Coronavirus : la piste de la fuite d'un laboratoire de nouveau étudiée
De nouvelles informations ont relancé l’examen de cette hypothèse. Si les experts la considèrent toujours comme improbable, elle mérite d'être étudiée.
Un agent de sécurité éloigne les journalistes de l’Institut de virologie de Wuhan après l’arrivée d’une équipe de l’Organisation mondiale de la Santé. Le 3 février 2021, les experts ont été chargés de procéder à une visite de terrain à Wuhan, dans la province du Hubei en Chine. Leur but : enquêter sur les origines de la pandémie de coronavirus.
Il y a plusieurs mois, une enquête de l’Organisation mondiale de la Santé a jugé l’hypothèse selon laquelle le nouveau coronavirus s'était échappé accidentellement d’un laboratoire à Wuhan comme « extrêmement improbable ». Pourtant aujourd’hui, cette idée fait son retour dans l’actualité, relançant l’animation autour d’un postulat que de nombreux scientifiques jugent douteux et qu'ils relaient au rang de théorie du complot.
Le président américain Joe Biden a ordonné aux agences de renseignement américaines de « redoubler d’efforts » pour enquêter sur les origines du coronavirus, d’où ce regain d’attention. Le 11 mai, Anthony Fauci, son conseiller médical en chef, a reconnu ne « pas être convaincu » que le virus se soit développé naturellement, un changement de cap par rapport à ce qu’il avait confié à National Geographic l’année dernière.
En outre, le mois dernier, plus d’une dizaine de scientifiques, notamment des épidémiologistes, des immunologistes et des biologistes qualifiés, ont rédigé une lettre publiée dans la revue Science pour appeler à l’enquête sur deux origines probables. La première, la propagation naturelle de l’animal à l’Homme. La deuxième, un accident de laboratoire au cours duquel un échantillon du SARS-CoV-2 aurait été relâché dans la nature par mégarde. Ils ont insisté pour que les deux hypothèses « soient prises au sérieux jusqu’à ce que nous disposions de données suffisantes ». Ils ont précisé qu’une enquête adéquate devrait être « transparente, objective, appuyée sur des données, impliquant de nombreux experts, soumise à une supervision indépendante » et pour laquelle les conflits d’intérêts devraient être minimisés autant que possible.
« Chaque fois qu’une épidémie de maladie infectieuse survient, il est primordial d’enquêter sur son origine », a assuré Amesh Adalja, médecin des maladies infectieuses et doctorant au Johns Hopkins University Center for Health Security. Il n’a pas participé à la lettre publiée dans Science. « L’hypothèse de la fuite de laboratoire est possible, tout comme celle d’une propagation animale... et je pense qu’une enquête approfondie et indépendante devrait être menée [pour déterminer] ses origines. »
DES QUESTIONS SANS RÉPONSES
Les origines du SARS-CoV-2, le virus responsable de la COVID-19, restent floues. Il a infecté plus de 172 millions de personnes et fait 3,7 millions de morts dans le monde au 5 juin. De nombreux scientifiques, dont ceux qui ont participé aux enquêtes de l’OMS pendant des mois, estiment que l’hypothèse la plus probable serait une origine zoonotique. Le virus se serait probablement propagé d’une chauve-souris à un Homme ou par le biais d’un hôte intermédiaire. Les transmissions de l’animal à l’Homme sont responsables de la propagation de nombreux virus. Au moins deux autres coronavirus, le SARS et le MERS-CoV, se sont répandus par transmission zoonotique.
D’autres insistent sur la nécessité d’enquêter pour savoir si le SARS-CoV-2 s’est échappé de l’Institut de virologie de Wuhan. Ce laboratoire étudie les coronavirus chez les chauves-souris depuis plus de dix ans.
L’enquête de l’OMS, menée conjointement par des scientifiques désignés par l’organisation et des responsables chinois, a conclu qu’il était « extrêmement improbable » que ce virus hautement transmissible se soit échappé d’un laboratoire. Toutefois, l’équipe de l’OMS a été confrontée à des obstacles, lesquels ont éveillé des soupçons quant à ses conclusions. Les scientifiques n’ont pas été autorisés à mener une enquête indépendante et n’ont pas eu accès aux données originales.
Le 30 mars, jour de la publication du rapport de l’OMS, le directeur général de l’organisation a réclamé des études plus poussées. « Toutes les hypothèses restent viables », avait-il déclaré à l’époque.
Le 11 mai, le Dr Fauci a confié à PolitiFact que, bien que l’origine du virus soit probablement animale, « il se pourrait que ce soit autre chose et nous devons le découvrir ».
