Comment l'entreprise Planet a mis la Terre sous surveillance
Une entreprise américaine filme la Terre depuis l’espace 24 heures sur 24, dans le but de fournir des images à des ONG qui luttent notamment contre la déforestation. Mais aussi à des entreprises privées aux buts moins nobles.
L’entreprise américaine Planet, créée en 2013 dans la Silicon Valley, a lancé une flotte de satellites capables de capturer des images de toute la superficie de la Terre. Une surveillance discrète menée depuis l’espace, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, au profit de sociétés privées et d'ONG.
À l’origine du projet, deux chercheurs de la NASA, Will Marshall et Robbie Schingler. Ils se sont intéressés à la photographie satellitaire, notamment pour réaliser des clichés de la Terre. Leur motivation initiale était plus humanitaire que scientifique. À titre expérimental, ils ont placé des smartphones ordinaires en orbite, confirmant ainsi qu’un appareil photo relativement bon marché pouvait fonctionner dans l’espace.
« Nous nous sommes demandé ce que nous pourrions faire de ces images, se souvient Robbie Schingler. Comment les utiliser pour le bien de l’humanité ? Dressez la liste des problèmes mondiaux : la pauvreté, le logement, la malnutrition, la déforestation. Tous ces problèmes sont plus faciles à traiter si l’on dispose de données à jour sur notre planète. »
L’idée de départ était de concevoir un satellite relativement bon marché, puis de lancer la plus vaste flotte de satellites de l’histoire. Au point que l’entreprise peut désormais observer au quotidien les modifications intervenant sur la totalité de la surface de la planète. Le duo a lancé ses premiers satellites en 2013. Aujourd’hui, Planet a plus de 200 satellites en orbite, dont environ 150 sont dédiés à photographier chaque jour la moindre parcelle de terre. Planet a installé des stations terrestres qui receuillent les données satellitaires dans des lieux aussi éloignés que l’Islande et l’Antarctique.
Ses clients sont tout aussi variés. L’entreprise collabore avec l’Amazon Conservation Association pour surveiller la déforestation au Pérou et fournit à Amnesty International des images prouvant les attaques de villages rohingyas par les forces de sécurité birmanes. En avril 2017, quand les médias ont voulu obtenir des vues de la base aérienne de Shayrat, en Syrie, avant et après son bombardement par l’armée américaine (en représailles à l’attaque chimique d’une ville tenue par les rebelles), ils savaient à qui s’adresser. Ces prestations sont effectuées à titre gracieux.
Mais Planet a aussi des clients qui payent pour ses services, dont Orbital Insight, une société d’analyse géospatiale qui interprète les données des images satellitaires. Les visuels fournis par Planet permettent à Orbital Insight de suivre l’évolution de la construction de routes ou d’immeubles en Amérique du Sud, l’expansion de plantations illégales de palmiers à huile en Afrique ou les rendements agricoles en Asie.
L’équipe commerciale de Planet passe ses journées à regarder des clichés en se demandant qui ils pourraient bien intéresser. Une compagnie d’assurances désireuse d’évaluer les dégâts sur les maisons à la suite d’inondations dans le Midwest américain, par exemple. Ou un scientifique cherchant des traces d’érosion dans les glaciers de Norvège.
Mais que se passerait-il si un dictateur voulait pourchasser une armée mobile de dissidents ? C’est là que les principes éthiques de Planet entrent en jeu, car l’entreprise refuse de travailler avec un client aux motivations malveillantes. Elle ne permet pas non plus à ses clients de revendiquer un droit de propriété exclusif sur les images qu’ils achètent.
Une autre restriction importante est d’ordre technologique. La surveillance du monde exercée par Planet à une résolution de 3 m est suffisante pour discerner le contour pixellisé d’un camion, mais pas les formes d’un être humain. C’est une autre société d’imagerie satellitaire, DigitalGlobe, qui offre la meilleure résolution disponible sur le marché (30 cm). Mais pour le moment, seul Planet est capable de fournir des images quotidiennes de toute la surface terrestre.
Dans le magazine National Geographic n° 221, daté de février 2018, notre enquête sur les nouvelles technologies de surveillance.