirus affecte le cœur

De nombreux patients souffrent de palpitations, de douleurs à la poitrine et d'essoufflement une fois guéris de la COVID-19, mais de nouvelles études laissent entrevoir une lueur d'espoir.

De Amy McKeever
Publication 8 déc. 2021, 10:32 CET
Covid-19 Heart

Cette radiographie du thorax montre le cœur d'une femme de 74 ans atteinte de la COVID-19. Chez certains patients, les symptômes cardiovasculaires se poursuivent plusieurs mois après la guérison, même lorsque les radiographies et autres tests semblent normaux.

PHOTOGRAPHIE DE P. Marazzi, Science Source

Danielle Huff était en pleine séance de sport lorsqu'elle a ressenti pour la première fois la douleur dans la poitrine. Deux ou trois semaines plus tôt, elle s'était remise d'une forme grave de la COVID-19 qui lui avait infligé tous les symptômes imaginables : mal de gorge, migraine, congestion, toux, perte d'odorat, douleurs musculaires, une légère conjonctivite et une sensation permanente de lourdeur dans la poitrine comme si une boule de bowling la tirait vers le bas.

Cette fois, la sensation dans sa poitrine était différente, une douleur plus aiguë et soudaine. Consciente des antécédents de problèmes cardiaques dans sa famille, cette directrice d'école âgée d'une trentaine d'années a immédiatement pensé aux implications sérieuses que pouvait avoir ce symptôme. Malgré une hygiène de vie saine, pratiquant le yoga et la marche quotidienne, la peur l'a rapidement contrainte à renoncer à ces exercices.

« Je n'en étais plus capable, » raconte-t-elle. « J'avais peur de cette douleur à la poitrine parce que je ne savais pas ce que c'était. » Son médecin a fini par la diriger vers un cardiologue spécialisé dans le traitement des patients guéris de la COVID-19 mais souffrant toujours de symptômes cardiaques.

Depuis les premiers mois de la pandémie, les scientifiques soupçonnent que la COVID-19 n'affecte pas uniquement les poumons, mais également le cœur et les vaisseaux sanguins. « Nous avons compris très tôt que la coagulation jouait un rôle majeur, » déclare Jeffrey Berger, directeur du Centre de prévention des maladies cardiovasculaires rattaché au NYU Langone Health. En mars 2020, les médecins observaient déjà chez leurs patients des taux anormalement élevés de caillots sanguins, entraînant une augmentation du nombre de crises cardiaques et d'attaques cérébrales. Les autopsies avaient par ailleurs révélé des masses de petits caillots sanguins à des endroits inhabituels d'après les médecins, comme le foie ou les reins.

Il apparaît clairement désormais que les problèmes cardiovasculaires ne se résorbent pas lorsque le patient guérit de l'infection initiale. Pour certains d'entre eux, les scanners montrent des signes d'inflammation plusieurs mois après l'élimination du virus. D'autres continuent de présenter des niveaux élevés de troponines, une substance libérée dans le système sanguin en cas de dommages au muscle cardiaque.

Curieusement, la batterie d'examens cardiaques subie par Huff n'a rien révélé d'anormal. Pourtant, elle avait dû quitter un cours de yoga en raison d'un grave essoufflement et ne parvenait plus à traverser son école sans s'arrêter. Un mois après avoir guéri de la COVID-19, elle a commencé à ressentir des palpitations cardiaques de façon aléatoire.

Pour ne rien enlever au mystère, certains patients ayant connu une forme bénigne, voire asymptomatique, de la COVID-19 ont également signalé des symptômes prolongés tels que des palpitations, des douleurs à la poitrine, un essoufflement et une fatigue extrême. Les scientifiques s'interrogent encore sur leur origine.

« Pour moi, il est clair que ces individus souffrent de symptômes bien réels, » déclare James de Lemos, cardiologue au  Southwestern Medical Center de l'université du Texas et coprésident du comité des maladies cardiovasculaires liées à la COVID-19 fondé par l'American Heart Association. « La question est de savoir si le cœur subit des dégâts provoquant des symptômes que nous ne voyons pas. »

Néanmoins, l'optimisme reste de mise. Les chercheurs ont fait d'importants progrès pour comprendre comment empêcher la COVID-19 d'attaquer le cœur et les vaisseaux sanguins. Parallèlement, les médecins en apprennent plus chaque jour sur le traitement des symptômes du COVID long et des études s'intéressent actuellement aux origines de cette forme chronique de la COVID-19.

 

COVID-19 ET SYSTÈME CARDIOVASCULAIRE

Début 2020, les médecins ont rapidement compris que l'utilisation d'anticoagulants contribuait à augmenter les chances de survie des malades de la COVID-19. D'après Berger, il est également apparu que ces caillots sanguins mortels dissimulaient un problème plus grave que celui ciblé par les seuls traitements aux anticoagulants.

« Un patient sur quatre mourait ou avait besoin d'une assistance pour défaillance d'organes, » indique-t-il.