Récemment, la divulgation de nouvelles données, rapportées pour la première fois par le Wall Street Journal, a jeté de l’huile sur le feu. Selon un rapport des services de renseignement américains, trois chercheurs de l’Institut de virologie de Wuhan sont tombés malades en novembre 2019 et ont demandé des soins hospitaliers. Lors des derniers jours de l’administration Trump, le département d’État a publié une déclaration indiquant que des chercheurs de l’institut étaient tombés malades et présentaient « des symptômes correspondant à la fois à la COVID-19 et à une maladie saisonnière courante ».
La plupart des épidémiologistes et des virologues qui ont étudié ce nouveau coronavirus estiment que sa propagation a commencé en novembre 2019. La Chine soutient que le premier cas confirmé a été déclaré le 8 décembre 2019. Au cours d’une réunion d’information à Pékin la semaine dernière, Zhao Lijian, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a accusé les États-Unis « d’exagérer la théorie autour de la fuite d’un laboratoire ». Il a également demandé « s’ils se souciaient réellement de l’enquête sur son origine ou s’ils essayaient de détourner l’attention ». Zhao Lijian a également nié les conclusions du rapport du Wall Street Journal qui affirmait que trois personnes étaient tombées malades.
LA FUITE D’UN LABORATOIRE RESTE PEU PROBABLE
Certains conservateurs et observateurs ont adhéré à la théorie de la fuite du laboratoire, tandis que les libéraux l’ont plus facilement rejetée, notamment au début de la pandémie. Ces spéculations ont également accentué les tensions existantes entre les États-Unis et la Chine.
Le 26 mai, le Sénat américain a adopté un projet de loi visant à déclassifier les renseignements relatifs aux liens potentiels entre le laboratoire de Wuhan et la COVID-19. Josh Hawley, sénateur républicain du Missouri, a financé cette proposition de loi. Il a déclaré que « le monde [devait] savoir si cette pandémie [était] le fruit d’une négligence au laboratoire de Wuhan » et a déploré le fait que « depuis plus d’un an, quiconque [posait] des questions sur l’Institut de virologie de Wuhan [était] qualifié de conspirationniste ».
En avril 2020, Peter Navarro, l’ancien conseiller du commerce de Donald Trump, a affirmé que le SARS-CoV-2 aurait pu être conçu pour servir d’arme biologique, sans citer de preuves.
La théorie selon laquelle le virus aurait été créé en guise d’arme biologique est « totalement improbable », a déclaré William Schaffner, professeur en maladies infectieuses au Vanderbilt University Medical Center. Tout d’abord, il explique que pour qu’une arme biologique soit efficace, elle doit cibler une population adverse sans affecter la sienne. Le SARS-CoV-2, lui, « n’est pas contrôlable ». « Il se propagera, y compris dans sa propre population », ce qui en fait un « agent de guerre biologique tout à fait contreproductif ».
Selon les scientifiques, l’hypothèse la plus plausible qui pourrait expliquer une fuite serait que le laboratoire de Wuhan ait réussi à isoler le nouveau coronavirus sur un animal et ait procédé à son étude avant qu'il ne s'échappe du laboratoire par inadvertance. « Sans avoir connaissance de l’étendue de sa virulence et de sa transmissibilité, l’absence de mesures de protection aurait pu entraîner l’infection du personnel de laboratoire et déclencher la chaîne de transmission qui a abouti à la pandémie », explique Rossi Hassad, épidémiologiste au Mercy College.
Toutefois, il ajoute que la théorie de la fuite du laboratoire se situe « à l’extrémité » des probabilités et qu’elle « restera très probablement théorique après tout examen scientifique approprié ».
Joe Biden a ordonné aux agences de renseignement américaines de partager leurs conclusions dans 90 jours, soit le 26 août.
À la lumière des informations disponibles, Eyal Oren, épidémiologiste à l’université d’État de San Diego, précise qu’il est possible de comprendre pourquoi l’hypothèse la plus acceptée reste que ce virus proviendrait d’un animal et qu'il ait été ransmis à l’Homme. « Ce qui est sûr, c’est que le séquençage génétique du virus de la COVID-19 est similaire à celle d’autres coronavirus présents chez les chauves-souris. »
Certains scientifiques restent sceptiques quant à la possibilité de tirer des conclusions concrètes. « En définitive, je pressens que la question [des origines du SARS-CoV-2] restera sans réponse », estime M. Schaffner.
En attendant, la science « évolue beaucoup plus lentement que les médias et l’information en continu », rappelle M. Oren.
Cet article a initialement paru sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.