Des dizaines d'espèces bactériennes vivent dans votre nombril
Chez les sujets étudiés, certains nombrils n'abritaient que 29 espèces de bactéries, quand d'autres en abritaient jusqu'à 107.
Échantillons de bactéries prélevées dans un nombril : Bacillus subtilis (à gauche) et Staphylococcus epidermidis.
Rob Dunn et son équipe d'écologistes ne sont pas des nombrilistes ordinaires. Leur étude, parue en 2012 dans la revue PLOS ONE, détaille le contenu microbien du nombril de soixante sujets volontaires.
L'équipe de recherche s'est rendue compte que les nombrils ressemblaient beaucoup... aux forêts tropicales.
Tout a commencé en 2010 quand un étudiant en biologie a décidé d'échantillonner les bactéries prélevées dans le nombril d'un collègue pour les besoins d'une carte de vœux, piquant au vif la curiosité de l'équipe de recherche de l'université d'État de Caroline du Nord.
Quel meilleur moyen d'intéresser le public à la science que de lui montrer les écosystèmes florissants de sa peau ? « Et les nombrils sont suffisamment ridicules pour plaire à presque tout le monde », sourit Rob Dunn.
De plus, le nombril étant l'un des recoins du corps les plus rarement nettoyés, il offrait aux chercheurs la possibilité d'étudier un paysage microbien aussi proche que possible de celui de l'Homme moderne.
Début 2011, lors de la conférence ScienceOnline au Muséum des sciences naturelles de Caroline du Nord, les chercheurs ont distribué des écouvillons à soixante volontaires intrigués. De retour au laboratoire, les scientifiques ont examiné la composition génétique de leur butin.
BIENVENUE DANS LA JUNGLE
Sur les soixante échantillons, l'équipe de recherche a trouvé 2 368 espèces bactériennes, dont 1 458 étaient peu voire pas documentées jusqu'alors.
Certains nombrils n'abritaient que 29 espèces, d'autres jusqu'à 107 ; 92 % des types de bactéries ont été trouvés sur moins de 10 % des sujets - en fait, pour la plupart, ils n'ont été trouvés que sur un seul sujet.
Un scientifique, par exemple, hébergeait apparemment une bactérie qui n'avait été trouvée auparavant que dans le sol du Japon, où il n'avait jamais été.
Un autre individu, qui ne s'était pas lavé le nombril depuis plusieurs années, hébergeait deux espèces de bactéries dites extrêmophiles qui se développent généralement dans les calottes glaciaires et les cheminées thermiques.
Malgré cette diversité, des thèmes communs se sont dégagés.
Même si chaque sujet ne présente pas une seule souche, huit espèces sont présentes chez plus de 70 % d'entre eux. Et chaque fois que ces espèces sont apparues, elles l'ont fait en très grand nombre.
« Notre nombril ressemble beaucoup aux forêts tropicales », explique Dunn. Dans une forêt donnée, souligne-t-il, le spectre de la flore peut varier, mais un écologiste peut observer certains types d'arbres dominants.
« L'idée que certains recoins de notre corps ressemblent à une forêt tropicale est pour moi très belle », ajoute-il. « En tant qu'écologiste, c'est logique. Je comprends quelles sont les étapes à suivre ; je peux voir comment cela fonctionne. »
Mais déterminer quelles espèces aiment élire domicile dans le corps humain n'est qu'une première étape. Pour que ces connaissances soient utiles, les scientifiques doivent savoir pourquoi ces bactéries apparaissent.
Dans l'espoir de répondre à ces questions plus générales sur l'évolution de notre espèce, l'équipe de Rob Dunn a ensuite travaillé sur plusieurs centaines de nombrils supplémentaires. Les chercheurs ont utilisé ces nouveaux échantillons pour tester la corrélation entre les petits occupants des nombrils étudiés et toutes sortes de données, du lieu de naissance des sujets à leur système immunitaire.
L'établissement de telles connexions pourrait contribuer à mettre en lumière les liens entre nos hôtes bactériens et leurs effets sur notre santé. Les chercheurs pensent que les microbes, présents non seulement dans le nombril mais aussi dans tous les recoins du corps humain, sont impliqués dans tous les domaines, de la fonction immunitaire à l'acné en passant par la douceur de notre peau. Le potentiel pour la médecine est énorme mais hors de portée tant que les scientifiques n'auront pas clarifié ce que font les microbes en premier lieu et pourquoi ils se trouvent là.
Cet article a initialement paru en 2012 sur le site nationalgeographic.com en langue anglaise.