Depuis cinq à dix ans, les scientifiques commencent à cerner le rôle joué par les plaquettes dans la coagulation et l'inflammation indésirables liées à d'autres maladies comme le VIH, le psoriasis, les lupus et la polyarthrite rhumatoïde. Ces petites cellules sanguines servent un but bien précis : stopper les hémorragies en s'attachant au vaisseau sanguin endommagé pour former un caillot. Gardant cette idée en tête, Berger et son équipe de chercheurs se sont intéressés au rôle des plaquettes dans la COVID-19.

« Ce que nous avons découvert était radicalement différent de nos prévisions, » témoigne Berger. « Comme si quelqu'un avait modifié l'architecture génétique de ces plaquettes. »

Comprendre : le cœur

D'après leur étude publiée dans la revue Science Advances, le virus serait capable de s'introduire dans les mégacaryocytes, les cellules de la moelle osseuse qui produisent les plaquettes. La cellule infectée altère ensuite le matériel génétique des plaquettes de sorte que celles-ci deviennent plus actives et génèrent des signaux protéiniques accentuant la viscosité et l'inflammation des parois des vaisseaux sanguins. Cela favorise la formation de caillots dans les vaisseaux et leur propagation à l'ensemble de l'organisme.

Les scientifiques ont également appris que le virus affaiblit les connexions dans les tissus qui recouvrent les vaisseaux sanguins, ce qui nuit à leur étanchéité au lieu de la renforcer, comme l'on pourrait s'y attendre en présence de caillots.

« C'est une épée à double tranchant, » illustre Ben Maoz, ingénieur biomédical à l'université de Tel-Aviv et auteur principal d'une étude récente identifiant les protéines du SARS-CoV-2 qui infligent le plus de dégâts aux parois des vaisseaux sanguins. D'une certaine manière, poursuit-il, la COVID-19 affecte les vaisseaux sanguins « de façon double et opposée. »

La perméabilité des vaisseaux permet au sang et à d'autres substances chimiques de l'organisme de se déverser dans des endroits inappropriés, notamment les alvéoles des poumons et les tissus d'autres organes. Cela peut provoquer des conséquences en cascade, comme la présence de liquide dans les poumons observée chez de nombreux cas graves de la COVID-19 ou des complications au niveau du foie, des reins et du cœur.

« Ces choses contre lesquelles nous sommes censés être protégés font soudainement leur apparition, » déclare Maoz. Il compare les dégâts provoqués par ce phénomène à un sac de déchets troué : à travers ces trous, une partie des déchets va se déverser à nouveau dans votre foyer. Certaines conséquences, comme l'odeur et le liquide infects, seront immédiatement visibles. Mais d'autres, une invasion de rats par exemple, ne le seront pas avant plusieurs mois. L'étendue des dégâts dépendra de la sévérité de la fuite et de sa durée.

 

SYMPTÔMES POST-COVID

Le lien entre les dégâts infligés aux vaisseaux sanguins et la persistance des symptômes cardiovasculaires chez les patients guéris de la COVID-19 reste entouré de mystère. Maoz rappelle que le virus affecte l'organisme de nombreuses façons encore difficiles à démêler. Quoi qu'il en soit, les médecins continuent d'observer des signes de tissus cardiaques endommagés comme des myocardites, une inflammation du muscle cardiaque ou des niveaux élevés de troponines plusieurs mois après une hospitalisation due à la COVID-19.

D'après Berger, il n'est pas inhabituel pour un virus qui provoque une inflammation aussi sévère d'avoir des conséquences résiduelles après guérison, notamment chez les patients ayant contracté une forme modérée à sévère de la maladie avec hospitalisation. La présence de problèmes cardiaques chez des patients ayant souffert d'une forme asymptomatique, bénigne ou modérée de la maladie, y compris chez les enfants, est quant à elle plus préoccupante.

Cependant, un nombre croissant de preuves suggère que les myocardites liées à la COVID-19 sont plus rares que prévu initialement, indique de Lemos. En septembre, une étude menée aux États-Unis par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies montrait que le risque de myocardite était 16 fois plus important chez les personnes atteintes de la COVID-19 par rapport aux personnes non malades. Néanmoins, la maladie reste peu fréquente pour les deux populations et le risque de myocardite induite par la COVID-19 ne dépasse pas les 0,146 %, pouvait-on lire en conclusion de l'étude. De Lemos ajoute que l'infection guérit en l'espace de quelques mois.

« La plupart de ces cœurs reprennent une apparence normale lors des examens de suivi, » témoigne-t-il.

Viennent ensuite les cas semblables à Danielle Huff. Comme en témoigne Amanda Verma, la cardiologue en charge de la directrice d'école à la clinique post-COVID de l'université de Washington à Saint Louis, certains patients se présentent avec une douleur à la poitrine mais leurs examens n'indiquent rien d'anormal. D'autres se plaignent de palpitations, mais une fois reliés à un électrocardiographe leur rythme cardiaque semble normal. D'après le Dr Verma, ces tests ne nous disent pas tout.

« En creusant un peu, on remarque que le rythme cardiaque n'est pas tout à fait normal, » explique-t-elle. Même si l'on s'attend à ce que le rythme cardiaque d'une personne augmente en marchant, il n'est pas normal que celui de patients jeunes et athlétiques passe de 60 à 120 bpm en traversant une pièce ou en dormant, comme c'était le cas pour Danielle Huff.

Cette augmentation inhabituelle suggère que la COVID-19 provoque un dysfonctionnement du système nerveux autonome, les connexions des cellules nerveuses qui contrôlent automatiquement les fonctions vitales comme la respiration et le battement du cœur, explique Verma. Cela fait partie de la réponse « combat-fuite » qui permet à votre organisme de fonctionner sans y être consciemment invité. Chez les malades du COVID long, ce système semble complètement détraqué.

« Ces patients me disent souvent qu'ils sont exténués à la fin de la journée ; effectivement, qui ne le serait pas avec un rythme cardiaque aussi élevé toute la journée ? » témoigne Verma. « C'est comme si vous aviez couru toute la journée. »

Les scientifiques doivent encore comprendre comment la COVID-19 peut bien provoquer ce type de dysfonctionnement. Certaines hypothèses suggèrent que la responsabilité incomberait à la réaction immunitaire excessive de l'organisme face au virus, d'autres l'attribuent aux hormones sexuelles, puisque les femmes sont plus susceptibles que les hommes de développer un COVID long. Dans tous les cas, cette incapacité à nommer le syndrome rend difficile l'obtention d'une couverture des traitements de la part de l'assurance maladie et demeure frustrante pour les patients confrontés à un manque de considération de leurs symptômes.

« C'est incroyablement frustrant pour les patients qui souffrent de cette maladie, car ils n'ont aucune réponse, » déclare de Lemos. « Un premier pas serait de confirmer que leurs symptômes sont bien réels. C'est une maladie réelle, mais nous ne la comprenons pas encore. »

 

LUEURS D'ESPOIR

Jour après jour, les chercheurs se rapprochent d'éventuels traitements pouvant réduire la sévérité de la COVID-19 et au bout du compte remédier aux problèmes cardiovasculaires. Berger et son équipe s'intéressent à des médicaments qui ciblent les plaquettes pour les empêcher de s'activer et de favoriser la coagulation.

Parallèlement, Maoz et son équipe ont identifié les cinq protéines qui affectent le plus le revêtement des vaisseaux sanguins. Ils testent actuellement un modèle qui permettrait aux chercheurs d'identifier les protéines qui infligent le plus de dégâts à d'autres parties de l'organisme. Cette compréhension au niveau moléculaire devrait contribuer à mettre au point des médicaments capables d'empêcher des protéines spécifiques d'attaquer les vaisseaux sanguins et de provoquer des maladies critiques.

« C'est incroyable la vitesse à laquelle nous avons su nous adapter et répondre à des questions fondamentales, » se réjouit Berger. « La science est passée à la vitesse supérieure. »

Il reconnaît toutefois que les potentiels médicaments qui empêcheraient les plaquettes de former des caillots, ou les protéines virales d'attaquer les vaisseaux sanguins, ne seraient d'aucune aide pour ceux qui souffrent déjà d'un COVID long. Il faudrait pour cela que les scientifiques parviennent à remonter aux origines de leur étrange constellation de symptômes.

Plus tôt cette année, les National Insitutes of Health des États-Unis ont lancé une initiative de recherche collaborative visant à soutenir les études de grande envergure sur les COVID-19 longs chez les enfants et les adultes. D'après le Dr Verma, les médecins spécialistes du COVID long commencent à trouver des traitements allant de la prescription d'anti-inflammatoires pour les douleurs thoraciques aux bêtabloquants visant à réduire la pression artérielle d'un patient lorsque son rythme cardiaque s'emballe. Même le sport peut être bénéfique, à condition qu'il soit surveillé et structuré de façon à ne pas exacerber la fatigue.

Certaines preuves anecdotiques suggèrent que le COVID long peut se résorber avec le temps, même si cela peut prendre 12 à 18 mois. Le Dr Verma a pu suspendre le traitement de certains de ses patients et la plupart de ceux qui n'ont pas encore totalement guéri finissent par se sentir mieux après traitement.

« Cela va-t-il affecter leur santé dans 10 ou 15 ans ? Voilà la grande question, » déclare-t-elle. « Y a-t-il eu des conséquences que nous ne voyons tout simplement pas ? »

Pour Danielle Huff, la situation s'est améliorée. Après avoir suivi un traitement pour son hypertension artérielle et son rythme cardiaque élevé, les palpitations et les essoufflements se sont estompés. Curieusement, les migraines dont elle souffrait fréquemment depuis ses 13 ans ont également disparu. Elle se refuse encore à pratiquer un sport en raison des douleurs à la poitrine, mais elle attend avec optimisme les réponses que les études actuelles et les échanges entre médecins et patients pourraient apporter à mesure qu'ils explorent ensemble les conséquences au long terme de la COVID-19.

« Il y a encore beaucoup à apprendre et je peux comprendre la frustration face à l'inconnu, » conclut-elle. « Mais j'en suis arrivée à accepter de ne pas avoir toutes les réponses tout de suite. »

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    Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.

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